La convention nationale pour une constitution pérenne, organisée hier à Alger par le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), a permis de poser sereinement les termes du débat autour de la Constitution, non seulement en tant que fondement de l'Etat démocratique mais aussi comme perspective de construction maghrébine. Des constitutionnalistes marocains, tunisiens et mauritaniens, invités de la convention, ont contribué, à travers les expériences de réformes dans leurs pays respectifs, à une meilleure compréhension de la problématique posée, ne serait-ce qu'en ce qu'elle permet comme comparaisons. Sofiane Aït Iflis - Alger (Le Soir) L'importance des contributions des communicants maghrébins, qui ont participé chacun au processus de réformes dans leur pays, a d'ailleurs été soulignée par le président du RCD, Mohcine Belabbas, dès l'entame de son discours d'ouverture de la convention. «Leurs avis sont importants factuellement puisque leurs pays respectifs ont tous engagé des réformes pour adapter leurs institutions aux attentes de leur peuple. Leur présence revêt, pour nous, une importance stratégique tant il est vrai que pour le RCD le destin nord-africain ne saurait s'accomplir séparément et encore moins dans l'adversité.» Un souhait de bienvenue, certes courtois, mais aussi foncièrement politique, tant il marque en gras une disponibilité à œuvrer à un commun destin maghrébin. Le concernant, le RCD a pris l'initiative fort louable de soumettre à débat un projet de Constitution qui consigne les aspirations démocratiques du peuple, sans se résigner à attendre de débattre de la copie du chef de l'Etat. Belabbas explique pourquoi : «Ce genre d'attitudes a fait que le statu quo perdure, le système se régénère et les hommes du sérail, responsables de l'échec, se recyclent. Le choix des conventions pour débattre de la Constitution n'est pas fortuit. Il émane de notre conviction que le sujet nécessite un compromis entre les différents acteurs politiques et sociaux. Deux options peuvent être envisagées. Une Assemblée nationale constituante dont l'expérience de 1962 a fait long feu ou une convention nationale de constitution. Pour la première, une élection s'impose et les prérogatives peuvent aller au-delà de la seule élaboration d'une constitution. La seconde éventualité peut se consacrer exclusivement à la confection d'une constitution de compromis et dont la composante sera représentative des différentes sensibilités politiques de façon équilibrée. Le projet adopté par une de ces instances sera nécessairement soumis à référendum.» La démarche que le RCD a fait sienne est celle qui se veut de soustraire le débat aux affrontements claniques qui, souvent, le pervertissent. «Il s'agit de travailler à sortir définitivement des affrontements claniques, héritage d'un système fait de violence, de censures, de fraudes électorales et de corruption qui ont constitué, jusque-là, l'essentiel des leviers de la réflexion et de l'action politique du régime en place. Des pratiques qui ont mené dans bien des cas à l'élimination physique de dirigeants politiques et dont a été victime un homme en charge des plus hautes responsabilités de l'Etat en la personne de Mohamed Boudiaf le 29 juin 1992.» Le président du RCD, qui a estimé qu'il faille travailler à recueillir l'assentiment du plus grand nombre de patriotes autour de la mise en place de dispositifs qui évitent toute remise en cause de l'ordre républicain et de son corollaire, l'ordre constitutionnel, ne pense pas que la chute du régime débouchera fatalement sur le chaos ou le fascisme. Pour lui, ceux qui véhiculent cette assertion font du chantage. Mohcine Belabbas a affirmé que «nous n'avons pas à subir» ce chantage. Evoquant la prochaine échéance électorale, le président du RCD a considéré que «l'urgence est de se concentrer sur les conditions de préparation et d'organisation d'une consultation électorale qui doit être précisée au plus vite si on veut faire de cette occasion l'opportunité pour un nouveau départ pour le pays». Parlant de l'échec en matière de gouvernance, Belabbas a soutenu que la responsabilité n'est pas du seul chef de l'Etat. Ce dernier, a-t-il dit, n'a fait que pousser le système au bout de sa logique. Les ruses entêtées d'Ennahda en Tunisie La Tunisie est dans une impasse. Vraiment. C'est Chawki Gaddes, secrétaire général de l'Association tunisienne du droit constitutionnel, secrétaire exécutif de l'Académie internationale du droit constitutionnel, qui est venu le dire à Alger. Auteur d'une fort remarquable communication autour des ruses grotesques d'Ennhada pour se maintenir durablement au pouvoir, il a témoigné des libertés que les députés d'Ennhada, membres de l'Assemblée nationale constituante (ANC) prennent avec le projet de Constitution qu'ils triturent en cercle restreint. Au point d'ailleurs de substituer leur propre texte au projet voté par l'ANC. Des députés, qui assistaient à une séance de lecture organisée par l'organisation de Gaddes, ont été stupéfaits de découvrir que le texte présenté comme celui élaboré par l'ANC était un texte usurpé. Pas que cela, malheureusement. Les islamistes d'Ennahda, qui sont majoritaires à l'ANC, usent de tout, quitte à verser dans l'aberration, pour prolonger indéfiniment le pouvoir de l'ANC. Entre autres perles relatées par le conférencier, celle de l'article inséré dans les dispositions transitoires et qui stipulait que «la Constitution entre en vigueur progressivement» ou encore cette autre qui énumère ce qui est immuable dans la Constitution, qu'aucune révision ne doit toucher, en l'occurrence l'Islam religion d'Etat et le caractère civil de l'Etat. Ceci alors que l'article premier du projet de la Constitution n'évoque pas l'islam religion d'Etat mais l'islam est religion de la Tunisie. Le communicateur a expliqué que, en parlant du caractère civil de l'Etat, les islamistes comprennent l'adjectif civil en opposition à militaire. Chawki Gaddes a expliqué aussi que l'ANC use de prérogatives qui ne sont pas les siennes, comme par exemple légiférer, alors que sa mission est d'élaborer un projet de Constitution. Un texte certes remis au président le 1er juin dernier mais qui risque de ne pas aboutir. Car pour qu'il soit adopté par l'ANC, il faudra qu'il recueille les trois quarts des voix des membres de l'Assemblée. Ce qui, pour lui, est quasiment impossible. Si le texte est rejeté ; il est soumis tel quel à la même Assemblée dans un délai de 30 jours. Chawki Gaddes voit mal son vote après un premier rejet. En cas de second refus, c'est le référendum populaire. Et si le peuple venait encore à le rejeter, les Tunisiens ne sauraient quoi faire, car rien n'est prévu pour ce cas de figure. Le Maroc, entre avancée et reculs Le Maroc a adopté une nouvelle Constitution en 2011. Une Constituante voulue comme une anticipation sur une demande sociale et politique inévitable à l'époque. Lahcen Oulhadj, doyen de la Faculté des sciences juridiques de l'université Mohammed V de Rabat, qui a fait partie de la commission qui a élaboré le texte de cette Constitution, a noté que la Constitution a tenté de répondre au problème identitaire posé au Maroc, en reconnaissant pour la première fois le caractère officiel de la langue tamazight. Seulement pas au même titre que la langue arabe. N'empêche que c'est perçu comme une avancée notable. En revanche, comme en Tunisie, la Constitution marocaine piège la société par le référent à l'islam religion de l'Etat. C'est le roi Mohamed VI qui a réintroduit cette disposition alors que la commission avait prôné la liberté de conscience. Lahcen Oulhadj a souligné que l'Islam est cité 14 fois dans la Constitution marocaine. Ce dernier, qui n'a pas manqué d'accabler les islamistes, qu'il accuse d'avoir parasité les mouvements de contestation sociale et politique, a dressé, par ailleurs, un tableau noir de la justice marocaine qu'il a qualifiée d'incompétente et de corrompue. Des personnalités algériennes s'impliquent De nombreuses personnalités politiques nationales ont pris part à la convention nationale du RCD. L'on peut citer l'ancien président de l'APN, Karim Younès, l'ancien colonel de l'ALN, chef de la Wilaya IV, Youssef Al Khatib, Abderrezak Mokri, président du MSP, un représentant de Jil Jadid de Soufiane Djilali. Des militants syndicaux, à l'instar du président du Snapest, Meziane Meriane, des militants des droits de l'Homme et des représentants du MAK ont également assisté à la convention. L'ancien président du RCD, Saïd Sadi, a été également du rendez-vous.