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Karim Younès claque la porte
Provoquant un coup de théâtre jeudi à l’Apn
Karim Kebir
Publié dans
Liberté
le 05 - 06 - 2004
La surprise était totale, jeudi dernier, au sein de l’hémicycle, à la suite du retrait du président de l’APN. Ses partisans, comme ses détracteurs ont salué la dignité et le geste de l’homme politique. Ambiance.
L’air perdu, seule dans les travées de l’Assemblée, elle ne comprend toujours pas ce qui venait d’arriver. La députée, Sabah Bounour, a encore du mal à contenir ses larmes. “Et pourtant, ce n’était pas prévu�, dit-elle presque pantelante.
Comme elle, ils étaient nombreux ce jeudi, autant les parlementaires, les journalistes que les membres de l’Exécutif présents pour la circonstance à s’interroger sur cette sortie fracassante de Karim Younès, le président de l’Assemblée nationale. L’homme, réputé pour son sens de la mesure, discret sur les bords, décide de claquer la porte de la Chambre basse du Parlement. Les raisons ? “Par ce geste, j’entends rester fidèle à ma conception personnelle de ce qu’est l’éthique dans l’exercice de la profession politique. Par ce geste, j’entends m’inscrire dans l’esprit républicain qui a depuis toujours inspiré mon action politique, en choisissant aujourd’hui de préserver l’institution législative des tumultes et des déchirements inutiles et qui ne pourraient que nuire à sa crédibilité�, explique-t-il face à une assistance restée pantoise. Pourtant, rien ne laissait présager cette “messe�.
Pas le moindre soupçon. Bien que peu nombreux, les parlementaires, comme de coutume, s’apprêtaient à vivre une séance somme toute ordinaire. Une séance consacrée aux questions orales. Tellement ordinaire que la journée prêtait plutôt à la villégiature qu’aux joutes parlementaires. Mais Karim Younès, qui avait déjà rédigé sa démission le 10 avril dernier, au lendemain du scrutin, avait décidé ce jour de la rendre publique d’autant que l’ENTV devait retransmettre les travaux de la plénière en direct. Seul Bouteflika, Ouyahia, Benflis et Bensalah, par “respect aux institutions� ont été tenus au parfum dans la matinée.
Alors que l’on s’attendait à la lecture de l’ordre du jour, le désormais ex-troisième homme de l’État préfère évoquer le dernier scrutin. “L’élection présidentielle, organisée dans notre pays le 8 avril, a créé une nouvelle situation politique qui m’impose, par souci d’éthique, de tirer toutes les conclusions que me dictent mes convictions et ma conception de l’action politique�.
Une entame qui accroche l’attention et suscite la curiosité. “Tirant pour ma part, tous les enseignements de la consultation électorale du 8 avril 2004, ajoute-t-il encore du haut du perchoir, j’ai pris le samedi 10 avril la décision, irrévocable, de démissionner de la fonction de président de l’Assemblée populaire nationale�.
Un silence de cathédrale, où l’étonnement transparaissait sur tous les visages des présents, s’empare alors de l’hémicycle. Il poursuit : “Les passions apaisées, les rumeurs tues, l’Assemblée retrouvant un fonctionnement normal et serein, le moment me semble aujourd’hui venu de rendre publique cette décision inspirée par le sens des responsabilités et par la haute conception que j’ai du service de l’État et du peuple�, explique-t-il d’un ton emprunt de solennité.
Des remerciements dignes
Avant de céder sa place, comme le veut le règlement intérieur de l’Assemblée en pareille circonstance, au plus âgé des vice- présidents, M. Farahi, député FLN, Karim Younès remercie ceux qui avaient tenté de le dissuader au lendemain du scrutin. “Je remercie tous ceux qui m’ont apporté leur soutien et qui m’ont recommandé de continuer à présider l’Assemblée ; je ne doute pas de leur sincérité mais je souhaite, pour cette fois-ci, n’écouter et n’entendre que ma voix intérieure, celle de ma conscience, en étant persuadé qu’il est possible de militer pour ses idées, comme citoyen ou comme député, loin des perchoirs de la responsabilité�. Il n’omet pas de saluer au passage le travail des députés et des fonctionnaires de l’Assemblée. Dans un geste fort symbolique, il quitte le perchoir et rejoint une place parmi un carré de députés. Belkhadem, pris au dépourvu, appelé à répondre à une question de Louisa Hanoune sur le Nepad, concède à rendre d’abord un hommage à son “frère ennemi� au FLN. Et la séance pouvait débuter.
Spéculations face à la sérénité
À l’extérieur, dans les travées, les spéculations allaient bon train sur cette démission surprise. A-t-il cédé aux pressions ? S’est-il senti isolé ? Si pour les “redresseurs�, “la logique politique imposait l’acte�, pour les autres, très nombreux, on préfère plutôt saluer le geste “qui honore l’homme et renforce la pratique démocratique�.
Quant à l’acte, on s’égarait en conjectures. Soudain, l’homme, au centre des discussions, quitte précipitamment la plénière flanqué de Belkhadem et de Mahmoud Khoudri. À l’affût depuis plusieurs minutes, la meute de journalistes n’aura pas la déclaration à chaud tant attendue. Il aura fallu attendre le retour de Belkhadem pour pouvoir lever un coin du voile de ce coup de théâtre. “C’est une décision souveraine. Il n’a cédé à aucune pressionâ€�, dit-il. Belkhadem venait de revenir du bureau de Karim Younès, où il était parti lui demander “s’il avait reçu des pressionsâ€�. Réponse de l’intéressé : “C’est une décision souveraineâ€�. Le chef de la diplomatie confie aussi qu’il “n’était pas au courant de la décision de Karim Younèsâ€�. Â
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la démission qui a ébranlé ce jeudi l’hémicycle et au-delà les institutions de la République ne semblait pas outre mesure avoir affecté l’homme.
Dans son bureau sis au dernier étage, l’homme était serein et souriant.
Un cigare à la bouche, celui que tous ceux qui l’ont connu et approché qualifie d’homme à principe et à conviction, explique à Liberté les motivations de son geste. “J’entends rester fidèle à ma conception de l’éthique dans l’exercice de la politique�, dit-il, convaincu. “Et c’est une décision que j’ai prise tard dans la soirée de mercredi en mon âme et conscience�. Avec son affabilité coutumière, il raconte quelques anecdotes sur ces années passées à la tête de l’institution législative.
De ses relations avec le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, il affirme qu’il entretenait avec lui “des relations empreintes de sérénité�. Il est presque 15 heures, et l’ex-président de l’Assemblée s’excuse pour prendre congé. Inquiétudes ? “Je dois aller voir la finale seniors dames de volley-ball à la salle Harcha entre l’ASWB et le NCB�, confie-t-il, décontracté. Deux clubs de sa ville natale, Béjaïa. Comme quoi, il y a toujours une vie après la démission, fut-elle de la tête du Parlement…
Les dessous d’une démission
Le geste de Karim Younès n’est pas pourtant étranger, semble-t-il, à une campagne de déstabilisation qui le visait particulièrement depuis son soutien à Benflis. À se fier à certaines sources, Karim Younès aurait été soumis à une forte pression depuis quelques semaines. Épicentre de la secousse : El-Mouradia depuis où un certain Saïd Bouteflika jouerait la partition. Ainsi, raconte-t-on, trois missions à l’étranger (Yémen, Maroc et Bénin) lui auraient été refusées au bénéfice du président du Sénat Bensalah.
À cela s’ajoutent les nuisances à l’intérieur de l’hémicycle. Mais si l’on ose une lecture politique, Karim Younès entend visiblement mettre à l’abri le FLN d’autant que les “redresseurs� ont posé la condition de son départ.
D’ailleurs, sa décision de rendre publique sa démission intervenait à l’issue d’une réunion, paraît-il “serrée� mercredi soir, au siège du FLN de la commission de préparation du congrès.
À moins que dans le fonctionnement opaque du pouvoir algérien, l’on veuille procéder à son remplacement par pur respect du dosage régionaliste. Le président étant de l’Ouest, un Chef du gouvernement du Centre, il fallait un homme de l’Est à la tête de l’Assemblée. Â
Des ministres en parlent :
Abdelaziz Belkhadem, ministre des Affaires
étrangères : “C’est une décision souveraine qui exprime une grande responsabilité militante. Il n’a reçu aucune pression. Personnellement, j’ignorais s’il allait démissionner, mais j’étais au courant de certaines dispositions chez lui. Maintenant on va se concerter samedi prochain au FLN pour désigner son successeur. Mais le poste de la présidence restera aux mains du FLN.�
Tayeb Louh, ministre du Travail et de la Sécurité sociale : “C’est un droit constitutionnel, mais la logique politique impose ça. Par logique j’entends qu’une partie a adopté une ligne politique donnée. Cette ligne a été désavouée par le peuple algérien lors du dernier scrutin. Elle a échoué. Par conséquent, à un certain niveau du pouvoir, celui qui échoue doit démissionner. Toutefois, cette démission doit être respectée, car elle renforce la pratique démocratique dans notre pays.�
Mahmoud Khoudri, ministre chargé des relations avec le Parlement : “Je n’ai aucun commentaire à faire.�
Bouabdellah Ghoulamallah, ministre des Affaires religieuses : “C’est un grand acte de responsabilité.�
Saïd Barkat, ministre de l’Agriculture : “Il a choisi l’Algérie au détriment du FLN et de sa personne.â€�Â
Ce que prévoit le règlement intérieurArticle 10 :
En cas de vacance de la présidence de l’Assemblée populaire nationale par suite de démission, d’incapacité ou d’incompatibilité ou de décès, il est procédé à l’élection du président de l’Assemblée populaire nationale suivant les mêmes modalités prévues par le présent règlement intérieur, dans un délai maximum de quinze (15) jours à compter de la déclaration de la vacance.
Le bureau de l’Assemblée populaire nationale se réunit obligatoirement pour constater la vacance et saisir la commission chargée des affaires juridiques.
La commission élabore un rapport constatant la vacance et le soumet en séance plénière à l’adoption de la majorité des membres de l’Assemblée.
Dans ce cas, l’opération de l’élection est dirigée par le doyen des vice-présidents non candidat assisté des deux plus jeunes membres de l’Assemblée populaire nationale.
K. K.
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