Ramadan rime avec piété, mais aussi avec dépenses sans mesure. Les conséquences ne se font pas attendre : endettement au bout du compte. Recourir au prêt sur gages, emprunter auprès des proches, quitte à perdre sa dignité, ou bien encore vendre ses bijoux sont autant de «solutions» passées en revue. Et on se fait prendre dans la spirale de l'endettement. Aïchouche, mère au foyer, 70 ans, huit enfants : «Case prêt sur gages» Elle gère sa maison comme un chef d'entreprise. Mais durant le mois de Ramadan, c'est le dépôt de bilan. «Tout au long de l'année, je fais très attention à la gestion du budget familial. Mais pendant le mois sacré, je ne fais pas face aux exigences de mes enfants. Je me dis que c'est un mois où les appétits doivent être rassasiés à souhait. Et bien qu'ils soient adultes, je suis restée sur le même schéma.» Avec la maigre pension de son mari décédé, Aïchouche essaye tant bien que mal de finir le mois de Ramadan dans de bonnes conditions financières. Mais la case prêt sur gages est toujours de rigueur. «J'ai prêté sur gages mes bijoux à plusieurs reprises. Mais el-hamdoulilah, je réussis toujours à les récupérer», dit-elle en soupirant. Depuis, ses enfants ont grandi et travaillent. «Leurs salaires sont juste moyens. La famille s'est agrandie avec les petits-enfants qui vivent chez moi. Alors pour le mois de Ramadan, c'est toujours la même chose. Les pâtisseries, les mayonnaises, les boureks, les viandes et autres mets du mois sont incontournables. Je ne fais plus de prêt sur gages mais j'emprunte à quelques proches.» Pense-t-elle diminuer sa consommation et celle de sa famille pour ce mois ? Impensable pour elle, sinon, le Ramadan ne serait pas le Ramadan. Madjid, 50 ans, trois enfants, employé : «Vendre ses meubles» Parler de ses problèmes financiers, c'est difficile. Et pour un homme, en règle générale, ça l'est plus. En évoquant la question de l'endettement durant le mois de Ramadan, Madjid, employé dans une entreprise privée, racle sa gorge et dit tout de go ne jamais avoir été pris dans ce piège. «C'est vrai que j'avais des voisins à La Casbah qui pour passer un bon Ramadan sans se priver vendaient leurs meubles.» Il explique que ses voisins achetaient beaucoup de friandises, de viande et plusieurs variantes de pain. «Ils étaient nombreux dans cette maison. Mais pour eux, il était exclu de se passer des soirées ramadanesques sans garnir la table de qalbelouz, baklawate et zlabia. Toutes les boissons qui pouvaient exister étaient sur leur meïda. Le deuxième plat était pour eux d'une importance capitale. Pour pouvoir satisfaire leur goinfrerie, ils bazardaient leurs vieux meubles. Et après la fête de l'Aïd, ils se serraient la ceinture pour en acheter des neufs. C'est un cycle infernal et cela n'a jamais changé.» Zoubida, 4 enfants, Enseignante : «Emprunter auprès des proches» Enseignante dans un centre de formation professionnelle, Zoubida, en parfaite ménagère, se plie à la mode de tout le monde, aux préparatifs du mois de Ramadan. «D'abord le grand nettoyage, ranger le cagibi, laver les murs, les portes, changer l'emplacement des meubles, trier la vaisselle ou encore récurer le four ou la gazinière, le réfrigérateur, notamment le congélateur qui sera très sollicité durant ce mois. L'idée est ensuite de répartir ces différentes tâches pièce par pièce et d'y aller progressivement en gardant évidemment la cuisine pour la fin», explique Zoubida. Et d'ajouter : «Enfin, j'entame les achats que j'estime d'usage : plats, verres, marmites, couverts et tous les autres ustensiles nécessaires. La dernière semaine est consacrée à l'acquisition des produits de consommation. Je prépare une liste complète de tous les ingrédients dont j'aurais besoin pour le mois. Cela va du sel au frik, en passant par le maïs, champignons, fromage, pruneaux, crème fraîche. Toutes les petites choses importantes dans la cuisine. Les deux derniers jours, avec mon mari, nous achetons tout ce qui est viande, poulet, bidons d'huile, légumes en grande quantité.» Zoubida estime que ces achats préalables représentent un gros budget. «Dès la fin de la deuxième semaine de jeûne, je sens que l'argent commence à se faire rare. Nous achetons régulièrement les sucreries, les gâteaux et les boissons. A partir de la troisième semaine, je suis contrainte d'emprunter auprès de mes proches. Le pas est assez difficile à franchir mais je préfère ainsi, plutôt que de m'endetter auprès de l'épicier du coin.» Quant à changer ce mode de consommation et être plus rationnelle, Zoubida dit faire des efforts. «Je sais au fond que ce n'est pas bien. Mais j'ai l'impression que si la table n'est pas bien garnie et que la vaisselle n'est pas belle, le Ramadan perd de son charme. C'est comme ça.» Fatiha, maman de quatre enfants,employée administrative : «Une question de bon sens» A l'énoncé de notre enquête-témoignage, Fatiha sourit. Et de suite, elle affirme : «Pendant quelques années, en tant qu'épouse et mère, je faisais partie de ceux et celles qui dépensaient sans compter durant le mois sacré. Je m'endettais à tort et à travers pour que la vaisselle soit neuve, pour une belle garniture, et des pains en tous genres. Avec le temps, je me suis rendue compte de la bêtise et qu'au contraire cela allait à contresens de ce que doit être le Ramadan. Depuis, je fais attention. Le deuxième plat pour cette année est exclu. Seule la chorba, les boureks et les salades avec el ham lahlou feront partie du menu. Je ne fais plus partie des dépensières impénitentes. En fin de compte c'est une question de bon sens.» n