Par Hamid Oussedik, ancien président du Comité de gestion de la cité universitaire de Ben Aknoun (CUBA) Ben Bella fit fondre l'unique alphabet berbère entreposé à l'imprimerie nationale. Rien d'étonnant, après sa tonitruante déclaration à l'aéroport de Tunis, le 14 avril 1962 : «Nous sommes arabes. Nous sommes arabes. Nous sommes arabes !» Pour Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre de l'Education (1965-1970), «l'école algérienne doit viser en premier lieu à former en arabe, à apprendre à penser en arabe» et à mettre fin à «ce mélange d'éléments de cultures disparates, et souvent contradictoires, héritées des époques de décadence et de la période coloniale, de lui substituer une culture nationale unifiée, liée intimement à notre passé et à notre civilisation arabo-islamique» (De la décolonisation à la révolution culturelle [1962-1972]).Tamazight et l'arabe dit dialectal deviennent des langues «impures» n'ayant plus droit de cité et que l'on a décidé d'effacer. A la chaîne kabyle de Radio-Alger, les reportages sportifs réalisés jusque-là en tamazight, en direct des stades, seront supprimés et assurés désormais par un relais de la chaîne en arabe. De la même façon, on assiste au passage fréquent de disques en arabe sur la chaîne kabyle, alors que la réciproque sur la chaîne arabe ou, mieux, à la télévision n'est pas assurée. Une politique qui sera considérée, quelques années plus tard, comme l'une des plus graves erreurs qui a mis en péril tout le système d'éducation et bien plus !... N'étant pas à une contradiction près, l'Algérie adopte, le 4 juillet 1976, la Déclaration universelle des droits des peuples qui souligne en ses articles : Article 13 : Tout peuple a le droit de parler sa langue, de préserver, de développer sa culture, contribuant ainsi à l'enrichissement de la culture de l'humanité. Article 19 : Lorsqu'un peuple constitue une minorité au sein d'un Etat, il a droit au respect de son identité, de ses traditions, de sa langue et de son patrimoine culturel. Article 20 : Les membres de la minorité doivent jouir, sans discrimination, des mêmes droits que les autres ressortissants de l'Etat et participer avec eux à la vie publique, à égalité. Article 21 : L'exercice de ces droits doit se faire dans le respect des intérêts légitimes de la communauté prise dans son ensemble et ne saurait autoriser une atteinte à l'intégrité territoriale et à l'unité politique de l'Etat, dès lors que celui-ci se conduit conformément à tous les principes énoncés dans la présente Déclaration...» Chercher à réprimer et à étouffer une revendication légitime et démocratique par des manœuvres dilatoires et des manipulations de toutes sortes ne peut arrêter la marche de l'histoire et expose à des menaces graves le «vouloir vivre en commun». Au lieu de renforcer ce «vouloir vivre en commun» en élargissant ses horizons, comme à la cité universitaire de Ben Aknoun, l'on choisit le déni et la mutilation avec pour principal résultat la transformation négative des rapports au sein de la communauté nationale, la perte de repères, ou par réaction, à des replis identitaires lourds de dangers. La marginalisation s'accompagne souvent d'une désintégration sociale, d'une montée de la violence, d'une multiplication de conflits et parfois d'une dérive de l'Etat vers le frauduleux. Loin d'être seulement un pays à problèmes, l'Algérie est riche de promesses et de potentiel. C'est aux Algériens qu'il incombe de tracer leur avenir, conscients de leurs difficultés comme de leurs responsabilités. C'est dans un cadre démocratique et de justice sociale qui préserve la pluralité, la diversité et les différences selon des règles acceptées par tous, que l'Algérien peut réaliser ses potentialités et que la société peut avancer. Le cadre démocratique est indispensable et incontournable pour assurer la liberté, la paix civile, permettre un développement global et le réel exercice des droits de l'homme. C'est là l'un des rôles essentiels des patriotes qui doivent se mobiliser autour de ce but commun, pour que la diversité des situations particulières devienne source d'enrichissement collectif et non de division. Comment transmettre, aujourd'hui, à nos enfants un message de non-violence, de justice, de tolérance et de dialogue qui peut leur permettre de trouver de nouvelles directions, de nouvelles voies, d'autant plus indispensables que les sombres tendances actuelles doivent être corrigées au plus vite, car «au bout du compte, nous aurons le choix entre la non-violence ou ne pas exister», Martin Luther King. 2- A la veille de la conférence des Non-Alignés, prévue en juin et reportée à novembre 1965, nous aurons droit à de violentes critiques et menaces de la part de la direction de l'Unea pour avoir demandé que les étudiants n'évacuent leurs chambres qu'après leurs examens. Nous nous engageons à organiser un volontariat pour nettoyer la cité. Lors d'une AG convoquée à Ben Aknoun par le comité de gestion, à la demande du comité directeur de l'Unea, les membres de l'exécutif présents seront sévèrement critiqués par les étudiants et auraient connu une situation dommageable, n'était l'intervention déterminée du comité de Ben-Aknoun. J'ai droit personnellement, dès le lendemain, à une visite nocturne musclée pour me persuader de «rester tranquille». L'un des responsables de l'Unea qui appelait «à un soutien total au président Ben Bella» et à la vigilance révolutionnaire, en mettant la salle en garde contre les menées subversives de contre-révolutionnaires, sera le premier à prendre violemment à partie le président Ben Bella au lendemain du 19 juin. Il lui fera un procès en règle, sur la chaîne de la télévision nationale, en s'en prenant particulièrement «son pouvoir personnel»... Au moment où certains «contre-révolutionnaires» manifestaient aux côtés de certains de ses anciens amis dans les rues d'Alger. Il ne sera pas le seul, un certain nombre de ceux qui nous ont traités de «centristes, de berbéristes, voire de contre-révolutionnaires» et qui se définissaient comme les seuls véritables dépositaires du socialisme et de la révolution prolétarienne se retrouveront, quelques décennies plus tard, sous les lambris de la République, parfois comme ministres, walis ou hauts cadres zélés. Il est vrai que l'on ne peut demander à toutes et à tous d'être une Fatima Medjahed, un Djelloul Naceur, Nouredine Zenine, Djamal Labidi, Mahi Ahmed, ou un Mohamed Athmani ! L'un de ces camarades que j'ai revu avec un réel plaisir me dira : «C'est vrai, à cette époque nous étions formatés. Nous n'admettions pas la critique et encore moins une approche différente ! Oui, nous avons manqué d'objectivité. » Il ajoutera : «Ces erreurs ont affaibli incontestablement les forces de progrès et démocratiques dans notre pays.» Rappelons pour l'histoire, qu'à chaque élection du comité de Ben-Aknoun, par scrutin de liste, 1 ou 2 sièges étaient proposés à des étudiants proches de la section d'Alger ou de l'ORP. L'un de ces étudiants, élu sur notre liste, fera par la suite une brillante carrière à la Présidence et au ministère de l'Intérieur. Quelques décennies plus tard, dans une réunion tenue au Palais du gouvernement, consacrée aux manifestations d'avril 1980, un ancien ministre de l'Habitat recyclé comme responsable au sein du Parti FLN me traitera, après mon intervention, de «véritable idéologue des étudiants de Tizi-Ouzou». Son intervention crée un réel malaise. Ce sera Si Ahmed Bencherif qui le coupera sèchement, en l'apostrophant de la sorte : «... Les Oussedik n'ont aucune leçon de patriotisme à recevoir de toi ou d'un autre. Les problèmes sont gaves et sérieux, pas de confusion ni d'attaques personnelles.» Vingt-quatre heures après, ce même ministre déclarera dans une réunion tenue à Larbaâ Nath Irathen : «Je suis prêt prendre un fusil contre celui qui voudra me priver de ma langue maternelle.» «Un honnête homme c'est le plus noble ouvrage de Dieu» A. Pope... cela ne s'improvise pas ! 3- Le 5 juin 1967, après l'agression de l'Egypte et de la Syrie par Israël, le comité de gestion de Ben Aknoun retransmet à travers toute la cité (restaurant, foyer) les différents bulletins d'information de la Radio algérienne. Après l'entrée en guerre de l'Algérie, le comité de Ben-Aknoun, affiche à l'entrée du restaurant l'historique «Appel d'Alger» lancé le samedi 19 mai 1956 et appelle, pour l'après-midi du 6 juin 1967, à une manifestation de soutien au gouvernement. Rendez-vous est pris devant la Fac centrale vers laquelle se dirigent les cars bondés de résidents de CUBA. Le comité de gestion retient trois slogans : «Nous sommes tous des djounoud !» ; «Nasser marche ou crève !» et devant le centre culturel soviétique : «La Russie trahison ! (et non l'URSS)»... En avance sur l'histoire ? Devant l'ancien siège du ministère de la Défense, avenue de Pékin, les étudiants prendront sur leurs épaules la sentinelle de garde aux cris de «Le peuple et l'armée sont avec toi Boumediène !» qui viendra à notre rencontre devant le portail de la Présidence, à El- Mouradia. Pour avoir crié devant le centre culturel soviétique «La Russie trahison ! (et non l'URSS)», nous aurons droit, dès le lendemain, à un communiqué du secrétariat de l'UGTA condamnant les slogans proférés par un groupuscule de réactionnaires devant le centre culturel soviétique». Ceux-là mêmes qui ont poussé l'UGTA à une telle réaction revendiqueront, plus tard, la paternité de cette manifestation qui marque momentanément un réel tournant dans les relations entre le pouvoir et les étudiants... Entre-temps, le soutien critique s'est installé ! Durant les vacances d'été, nous serons mobilisés pendant 45 jours dans les casernes : riche expérience pour nombre d'entre nous. Qui ne se souvient de nos claquements de talons devant notre ami de promotion «le colonel» Benaouda Merad que, du coup, personne n'osait refouler du mess des officiers, des remarques incisives de notre ami Boudjemaâ Karèche ou des arrêts de rigueur infligés à Ali Djendi et Ghomchi. Un climat de fraternité, une véritable symbiose qui a vite chassé les craintes et les suspicions tant au niveau des étudiants qu'entre ces derniers et les djounoud et officiers. Une mobilisation qui donnera naissance à l'appel sous les drapeaux de la première promotion du service national en 1969. 4- En février 1968, après un débat avec les résidents de la cité de CUBA, l'unanimité s'est rapidement dégagée pour condamner l'agression subie par les étudiants à l'intérieur de la Fac centrale et affirmer notre totale solidarité avec la grève générale déclenchée par la Section d'Alger. Une grève qui par sa prolongation (2 au 26 février) commence à exposer sérieusement l'année universitaire à une possible annulation. Les autorités, elles-mêmes, optent pour une stratégie de pourrissement en fermant l'université et en misant sur un reflux du mouvement. A cela s'ajoutent des manœuvres pour diviser les étudiants et briser la grève. Face à la gravité d'une telle situation et aux dangers qui pèsent tant sur l'université nationale que sur la cohésion des étudiants, le comité de Ben-Aknoun prend la responsabilité de convoquer une assemblée générale n'ayant qu'un seul point à l'ordre du jour : analyse de la situation et décision à prendre au sujet de la grève. Le débat sera animé et franc de 20h à 1h du matin. Le courant dit de la section d'Alger se prononcera pour la prolongation de la grève. Un autre groupe dit Comité des étudiants démocrates appuie également le maintien de la grève et distribue un tract allant dans ce sens. Après avoir rappelé les causes initiales de la grève et analysé la complexité de la situation qui tend à se transformer en un bras de fer qui dépasse l'enceinte de l'université, les étudiantes et les étudiants sont appelés par le comité de Ben Aknoun à prendre leur décision en toute conscience. Les risques encourus par l'université nationale et l'absence d'une solution préservant les intérêts et la dignité des étudiants sont dénoncés par le comité de Ben-Aknoun qui réaffirme son total soutien aux étudiants détenus. Plaçant l'intérêt national au-dessus de tout et devant les risques de fragmentation de l'université, le comité de gestion propose d'arrêter d'un commun accord d'autres formes de lutte et de reprendre les cours. L'écrasante majorité des participant(e)s appuie cette proposition. A la fin de l'AG, les débats continueront très tard devant le foyer. Le lendemain matin, la sagesse va prévaloir, les cars bondés d'étudiant(e)s reprennent la direction de la Faculté centrale où les cours reprendront normalement. Dans l'après- midi, je me suis présenté chez Si Mohamed Flici, membre de la direction du FLN, ancien dirigeant de l'UGTA et compagnon de Aïssat Idir, pour l'informer que faute de ne pas libérer nos camarades et de mesures d'apaisement, le mouvement de protestation reprendra avec des conséquences plus graves. Après quelques minutes d'absence de son bureau, il revient pour me demander de le suivre vers le bureau de Si Slimane (Kaïd Ahmed). Durant cet entretien direct et d'une grande franchise, Si Slimane montre une réelle attention durant tout mon exposé. Il conclura sa longue réponse sur l'intervention musclée au sein de l'université comme suit : «Il n'y a pas que l'université qui a été agressée..., c'est également le FLN et ma crédibilité que l'on cherche à atteindre.» A ma question : de qui s'agit-il ? Il aura cette réponse lapidaire : «Il vaut mieux pour toi que tu ne le saches pas.» Après cet entretien qui duré plus d'une heure, je repars persuadé de l'éminence d'une sage solution. Mais hasard ou machiavélisme, la libération des étudiants proches de la Section d'Alger sera suivie par l'arrestation, à l'exception d'un seul, de tous les membres du Comité des étudiants démocrates (tous Kabyles). Lors d'une AG d'information organisée à Ben Aknoun, à la demande de la direction du parti FLN, le comité de cité, fidèle à ses principes, dénonce l'arrestation des étudiants démocrates, dont certains sont résidents à la cité, leur exprime son soutien et appelle à leur rapide libération. Je ne cache pas mon étonnement devant le silence que gardent ceux qui ont récemment bénéficié du soutien de tous les étudiants et notamment des camarades qui viennent d'être arrêtés. La réponse viendra d'Abdallah Dourou, conseiller auprès de Si Slimane, qui appelle à renforcer les rangs de ceux qui luttent contre la réaction et la contre-révolution. Notre ami Nafir Bachir, membre du Comité, fera remarquer avec éloquence et son habituelle rectitude morale, et conclue ainsi la fin de son intervention : «Est-ce un grand soir de noces ou les noces d'un grand soir ? Malheur aux noces d'un soir.» Les frères ennemis s'entendent, durant toute cette AG, pour lancer des diatribes à l'encontre «des ennemis de la révolution et de la nécessité de renforcer nos rangs face au danger...». A l'exception du comité de Ben Aknoun, jamais les étudiants démocrates ne connaîtront une quelconque autre marque de soutien durant les nombreuses années de leur détention. A la fin de cette rencontre, le comité de gestion refusera de tenir une réunion restreinte avec la délégation de l'appareil central du parti, souhaitée par Si Mohamed Flici qui dira à haute voix : «Cette réunion a été marquée par un climat détestable.» Nous avons tenu à être clairs : ce que nous avions à dire l'a été publiquement devant toutes et tous les étudiants. Dès le lendemain, mon ami Mahmoud Chibane, de la FNEM, me fait part du souhait de Kaïd Ahmed de venir lui-même à la cité pour débattre franchement de tous les problèmes avec les étudiants. Je lui fis part de mes réserves suite aux récentes arrestations d'étudiants, dont certains sont résidents de la cité et aux attaques portées contre nous par Abdellah Dourou et la délégation de l'appareil du parti. La gravité du discours politique maquillée par une terminologie idéologique visait en réalité à créer et à renforcer, entre les étudiants, la division et des clivages régionalistes au lieu d'apporter la sérénité et la clarté au niveau du débat. Le comité de gestion, après avoir débattu de cette question, décide de favoriser le dialogue et accepte d'organiser une AG d'information. Pour avoir lu certains témoignages concernant cette AG, (M. Boudjema, Soir d'Algérie30 juin 2011), que j'ai présidée personnellement, je souhaite saisir ce témoignage pour apporter quelques précisions. «Plusieurs bus de la RSTA furent mobilisés pour faire venir les étudiants de la Fac centrale et des autres résidences universitaires (Revoil, Robertsau et El-Harrach...», je rappelle que cette AG d'information a débuté à 21 heures dans la salle de cinéma occupée à 90% de résident(e)s de la CUBA. Du reste, comment faire venir des étudiants de la Fac centrale, des cités Revoil, Robertsau et El-Harrach à pareille heure, dans une salle qui, en pareille occasion, suffisait à peine pour les résidents ? Nombre d'amis me rappellent encore la remarque de Si Slimane dès l'ouverture des débats. Après lui avoir souhaité la bienvenue à la CUBA et appeler à un débat franc et constructif, je fis remarquer par deux fois que cette AG a été organisée par le comité de gestion en réponse à une demande pressante du responsable du FLN. Souriant, Si Slimane m'interrompt pour faire remarquer à l'assistance : «Pour ceux qui n'ont pas compris le message de votre Président, je confirme que je ne suis pas l'invité du C.G. Néanmoins, force est de reconnaître que votre comité privilégie toujours le dialogue. C'est toute la singularité de ce comité qui force le respect. J'apprécie la courtoisie de votre accueil et m'engage à avoir avec vous un débat militant et franc autour des graves problèmes que rencontre l'université nationale.» «Un groupe de personnes entouraient un responsable de la Fédération des étudiants militants (FNEM), toute récente création du FLN confiée alors à la houlette de Laâdi Flici pour casser la forte influence des militants du PAGS sur le syndicat estudiantin...». Erreur, la FNEM n'est pas toute récente. Elle a été créée bien avant l'arrivée de Kaïd Ahmed par Cherif Belkacem pour en finir avec l'autonomie de l'UNEA et chercher à éliminer toute forme d'opposition organisée au sein des étudiants. y avait Abdelatif Benikous, conseiller auprès de Si Slimane, Aït Ouazzou, SG de la JFLN, Si Mohamed Flici mais pas son frère Laâdi Flici. Quelques militants de la FNEM, résidents à la cité comme le docteur Falek qui représente également la kasma de Ben Aknoun. Sidi Saïd Rachid et une dizaine de militants ont été autorisés par le comité de gestion à participer au titre de la Fédération du FLN d'El Biar. Entrés en dernier dans la salle, ils ne pourront pas tous trouver des places assises, certains seront obligés de rester debout au fond de la salle. «... Puis, de quelque part vers le fond, quelqu'un se leva et dit d'une voix légèrement imbibée : "Je m'appelle B*** Mahiedine. Vous connaissez très bien mon père qui fut votre compagnon de lutte dans la clandestinité dans la région de Tiaret. Voici ce que j'ai à vous dire...". Quant à Mahiedine, on ne le revit pas pendant un long moment dans les environs. Dégrisé, il avait décidé de se mettre au vert et de se faire oublier. Il ne fut, semble-t-il, pas du tout inquiété.» La voix de Mahiedine était fortement émue mais en aucun cas «imbibée» en quoi que ce soit. Patriarche de la cité, esprit libre et redoutable tribun, il avait décidé, je le cite : «Par amour de mon pays, je vais libérer ma conscience et dire tout haut ce que je pense à ces gens qui n'attendent du peuple algérien que des applaudissements.» Du reste, il faut préciser que son intervention s'adressait beaucoup plus au pouvoir en général, qu'il condamne en des termes très vifs, qu'à Kaid Ahmed personnellement. Les termes employés et ses réponses sans concession, ses réparties et sa traditionnelle éloquence poussent la salle l'applaudir debout. A Kaïd Ahmed qui lui demanda «d'arrêter sa diatribe et de rejoindre sa place», Mahiedine répondra : «Vous êtes tous sortis du même moule, dès que l'on cesse de vous applaudir, vos nerfs lâchent. Seul le président du Comité peut me retirer la parole... lui nous l'avons élu.» Je dus intervenir pour calmer la salle et rappeler que de telles situations traduisent l'absence de dialogue, de concertation et de respect mutuel. Ce sera au tour de Nafir Bachir de rappeler dans un discours concis et précis que rien ne pourra être fait durablement au bénéfice de l'université nationale et de l'Algérie en l'absence d'une réelle concertation et participation des responsables démocratiquement élus. S'en suivront quelques interventions qui montrent que les étudiants refusent dans leur écrasante majorité tout processus visant à mettre au pas l'UNEA. Que dire de cette rencontre ? Les étudiants condamnent dans leur écrasante majorité l'agression violente opérée contre eux au sein de l'université, et le refus d'engager un réel processus démocratique. Malgré le ton, par moment brutal, tant du côté des étudiants que de Si Slimane, cette rencontre a été instructive autant pour les étudiants que pour le responsable du FLN. Il faut signaler que durant cette période, aucun dirigeant de son rang n'a jamais osé engager un pareil débat avec les étudiants. A la fin de l'AG, j'invite Si Slimane à prendre un thé en compagnie de quelques membres du Comité. Le raccompagnant vers sa voiture, qu'il a conduite lui-même, il s'est engagé personnellement à ce que Mahiedine ne soit pas inquiété. Avant de démarrer, il baissera la vitre de sa voiture pour lancer : «Je suis bon pour un mois d'hypertension !»... Que faut-il ajouter sinon que «ce n'est pas la révolte en elle-même qui est noble, mais ce qu'elle exige», A. Camus. 5- Le Comité de gestion attache une grande importance au devoir de solidarité avec les organisations des nombreux étudiants étrangers résidents à Ben Aknoun (Palestine, Guinée, Mali, Cuba, Maroc, Tunisie, Syrie, Chine, Bulgarie...). Le 29 janvier 1966, après une réunion avec des responsables de l'UNEM, nous avons décidé de nous joindre à une manifestation de protestation contre une visite d'Oufkir à Alger. Des centaines d'étudiants envahissent les rues menant à la place des Martyrs aux cris de : «Libérez Ben Barka ! Oufkir assassin !» Sur le chemin du retour, les étudiants se retrouvent pris au piège dans l'étroite rue Bab Azzoun. La charge des CNS provoque une véritable débandade. Nombre de portes vont spontanément s'ouvrir pour accueillir des étudiant(e)s. Chaque année, de nombreux meetings sont organisés et animés avec des responsables de mouvement de libération : l'on rencontrait souvent à la cité universitaire de Ben- Aknoun les représentants à Alger de l'ANC, du FRELIMO, de l'OLP, de la SWAPO, du MPLA, du PAIGC... période ensorceleuse où Alger hébergeait des combattant(e)s de la liberté tant d'Afrique, de Palestine, d'Amérique du Sud, d'Europe que d'Asie. Une solidarité affirmée par l'esprit de la lutte de libération qui faisait d'Alger la «Mecque» des Mouvements de libération nationale. Des soirées culturelles sont organisées en soutien aux luttes des peuples sud-africain, Vietnamien, palestinien, mozambicain, d'Angola, du Cap-Vert, du Zimbabwe, de Namibie. Par deux fois le spectacle annuel totalement préparé par des étudiantes et étudiants, sous la direction de notre ami Bédrane, qui fera une brillante carrière diplomatique, sera retransmis par la TV nationale. Qoum tara exécutée par une chorale composée de toutes les nationalités des résident(e)s de la CUBA (Maghreb, Afrique, Chine, Amérique latine, Moyen-Orient, Europe Est et Ouest) a été un moment exceptionnel dans la vie culturelle de la cité. Plusieurs années après, j'ai le plaisir de retrouver à Pékin Tchang, le responsable des étudiants chinois résidents à Ben Aknoun. Ce fut entre nous une réelle grande émotion. Très ému, il me rappelle durant un bon moment ses souvenirs de Ben-Aknoun. Ensuite, la première personne dont il me demande des nouvelles et à laquelle il me charge de transmettre son amical salut n'est autre que «le camarade Chtaibi», le chauffeur du bus qui les accompagnait lors de sorties organisées, à leur intention, par le C.G. Nos sœurs et frères marocains, à l'image de Ahmed Bendjelloun, Abderrahim, et Sahnoun bénéficient de l'affection de toutes et tous à Ben Aknoun. Il en était de même pour nos frères maliens et guinéens à l'image de Djibril Diakité et de l'actuel Président Dioncounda Traoré. Des échanges culturels et d'étudiants sont organisés avec l'UGET. La pièce de théâtre Anti-gonesera jouée par la troupe de Ben Aknoun dans le grand théâtre de Tunis. Par deux fois l'UGET nous propose de signer un communiqué commun. A chaque fois, nous déclinons cette proposition compte tenu de raisons internes à l'UNEA. De façon générale, le Comité apporte son soutien matériel à toutes les organisations des étudiants étrangers installés à la CUBA autour desquels nous avons toujours veillé à renforcer le climat de fraternité. Chaque samedi soir, les étudiantes et les étudiants se retrouvent dans la salle de cinéma pour assister à la projection des meilleurs films du moment grâce au dévouement de notre frère Achour Mustapha. Les plus grandes vedettes de la chanson se produisent bénévolement, au moins, une fois par an : Hadj El Anka, Khelifi Ahmed, Cherif Khedam, Yahyaten, Chrifa, El Ankis et tant d'autres. Mohamed Lamari chantera pour la première fois devant les étudiants de la cité ses chansons Africa et Guevara. H. O.