Par Ahmed Halli [email protected] L'éphémère vice-président égyptien, Mohamed Baradeï, me rappelle quelqu'un qui menaçait à tout bout de champ de démissionner, mais qui est toujours là. Mais Baradeï n'est plus là, parce que les nouvelles autorités, excédées, ont accepté sa démission, sitôt formulée. C'est qu'il est agaçant ce Baradeï : il aime bien goûter à l'omelette démocratique, mais il répugne à participer au nettoyage du poulailler. Quant à casser des œufs, c'est lui demander l'impossible, tant ce citoyen américano-égyptien, dualité pénible à assumer, est réfractaire à l'engagement dans des actions de révolutions réelles. A la limite, il veut bien que le sang coule, mais il ne veut pas le voir, et il ne veut surtout pas gâcher son image de démocrate bon teint auprès des opinions américaine et européenne. Mohamed Baradeï a longtemps fait figure d'alternative à Hosni Moubarek, auréolé qu'il était de son prix Nobel de la paix, et surtout de sa réputation scientifique, les «Douktour» étant très appréciés en Egypte. Il passe pour être bon musulman, et il s'est débrouillé pour le faire savoir, en s'affichant avec un groupe familial, voué semble-t-il aux dévotions. Mais à beau se prosterner qui vient de loin : en réponse aux photos de famille voilées, un site internet islamiste a publié la photo de l'une de ses filles en maillot deux pièces. C'est ainsi que l'on taille des croupières à des réputations aux fondements fragiles, si j'ose dire. Il avait oublié qu'en Egypte, et dans tout le monde arabe, tout corps féminin plongé dans l'eau en ressort plus mouillé qu'un ministre algérien, immergé dans un des barils de la «Sonatrach». Avant le «sursaut salutaire» du 3 juillet 2013, chassant Morsi du pouvoir, Mohamed Baradeï avait fait l'objet de nombreuses attaques de la part des islamistes. Non contents de publier des photos montrant la «face cachée», et moderniste de membres de sa famille, les «Frères» musulmans avaient multiplié les coups bas à son encontre. C'est ainsi qu'ils avaient accusé l'une de ses filles d'être mariée à un non-musulman, ce qu'il s'était cru obligé de démentir. Puis, dans la fièvre antichiite qui s'était emparée de l'Egypte, c'est la propre épouse de Baradeï qui avait été accusée du plus grand crime de ce siècle aux yeux des islamistes, l'appartenance au chiisme. N'est-ce pas Morsi lui-même qui l'avait proclamé du haut d'une tribune : «Les chiites sont encore plus dangereux que les juifs! » Ceci étant, pourquoi Baradeï a-t-il démissionné alors que le «Front du salut» qu'il présidait a réussi à rallier l'armée à sa cause? Dans sa lettre de démission, le vice-président égyptien a affirmé qu'il ne pouvait pas accepter la manière sanglante dont l'évacuation de la place Rabéa Al-Adawya avait été menée mercredi dernier. Il précisait qu'il n'était pas d'accord avec la démarche entreprise et qu'il ne pouvait, par conséquent, en assumer la responsabilité. Or, le magazine Elaph affirme que Baradeï a démissionné à cause de ses divergences de vues avec Abdelfattah Sissi, le chef de l'armée. En réalité, la cause de la démission est le rejet par Sissi d'un marché que Baradeï aurait négocié avec l'ex-président Morsi. Ce dernier s'engageait à donner l'ordre à ses partisans de mettre fin à leur occupation des places, en échange de sa libération et de son départ en exil aux Etats-Unis. Ce marché refusé par Sissi aurait été la véritable cause de la démission de l'ancien patron de l'AIE. Mais quels que soient les motifs de la démission, celle-ci est vue comme un lâchage et une trahison par les animateurs du «Front du salut». C'est donc une véritable volée de bois vert qui s'est abattue sur Baradeï, accusé non seulement de trahison, mais de complot avec les Américains, et même avec Israël. Son plus chaleureux soutien, l'écrivain Djamal Al-Ghittany, qui voyait en lui un nouveau Saâd Zaghloul, a demandé qu'une enquête soit diligentée contre lui, et qu'il soit traduit en justice pour haute trahison. Amr Adib, le célèbre chroniqueur TV, lui a lancé cette injonction sur la chaîne Orbit : «Retourne en Europe ou reste dans un endroit sec.» D'autres journalistes, et non des moindres comme Mustapha Bakri, ou Adel Hammouda, ont affirmé que Baradeï recevait ses instructions de Washington, et qu'il était beaucoup plus américain qu'égyptien. Quant au polémiste controversé, Tewfik Okacha qui a retrouvé l'usage de la parole en même temps que le plateau de sa télévision, «Les Pharaons», il déverse quotidiennement des monceaux de boue sur l'ex-vice-président. Pour lui, Baradeï n'était autre que l'agent du sionisme et de la franc-maçonnerie à l'intérieur de la présidence égyptienne. Figure de proue de la contestation démocratique, faute de mieux, Mohamed Baradeï, n'aura été finalement qu'un velléitaire. Il ressemble à ce mécanicien qui refuse de plonger les mains dans le cambouis sous prétexte qu'il doit vendre de la «zalabia» pendant le Ramadhan. Il a renoncé, dans un moment fatidique, à aller jusqu'au bout de ses idées, craignant sans doute d'être impliqué, à son corps défendant, dans un affrontement sanglant. Redoutant plus encore d'être désavoué par son pays d'adoption, les Etats-Unis, et par une opinion occidentale dont il se soucie à un degré qui frise le mépris à l'égard de son pays d'origine. Trop américanisé Baradeï ? Non, pas assez ! Il est arrivé bien trop tard, et trop longtemps après la conquête de l'Ouest pour être un vrai américain, solide sur ses étriers et convaincu de son bon droit. En somme, Baradeï laissera pour beaucoup le souvenir d'un espoir déçu, quelqu'un qui aura réuni la constance et la réussite dans une seule mission, celle de la destruction de l'Irak, comme le suggère le chroniqueur Mohamed Buhaïri. Il est vrai qu'en récompense de son enquête sur l'Irak, lorsqu'il était à la tête de l'AIE, Mohamed Baradeï a obtenu le tant convoité prix Nobel de la paix, un prix décerné depuis Obama, sur la foi des intentions, et non au vu des actes. En se lançant dans le combat politique pour le changement en Egypte, Baradeï a fait oublier un moment le boulet irakien qu'il traîne depuis 2003. Il est probable que les animateurs de la campagne déclenchée contre lui vont tout faire pour que l'opinion ne retienne que ce point noir irakien de la carrière de Mohamed Baradeï. Ce dernier aurait pu être le leader d'une nouvelle phase de la révolution égyptienne, mais en sautant du train en marche, il a choisi la voie prématurée et radicale suicide.