Petit à petit, l'idée de passer des vacances est devenue un rêve.Les raisons sont aussi bien d'ordre économique, social que culturel. Des Algériens en parlent. Nassima, 40 ans, divorcée «Depuis 2000, date de mon mariage, je n'ai pas pris de vacances. Les dernières en date, je les ai passées au 7e poste de la station balnéaire de Larbi- Ben-M'hidi à Skikda où on a loué, avec ma sœur, mon beau-frère et leurs deux enfants. On est restés 15 jours. Lorsqu'on était petits, mes parents nous emmenaient, moi et mes six frères et sœurs, à la station balnéaire à la Grande-Plage et en Tunisie, où on y a séjourné à plusieurs reprises durant une semaine ou plus. Même la région rurale d'El-Hadaiek, distante du chef-lieu de wilaya de 4 km, a été l'une de nos destinations préférées. Je n'oublierai jamais les quelques jours pendant lesquels on courait à travers champs et vergers, profitant de cette aubaine pour récolter les pastèques, en cachette bien sûr, et manger goulument la tamina trempée dans l'huile d'olive qu'un verre de l'ben bien frais rendait plus délicieuse. C'était le temps béni ! J'ai divorcé en 2010, je n'ai pas eu d'enfants. J'ai dû donc retourner à la maison paternelle où j'ai passé le plus clair de mon temps à assister ma mère mourante. Donc, n'on avait ni temps ni l'envie de penser à des vacances. A sa mort, en 2013, la tristesse a gagné nos cœurs. Passer les vacances est une pratique qui semble s'évaporer à force que la maturité s'impose.» Fares, 38 ans, marié, chauffeur de taxi «Passer les vacances ? Ça veut dire quoi au juste ? Depuis les plongeons presque mortels dans les plages de Mollo, Le Petit et le Grand Bassin, sur le front-de-mer, où on avait juste l'âge de la puberté, j'en ai oublié le sens même. N'ayant pas encore d'enfants, l'idée de prendre ma femme vers des contrées plus douces et ensoleillées ne m'effleure même pas l'esprit. Je sais qu'elle en souffre, mais je n'y peux rien. Peut-être que le changement se fera lorsque des enfants viendront égayer notre foyer. Il y a aussi le fait, il faut le dire crûment, que notre quotidien est presque intégralement consacré à la course-poursuite contre la croûte. El khobza. Bien que je sois chauffeur de taxi, donc disposant de l'une des commodités nécessaires à bien passer les vacances, l'idée d'emmener mon épouse à la plage ne me vient même pas à l'esprit, même pas pour une courte durée. Je sais que c'est difficile, mais c'est comme ça.» Azzedine, 45 ans, père de deux enfants «Passer les vacances ? J'en ai vraiment envie. A part quelques échappatoires durant la journée vers la plage, et si on peut les considérer comme telles, ce sont les vacances que je passe en compagnie de mes deux enfants, et rarement de ma femme, durant la saison estivale. Les raisons qui sont derrière la difficulté d'organiser des vacances sont, à mon avis, au nombre de trois. La première est liée aux conditions socioprofessionnelles. Avec un salaire misérable, tout juste bon à couvrir les frais d'une alimentation basique, on ne pense même pas à prévoir des vacances même sous une tente louée à 600 DA la journée sur les plages de Filfila. La deuxième est relative à la cherté des tarifs appliqués pour les nuitées dans les établissements hôteliers. A raison de 5 à 7000 DA la nuit, les propriétaires de ces derniers devraient, à mon humble avis, penser à réserver quelques chambres pour les bourses moyennes, à travers une révision à la baisse qui fera beaucoup de bien à cette catégorie. La troisième, qui pourrait être la résultante des deux précédentes, a trait à des considérations morales qui trouvent leur justification dans cette formule : quand le cœur n'y est pas, tous les plaisirs du monde vous paraissent négligeables.» Salim, 49 ans, célibataire «Me concernant, c'est le logement qui m'a empêché, ces dernières années, de penser aux vacances. Il faut être réaliste, le fait de thésauriser pour ramasser la somme nécessaire pour acquérir un toit, ne vous donne aucun répit pour quelques jours de bronzage. La manière avec laquelle les camps de toile ont été éradiqués, lieux qui faisaient la joie des catégories sociales défavorisées et moyennes, a contribué au fait que ces dernières ne passent plus leurs vacances. Ces huit dernières années, période d'attente de la livraison de mon appartement, sont les plus sombres de ma vie : je me suis rarement trempé dans de l'eau salée. Le Ramadan y est pour quelque chose aussi.»