Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, est arrivé, hier, à Alger pour une visite de deux jours. Intervenant au beau milieu d'une campagne électorale pour l'élection présidentielle, il a suscité de nombreux commentaires politiques. Les plus audacieuses des lectures produites évoquent un soutien américain à la reconduction de Bouteflika. Sofiane Aït Iflis - Alger (Le Soir) - Les diplomaties algérienne et américaine ont beau infirmer l'existence de relation entre la venue de John Kerry à Alger en ce moment et l'élection présidentielle, elles ne parviennent que difficilement à en évacuer le soupçon de dessous électoraliste. Un soupçon né légitimement de la conjoncture politique choisie par Kerry pour poser ses valises à Alger, lui qui devait s'acquitter de cette mission en novembre dernier. La visite, on s'en rappelle, a été reportée sine die, le diplomate américain ayant été retenu par plus urgent, un conclave genevois avec son homologue russe sur le nucléaire iranien. Cela rappelé, la visite de Kerry est perçue, pour le moins, comme une caution morale à l'élection présidentielle, engagée, faut-il le noter, sous les plus mauvais auspices, notamment après l'intégration dans la course du chef de l'Etat malade et impotent. Le général Yala, particulièrement prolixe depuis le lancement des joutes électorales, s'est permis hier mercredi une tribune à travers laquelle il interpelle le diplomate américain : «Nous vous demandons de bien vouloir ne pas donner une caution morale à une élection basée sur la fraude au profit du Président-candidat, handicapé et absent, lui-même pris en otage par un groupe qui gouverne le pays par procuration depuis maintenant une année.» Reporters sans frontières (RSF) a, de son côté, saisi par lettre John Kerry pour lui demander de soulever avec Lamamra la question des atteintes à la liberté de la presse. Cela dit, quand bien même les Américains s'abstiendraient d'apporter leur caution au pouvoir en place, il leur sera difficile d'éviter que les autorités algériennes tirent des dividendes électoralistes de cette visite. L'audience que Bouteflika accordera à John Kerry sera inéluctablement un élément exploitable pour booster une campagne électorale poussive. Personne n'ignore les projections électoralistes des séquences télévisuelles consacrées au chef de l'Etat recevant ses hôtes étrangers. Les autorités algériennes tenteront d'en tirer le plus grand profit. Les Américains, de leur côté, n'y perdront pas grand-chose, sauf, peut-être, en terme de prestige, pour que de bonnes affaires soient conclues. Et c'est à cela que travaillera le chef de la diplomatie américaine qui devra co-présider avec son homologue algérien Ramtane Lamamra la deuxième session de dialogue stratégique entre les Etats-Unis et l'Algérie. Sécurité et affaires D'aucuns savent que la question sécuritaire entre Alger et Washington constitue le pivot de la coopération algéro-américaine, laquelle a été mise sur le bon rail depuis 2001, après le double attentat terroriste du World Trade Center. Cependant, ce n'est point là le vecteur exclusif de la coopération. Les Américains, comme tous les Occidentaux, explorent d'autres plates-formes d'affaires, à commencer par l'investissement dans le domaine des hydrocarbures. Les Américains lorgnent déjà le marché lié à l'exploitation des gaz et pétrole de schiste. Ils ont la technologie et l'Algérie a pris la résolution d'exploiter cette énergie fossile prisonnière de la roche. Le nouveau porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères, Abdelaziz Benali Cherif, a invité mercredi à ne pas réduire la visite de Kerry à la seule coopération sécuritaire, même si cette question est effectivement au menu des pourparlers et négociations. Il y aura, a-t-il expliqué, plusieurs groupes de travail sur différentes thématiques de coopération. Celle économique et commerciale y compris. Le Qatar en quête d'intermédiation En brouille avec ses voisins du Golfe arabique, le Qatar est à la recherche d'une intermédiation en vue d'une éventuelle réconciliation avec les principaux acteurs du Conseil de coopération du Golfe, notamment l'Arabie Saoudite. Le Qatar sait que seuls les Américains peuvent sonner la fin des jérémiades entre ses voisins, émirats gâtés qui ont la querelle à fleur de peau. Sur invitation de Bouteflika, l'émir du Qatar, Cheikh Tamim Ben Hamed Al Thani, débarque à Alger en même temps que John Kerry. Cette coïncidence des deux visites ne peut pas seulement procéder du hasard du calendrier. Il semble bien que l'une a provoqué l'autre. L'émir du Qatar ne vient certainement pas pour uniquement s'entretenir avec Bouteflika sur la coopération bilatérale, surtout en ce moment précis où le chef de l'Etat est censé être absorbé par la campagne électorale pour son 4e mandat. Cheikh Tamim Ben Hamed Al Thani, qui pourrait désirer concilier la position de son pays avec celle de l'Algérie au sujet de la crise syrienne, aurait plus à cœur de solliciter l'intercession d'Alger auprès de Washington pour que ce dernier use de son influence dans la région du Golfe en vue d'un retour au calme au sein du CCG. Les principaux membres du CCG sont, rappelons-le, en froid diplomatique avec Doha qu'ils accusent d'attiser les feux de la révolte islamiste et d'ingérence dans leurs affaires intérieures. Le coup a été durement ressenti par le Qatar qui s'est vu ainsi isolé dans son espace géopolitique immédiat. Il en veut de ce fait à l'Arabie Saoudite qu'il soupçonne d'en être l'instigatrice et, au-delà, les Américains qui auraient travaillé à faire de cette dernière l'émirat pivot dans la région. L'enjeu, apparemment, vaut de tenter des conciliabules avec les Américains en terre «amie».