Le projet de loi relative à l'activité audiovisuelle fait partie de la série de textes examinés et approuvés par le premier Conseil des ministres 2013 qui s'est tenu dimanche dernier. Ce texte tant attendu, qui est censé donner officiellement le signal à l'ouverture du champ audiovisuel, à son organisation et à son fonctionnement, traîne en longueur. Il a tellement traîné qu'en son absence, depuis plusieurs mois, l'on voit fleurir sur la toile, de nombreuses chaînes TV privées, qui exercent en toute illégalité, même si, à leur décharge, le pouvoir les «tolère». Mieux encore, et à la surprise des téléspectateurs qui s'y sont depuis habitués, les autorités de tous niveaux, jusqu'au niveau ministériel, ne se sont pas empêchées d'utiliser ces nouveaux canaux» à qui on a accordé, après plus d'une année d'exercice, des «dérogations spéciales». Comment, dès lors, va-t-on organiser ce nouveau maquis de l'audiovisuel ? Qu'est-ce qui, dans le projet de texte, permet d'atteindre les louables objectifs initiaux de déverrouillage du champ audiovisuel et peut-on objectivement «déverrouiller» l'audiovisuel si l'on continue à verrouiller la vie politique dans le pays ? C'est en application des dispositions de la loi organique du 12 janvier 2012 relative à l'information que le projet de loi relative à l'activité audiovisuelle et devant consacrer l'ouverture du champ audiovisuel à l'initiative privée a été conçu, préparé et approuvé dimanche en Conseil des ministres. Que dit ce projet ? De ce qu'on en a publié ici et là sur son contenu et des déclarations des ministres qui se sont succédé à la tête de la communication et notamment des grandes lignes révélées en mars dernier par Mohamed Saïd, ex-ministre de la Communication, ce projet de loi, s'il n'a pas subi de changements depuis, interroge sur plusieurs points et notamment sur le champ d'action : par son article 3, l'ouverture à l'investisseur privé dans l'audiovisuel ne pourrait être autorisée que pour la création de chaînes thématiques, réservant ainsi et de fait, les chaînes généralistes et informatives au seul secteur public. Si cette disposition était maintenue, l'on continuerait donc à verrouiller toute l'information et la liberté d'expression, tant clamée, ne pourrait s'exercer que si elle ne touche pas à la vie politique nationale. Partant, l'Unique et les nombreuses stations radiophoniques publiques continueront très tranquillement à exercer leur monopole sur l'essentiel. Quid du pluralisme de l'information ? L'on relèvera cependant que cette distinction dans le champ d'intervention, outre le fait qu'elle soit illusoire parce qu'inopérante, interroge sur la haute estime dans laquelle les rédacteurs du projet tiennent les activités autres que politiques et leur aveuglement à vouloir considérer qu'en traitant de la culture, par exemple, l'on peut ne pas faire de politique. Dans la foulée, le projet de texte de loi offre la possibilité au secteur public, tous secteurs confondus, d'ouvrir des chaînes, alors que l'Unique et ses 4 chaînes TV satellites peinent à offrir la qualité qu'attendent les téléspectateurs. Sur les conditions d'ouverture de chaîne TV et radio par le secteur privé, il est exigé qu'une majorité d'actionnaires soit issue de la profession, en l'occurrence des journalistes. Il est bienheureux que cette disposition soit inscrite dans ce projet, sauf qu'à ce jour et en attendant que les travaux de la commission consultative sur la carte de presse installée en mai dernier ne soient validés et approuvés, l'on pourrait mettre tout et n'importe quoi ou n'importe qui dans cette notion. Au final, est-il nécessaire d'appliquer cette disposition à des chaînes privées si celles-ci, dans ce projet de loi, sont exclues du champ informatif ? Dans l'article 43 du projet de loi, il est envisagé qu'«un même actionnaire ne peut détenir directement ou par personnes interposées plus de 30% du capital social ou des droits de vote» d'une entité audiovisuelle privée. En fait, et là aussi c'est heureux, les rédacteurs du projet tentent d'éviter qu'il y ait abus de position dominante et que le secteur de l'audiovisuel ne soit détenu par une poignée de détenteurs de capitaux privés qui agiraient à leur guise et au seul bénéfice de leurs intérêts. Dans ce projet, l'autre volet le plus contestable est aussi et sans aucun doute l'autorité de régulation. Comme dans tous les pays, y compris ceux qui sont parvenus à un degré élevé de liberté de la presse, une entité de régulation existe. Toute la différence entre ces autorités et la nôtre réside dans la mission qu'on lui fixe et dans la composition de ses membres. La constitution et le fonctionnement de cette autorité, chargée de réguler et d'encadrer l'activité du paysage audiovisuel national, vont manifestement au-delà de la régulation. Si l'on se réfère à la déclaration de Nacer Mehal, ministre alors de la Communication, l'on est loin de cette régulation. Voilà ce qu'il en révélait comme mission : «L'autorité de régulation constitue un garant en mesure de protéger le champ audiovisuel contre toute forme de manipulation ou de dérapage.» C'est dire ! Dans sa constitution, ce n'est pas mieux : ses 9 membres qui devraient compter en leur sein des représentants de la profession, seront en l'occurrence tous désignés, soit par le président de la République, soit par les présidents des deux Chambres et par celui du Conseil constitutionnel. Voilà bien là la preuve du rôle que l'on veut faire jouer à cette autorité qui sera là pour verrouiller au plus près et qui, de par les cahiers des charges qu'elle émettra, aura droit de vie ou de mort sur les nouveaux projets. Lorsque l'on sait par ailleurs que le secteur de la publicité n'est pas évoqué par ce projet de loi et qui, malgré toutes les demandes sollicitant son organisation et plus de transparence, est toujours géré dans l'opacité la plus totale et son traitement relégué aux calendes grecques, l'on est en droit de penser que l'ouverture de l'audiovisuel prônée ne peut être qu'un grand leurre, pour l'instant tout au moins. Lorsque le champ de liberté individuelle et collective sera effectif et lorsque l'Unique et les chaînes de radio nationales seront réellement des médias de service public et non une caisse de résonance du pouvoir en place, l'on pourrait alors y voir une volonté réelle d'ouverture par anticipation.