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Lettre de province
Une caserne soupçonneuse et une presse qui interroge
Publié dans Le Soir d'Algérie le 26 - 10 - 2013


Par Boubakeur Hamidechi
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C'est, sans doute, parce qu'elle a été rarement confrontée à la critique frontale de la presse que l'armée s'est longtemps crue à
l'abri des commentaires désapprobateurs. Le fait même qu'elle réagisse, par deux fois en moins d'un mois, à des écrits de journalistes est, non seulement, inhabituel mais de plus, cela montre clairement qu'elle éprouve quelques malaises à renoncer aux vieux privilèges d'une immunité dont le système l'avait dotée à sa naissance et qu'elle a toujours exercé de la manière que les Algériens connaissent.
«Institution à part entière de la République» ou au contraire «Institution entièrement à part» ? La question n'est à ce jour pas entièrement tranchée. Quant à cette inversion sémantique, qui en dit long sur l'histoire et les péripéties qui ont ponctué le rapport de la société et des pouvoirs avec elle, n'est-elle pas un raccourci significatif qui nous renvoie à un débat du passé ? Car, enfin, comment comprendre autrement cette stigmatisation disproportionnée de ce qui s'est publié dans les journaux alors que les écrits incriminés n'étaient qu'une somme d'interrogations autour de la manière, absolument surréaliste, dont sont conduites globalement les affaires du pays ? L'armée, étant partie prenante du destin de l'Etat, aurait-elle dû être épargnée, au nom d'on ne sait quel tabou qui l'identifierait au totem exclusif de la nation ? La réactivité de sa communication actuelle est inquiétante à plus d'un titre. Car elle donne à lire en pointillé que sa hiérarchie n'est pas encore parvenue à faire son aggiornamento par rapport à l'évolution des libertés publiques. Autrement dit, s'efforcer, elle aussi, d'accomplir sa «mise à jour» afin d'être prête à se réinsérer dans un nouveau dispositif institutionnel dont les fondements seraient la démocratie, la séparation effective des pouvoirs et la primauté du civil sur le militaire. Le réflexe d'autodéfense qui a fait grand bruit ces jours-ci ne peut, en effet, se décoder par les seuls soubresauts qu'elle vient de connaître récemment et qui s'est conclu par un jeu de chaises musicales dans la redistribution des missions en interne. Il doit être également connoté par ses «constantes» vis-à-vis desquelles elle parvient difficilement à admettre certains de leurs archaïsmes. Et pour cause, son rôle dans l'espace politique, ayant été continuellement pesant et secret, que cela lui semble difficile de s'en affranchir sans altérer sa «vocation» d'institution-pivot. Qu'ici et là l'on s'efforce, depuis 2004, de la créditer de neutralité républicaine n'a pourtant jamais pu gommer ses méfaits collatéraux dans l'orientation des urnes au profit du ticket qu'elle avait préalablement coopté. Faiseuses de présidents, depuis la désignation de Chadli, l'armée a certes changé de mode opératoire et cela en fonction des contextes nationaux ou parfois selon ses propres contraintes. Mais jamais elle n'a voulu ou seulement souhaiter s'effacer de l'espace politique, là où elle n'avait rien à faire, comme les déclinent tous les credo de la démocratie. Et c'est sûrement ce déficit dans la perception des attentes du pays qu'aujourd'hui certains confrères commentent, dissèquent et pourquoi pas brocardent comme le veulent les règles du jeu que sont la caricature, le billet et la chronique. Or en quoi des journalistes qui y recourent seraient-ils, par conséquent, passibles de crime de lèse-majesté, s'agissant seulement de la posture d'un général, alors que les présidents du Parlement (APN et Sénat) sont régulièrement de bons clients par la satire ? En fait, si les hiérarques de la caserne s'émeuvent et menacent en pointant la baïonnette judiciaire en direction de la presse («d'une certaine presse» (sic)), c'est un peu la faute d'une certaine révérence qui leur a été concédée lorsque l'armée se présenta comme le recours et le bouclier contre le terrorisme intégriste. Une reconnaissance qui se transforma vite en connivence entre elle et la presse jusqu'à se traduire en dithyrambes dans les écrits. Or, s'il est exact que l'ANP a sauvé la République elle n'a, par contre, pas contribué à la promotion et à la défense de la démocratie. Et c'est ce qui, désormais, se dit par les blogueurs sur la toile et parfois s'écrit dans la presse. En clair, ses ambiguïtés et aussi ses manipulations lors des enjeux majeurs par le passé n'aident plus à voir clair dans ses positionnements. Car, au lieu de se cantonner dans la respectable mission de vigie afin de soustraire la transparence des urnes aux faussaires et de délivrer des ultimatums quand le viol de la Constitution a eu lieu, elle fut hélas confondue par une sorte de «complicité passive» en 2008-2009. Ce pourquoi l'Etat est en train de sombrer aujourd'hui.
Dans une Algérie qui se lève chaque matin avec un stock d'interrogations et se rendort le soir sans trouver une seule réponse à ses angoisses comment peut-elle faire encore confiance à ces institutions de l'Etat ? Que l'armée soit la plus influente parmi celles-ci ne la dédouane pas, pour autant, de la dérive générale. Et si la presse en parle expressément et sans précaution de langage, qu'elle seule trouve d'ailleurs outrancier, c'est qu'il y a réellement péril en la «demeure-Algérie» et dont le bras armé de la nation ne peut ignorer les conséquences à terme. L'ANP, dont le républicanisme foncier a fait ses preuves au cours de la décennie noire, doit être interpellée dans de telles circonstances sans qu'elle y voie une quelconque «campagne tendancieuse», comme elle l'a exagérément exprimé. A elle donc de s'affranchir des jeux du palais et de la connexion des réseaux en train d'échafauder le plus grand holdup sur l'Etat, lui-même !
De tous les lieux communs qui décrivent la vocation d'une armée, celui de la défense de l'intégrité territoriale de la nation est évidemment le plus souvent cité. Mais alors que faire d'un espace fiable et sécurisé quand l'Etat, à travers les institutions qui le dirigent, devient virtuel ou, pire, livré à toutes les sorcelleries politiciennes et maffieuses ? Quid alors de l'armée face à «Bled essiba» quand le «makhzen», à son tour, est squatté ?


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