La réaction du ministère de la Défense nationale contre la chronique de Saâd Bouakba est un rappel à l'ordre adressé à la presse en général et, en particulier, aux billettistes et caricaturistes. De par leur statut, ces journalistes bénéficient d'une large liberté pour commenter et croquer l'actualité. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) Faut-il bannir des colonnes de la presse algérienne l'humour grinçant et l'ironie ? C'est ce que l'on doit comprendre à la lecture du communiqué rendu public par le ministère de la Défense nationale, vendredi soir, suite à la publication de la chronique «Point d'ordre» du quotidien El Khabar. Selon le département de la défense, l'écrit du billettiste «laisse transparaître un acharnement clair et une attaque manifeste contre l'institution militaire, assortis de diffamation et de provocation à l'endroit des cadres de l'Armée nationale populaire (ANP), d'une manière totalement étrangère à la déontologie du métier de journaliste (...) dénote d'une ingratitude envers les efforts et les sacrifices consentis par l'ANP pour rétablir et consolider la sécurité et la stabilité du pays et réaliser des résultats concrets que même l'ennemi ne saurait dénier». «Acharnement de certaines plumes», «campagne tendancieuse», «méthodes médiatiques immorales»... le communiqué est porteur d'accusations et s'achève par une menace puisque le MDN se réserve «le droit de poursuites judiciaires». Une réaction qui peut être qualifiée d'excessive du fait du statut dont jouissent chroniqueurs et dessinateurs de presse au sein d'une rédaction de presse. En journalisme, la différence entre le reporter, le billettiste et le caricaturiste est claire : le premier collecte l'information tandis que les deux autres la commentent. Et dans cet exercice, ils jouissent d'une large liberté. Selon Hichem Baba Ahmed, alias le Hic, la sortie médiatique du MDN pourrait être le résultat d'un «changement de stratégie». «Par le passé, le ministère de la Défense ne disait rien, il réagissait en saisissant directement la justice. Mais depuis les changements qui ont touché les structures militaires, j'ai l'impression que l'armée réagit en communiquant. Cela donne lieu à des maladresses, voire même à de l'excès de zèle», explique le caricaturiste d'El Watan. «La grande muette est devenue la grande bavarde», ironise le Hic. Pour Amine Labter du Soir d'Algérie, les autorités veulent marquer les esprits en faisant de Saâd Bouakba un «exemple». «Après un blogueur, on s'attaque à un chroniqueur. Il est évident que les autorités ne supportent pas les critiques, surtout à l'approche des élections présidentielles», estime-t-il. Reste que pour le Syndicat national des journalistes, la menace est prise au sérieux. «La réaction du ministère de la Défense est amplement disproportionnée et n'a même pas lieu d'être au vu du contenu et de la nature même de l'écrit incriminé du fait que c'est une chronique», précise le secrétaire général du SNJ, Kamel Amarni. «Nous sommes préoccupés par la célérité d'une telle réaction, jusque-là inhabituelle à l'institution militaire. Quoi qu'il en soit, nous sommes entièrement solidaires du confrère Saâd Bouakba», note Kamel Amarni.