Ce sera la première fois que nous allons passer les commémorations du 1er Novembre 1954 sans toi Si Mokhtar. Pour ceux qui ne l'ont pas côtoyé ou connu, Si Mokhtar est issu d'une famille de révolutionnaires : frères et sœurs au maquis. Il vouait une immense admiration à son frère aîné le Chahid Kaddour militant depuis les années 1940. Si Mokhtar était commandant du 21e Bataillon Didouche et de la 5e CLZ en zone nord pendant la révolution. Il est un des héros de la bataille d'Aïn Zana (14 juillet 1959). Durant la crise de l'Etat Major-GPRA, qui a débouché sur un commandement militaire unifié et confié au Colonel Boumediène, Si Mokhtar va maintenir son unité saine et sauve au service du pays tout en participant à d'autres actions éclatantes contre le dispositif ennemi. Il sera le supérieur de nombreux soldats dont certains sont encore en vie que je salue affectueusement. J'ai eu l'occasion de contacter ces derniers jours pratiquement tous les compagnons de Si Mokhtar et notamment M. Labudovic qui fut le reporter de guerre qui a filmé une très grande partie de la guerre d'Algérie dans le maquis en zone nord et qui deviendra un ami. En 1962, Si Mokhtar va participer en tant que membre du commandement de la place d'Alger pour sécuriser la capitale et permettre aux institutions de fonctionner normalement. En 1963, Si Mokhtar entamait son soutien actif au mouvement de libération en Afrique en participant à la création de camps d'entraînement tels que celui de Bagamoyo en Tanzanie. Il fut amené plus tard à occuper des postes importants : chef d'état-major de la 1re Région militaire en 1965 sous feu Saïd Abid et de la 5e Région militaire en 1977. Il fut appelé en renfort par Boumediène à Tindouf en 1976 dans les moments les plus forts... A partir de 1968, Si Mokhtar se porte volontaire dans les mouvements de libération en Afrique, il fut le seul à entrer en Angola et à risquer sa vie aux côtés d'Agostino Neto dans les maquis angolais face aux troupes coloniales portugaises convaincu qu'il était nécessaire que l'Algérie soutienne totalement la libération totale de l'Afrique. Si Mokhtar aimait raconter les deux tentatives d'assassinat dont il échappa par miracle. Ses compagnons de lutte se souviennent avec émotion de l'immense respect qu'avaient pour lui les militants du MPLA et du Frelimo, ceux-là mêmes qui, formés par lui aux techniques de la guerre de Libération, étaient appelés pour certains aux plus hautes fonctions de leur pays enfin libéré. Homme honnête, ayant son franc-parler, il va s'attirer pendant toute sa carrière beaucoup de jalousies qui lui valurent plusieurs traversées du désert. Malgré cela, le Président Boumediène le tenait en haute estime puisqu'il lui confia en octobre 1967 le commandement de la 5e Brigade pour une éventuelle mission au Moyen-Orient. Boumediène avait refusé de céder aux pressions de certains membres de son entourage, eux-mêmes abusés par des gens malintentionnés, tant il le respectait pour son honnêteté et son travail. Très populaire au sein de l'armée et auprès de ses troupes qui lui vouaient beaucoup d'admiration, il fut, après la mort du Président Boumediène, mis à la retraite forcée à l'âge de 51 ans. Quelle plus grande preuve de patriotisme peut-on donner quand on renonce à ses acquis sociaux, à son confort et sa tranquillité, à la sécurité matérielle de ceux qu'on a en charge pour s'impliquer corps et âme dans la construction de son pays à l'aube d'une ère nouvelle. A tous les compagnons d'armes au sein de l'ALN et par la suite au sein des mouvements de libération en Afrique, à ses équipes au sein de l'armée, je tenais à vous dire que les dernières années de Si Mokhtar et sa petite famille furent hélas difficiles, éprouvantes, un enfer. Il fut livré sans aucune pitié et sans aucune protection au harcèlement quotidien de ceux qu'on appelle les gens au passé douteux et sale. Comment ces individus ont agi de la sorte en toute impunité s'ils n'avaient pas un appui fort au sein de la plus haute instance de l'Etat ? Ces individus vont jusqu'à concocter des textes sur mesure afin de contourner la loi. Si Mokhtar, qui avait une foi immense en Dieu et en son pays, a affronté cet acharnement avec beaucoup de courage. Son seul tort, son dévouement pour son pays, son honnêteté et sa popularité et surtout de ne pas faire partie d'aucun clan sauf celui de l'Algérie. Il a ressenti un sentiment d'injustice et un profond sentiment que l'Etat ne protège pas ou plus nos hommes valeureux livrés sans vergogne aux sales agissements. On a donc célébré le 1er Novembre 1954 sans toi Si Mokhtar et sans bien d'autres à un moment où ce jour prend de plus en plus une signification encore plus importante. Beaucoup de personnes m'ont dit qu'on (qui ne signifie pas le nous mais bien le indéterminé) ne veut même plus ni de l'odeur du moudjahid ni de l'honnête citoyen. Le plus étonnant, c'est que même en s'adressant à de hautes personnalités de l'Etat rien n'a pu être fait. Une commission d'enquête doit être demandée dans les plus brefs délais pour enquêter sur les graves faits qui ont permis que ce genre d'agissements sur Si Mokhtar, un des symboles de l'Algérie. Au demeurant, c'est le sentiment général chez tous les anciens de l'ALN qui l'ont apprécié. Merci Si Mokhtar que tu sois resté fidèle à ton engagement et pour ton respect de la mémoire des Chouhadas. Ceux qui t'ont connu restent fidèles à ta mémoire et n'oublient pas ce que tu as apporté à ton pays et au continent africain tout entier. Les témoignages que j'ai eus de tous ceux qui t'ont connu me font garder espoir et me donnent du courage pour aller jusqu'au bout.