Créée à l'issue du congrès du PPA, au début de l'année 1947, l'Organisation Spéciale (OS) était chargée de préparer le parti à l'action armée. Elle a eu tôt fait d'être découverte et démantelée à la suite d'une expédition punitive décidée contre un de ses membres et qui avait mal tourné. Mohamed Mechati, alors responsable de zone de cette structure, revient sur cet événement. Le Soir d'Algérie : Dans quelles conditions et dans quelle conjoncture l'idée de la création de l'Organisation Spéciale avait-elle surgi ? M. Mechati : Au cours du congrès de 1947, Messali Hadj, président du PPA, avait fait part de sa volonté de transformer le parti en organisation légale dans la perspective de prendre part aux élections prévues dans le cadre de l'Assemblée algérienne. Il avait avancé comme argument que le passage du parti à la légalité allait permettre de gagner à l'idée d'indépendance plus de couches sociales, ainsi que les intellectuels, les libéraux français... En réalité, il avait été influencé par certaines personnalités arabes, dont Azzam Pacha qu'il avait rencontré à Paris. La très grande majorité des congressistes était atterrée à l'idée d'une telle métamorphose du parti, de surcroît après la sanglante tuerie du 8 Mai 1945, à la suite de laquelle avait été déjà ébauché le passage à l'insurrection. Cette idée a été malheureusement remisée dans la confusion qui a suivi à travers une série d'ordres et de contre- ordres. Mais il fallait aussi conjurer le risque d'implosion. Finalement, l'équilibre a été trouvé : le parti légaliste, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) devait se doter d'une structure clandestine, chargée de la préparation au passage à l'action armée, l'Organisation Spéciale, dont la direction nationale avait été confiée à Mohamed Belouizdad, chargé de la coordination de l'action paramilitaire et des relations avec la Direction du Mouvement. Quels furent les faits d'armes de cette organisation ? L'Organisation s'attelait surtout au recrutement d'éléments aguerris, au développement de la logistique et à la formation des militants dans la perspective du combat. Nous avions une organisation qui était déployée sur tout le territoire. Des centaines d'hommes déterminés et formés aussi bien théoriquement qu'à à la subversion et à la guérilla. Au plan spectaculaire, il y eut l'attaque de la poste d'Oran, la tentative de destruction de la statue de l'émir Abdelkader dont on ne concevait pas qu'elle lui fût érigée par l'ennemi... L'Organisation, conçue donc comme le fer de lance de la lutte armée imminente, a eu tôt fait d'être découverte . A quoi imputez-vous ce quasi-avortement ? Fondamentalement, il me semble qu'il est impératif de revenir à la genèse de cette création. L'OS était née d'un compromis ; elle ne recueillait pas l'unanimité au sein de la direction du parti légal et ainsi ne bénéficiait pas de tout l'intérêt et de toute l'implication que lui devait l'appareil. C'était un des péchés originels. Mais on doit concrètement la mise au jour de l'Organisation à une conception volontariste et par endroits expéditive de la discipline. On a copieusement disserté sur l'affaire de Tébessa et on lui a conféré une origine aussi simple qu'erronée : il se serait agi de réprimer un acte de trahison, de collusion avec la police française. Ce n'est pas aussi prosaïque que cela. Je peux témoigner que dans le contexte de cette affaire, il planait un malaise dans une grande partie de l'Est algérien où beaucoup de militants étaient ulcérés par l'exclusion du parti du docteur Lamine Debaghine, un dirigeant d'envergure, de très grande compétence et justement très estimé. Et ils le faisaient savoir. Rhaim, un cadre contre lequel était dirigée l'expédition, était de ceux-là. On le soupçonnait d'avoir menacé de livrer à la police coloniale l'organisation, sans tenir compte de l'état d'esprit et du mécontentement diffus produits par le sort fait à L. Debaghine. Un commando allait s'emparer de lui. Dirigé par Didouche et comprenant Benaouda et Benzaïm, entre autres ce groupe capture Rhaim qui est parvenu cependant à s'extirper du coffre de la voiture dans lequel on l'avait enfermé. Terrifié, il s'en est remis à la police. Cet incident allait conduire à une arrestation massive d'activistes et de cadres. Peu y ont échappé. Il faut retenir que ces méthodes avaient été inaugurées un peu plus tôt à Biskra où un commando dirigé par Abderrahmane Gherras, et dont je faisais partie, devait «corriger» un militant «défaillant» ; l'opération avorta aussi, mais n'eut pas de conséquence sérieuse sur la préservation de l'Organisation. Comment la direction du parti avait-elle réagi ? Les dirigeants de l'OS ont alors proposé que soit reconstituée l'Organisation dans une conception qui tienne compte de la situation. Dans un premier temps, ils n'obtinrent aucune directive, hormis, un peu plus tard, celle de redéployer les rescapés dans l'action politique. Je dois quand même à la vérité de m'inscrire en faux contre les allégations tendant à faire accroire que le Comité central avait abandonné les éléments «lourds» de l'OS. Un homme comme Hocine Lahouel avait été exemplaire dans la solidarité et l'assistance. Puis la décision tomba comme un couperet. Il a été ordonné de dissoudre l'OS et on nous a commandé de nier son existence qu'on devait mettre sur le compte d'un «complot» de la police visant le parti légal. Cette thèse eut l'heur de rallier certains segments de la classe politique, et l'UDMA et le PCA, notamment, y crurent sincèrement !! Quelles conséquences ont eues cette découverte et cette dissolution sur les conditions du déclenchement de la lutte armée ? C'est évident, ces événements ont porté un coup à la préparation du passage à l'action armée et passablement émoussé les espérances de notre peuple. Mais en même temps, ils mettaient un terme à l'illusion de l'unanimité et de la volonté du parti à passer à l'acte. La crise de 1953 a paradoxalement été l'occasion du dépassement de l'impasse dans laquelle s'était trouvé le parti quand bien même elle a donné lieu à des affrontements pénibles entre patriotes. Je arends justice à Lahouel Hocine pour son initiative de relance de l'idée de la lutte armée — c'est lui qui a contacté Boudiaf, dernier responsable de l'OS — et de promouvoir la création du CRUA qui allait tenter de réunifier le parti autour de l'insurrection. Après deux réunions, Mohamed Boudiaf s'éloigne de Lahouel pour finalement réunir ce qui allait devenir «le groupe des 22».