Par Boubakeur Hamidechi [email protected] N'accablons pas trop notre pays. Ailleurs, aussi, le sport et la politique font souvent bon ménage, surtout lorsqu'il s'agit du football et de son immense popularité. Voilà donc pourquoi les pouvoirs sont toujours attentifs aux performances des sélections représentatives, notamment lors des joutes mondialisées. Cela a de tout temps été le cas chez nous dans les moments cruciaux, mais à la différence de ce qui se passe ailleurs, ici, il y a «un je-ne-sais-quoi» qui frise le «patriotardisme» chauvin à travers lequel l'on croit deviner que nos princes qui nous gouvernent jouent, dans les instants d'un match, leur propre avenir. C'est par conséquent l'excessive fébrilité que ceux-là manifestent qui fait dire aux sportifs authentiques que leur passion, à eux, est systématiquement récupérée à des fins inavouables. De celles qui sentent à mille lieues les odeurs de quelques campagnes électorales. Nous y sommes cette fois-ci, dans la même configuration qu'il y a 4 ans. A la veille de la confrontation décisive avec le Burkina Faso, l'on suppose même que cet agité de Premier ministre, jusque-là en goguette à travers le pays, sera obligé de poser son sac à dos à proximité du stade de Blida afin d'être évidemment le premier à féliciter les futurs héros et à traduire leur succès en preuve par neuf de la bonne santé de notre pouvoir. Hélas, peut-on empêcher d'aussi malsaines contrevérités lorsque l'enthousiasme juvénile avec ses débordements de joies innocentes applaudit et fête sans rechigner un pays qui leur appartient ? Car, durant cette semaine qui commence, il n'y aura pas de sujet à commenter plus important que celui concernant les péripéties du football national. Décrétées, sous la pression des foules passionnées, «journées de veille», avant la nuit du destin coïncidant avec le mardi 19 novembre, elles seront à l'évidence minutieusement décrites dans les pages des journaux et pas seulement dans celles habituellement consacrés aux sports. Ce «supplément d'âme» de la presse, comme l'on disait jadis, ne sera pas alors relégué à l'arrière-cour des publications. La nécessité médiatique faisant loi, le football, aussitôt occupera toutes les «unes» des quotidiens jusqu'à devenir, grâce à cette parenthèse, l'inespéré appel d'air qui manquait tant à un pouvoir harcelé sans discontinuer par la critique des journalistes. D'ailleurs c'est avec une secrète jubilation à l'idée que l'équipe nationale réussisse son examen de passage que le propagandiste d'El-Mouradia reprendra le chemin du pays profond avec des slogans nouveaux et un lexique enrichi par les performances des stades. La récupération escomptée lui servira alors de thème auprès des jeunes chômeurs des bourgades afin de gommer les déconvenues qu'il venait de subir à Khenchela et Oum-El-Bouaghi auprès de semblables foules de marginaux. N'étant pas à une contrevérité près, l'on peut s'attendre de sa part qu'il dise à ses prochains interlocuteurs que «l'Algérie est bien plus qu'un pays stable», comme il a pris l'habitude de répéter en boucle. Il y ajoutera opportunément que «nous jouons une fois de plus dans la cour des grands grâce justement à la vision éclairée du président de la République» ! C'est dans ce genre de pathos falsificateur que les dirigeants actuels excelleront à leur tour lorsqu'il leur faudra battre campagne officiellement pour la réélection de Bouteflika. Or, c'est justement la discipline elle-même qui ne trouvera pas son compte dans cette débauche de superlatifs et le détournement politicien qui a travesti la pénible réalité du mouvement sportif national. Certes, une qualification à la compétition mondiale la plus médiatisée dans la planète projette sur le pays une image positive et des a-priori sympathiques sauf que l'Algérie, telle qu'en elle-même, ira récolter des fruits dont elle n'avait pas semé les graines. Nos porte-drapeaux en football ne sont-ils pas, en effet, pour la plupart des progénitures d'expatriés dont seuls les centres et les écoles de l'étranger ont révélé leurs talents ? Identitairement algériens, il est vrai, cependant ils sont loin de constituer l'étalon de référence de ce qui s'est fait ici dans le domaine de l'éducation physique et sportive. Bien évidemment, l'on nous rétorquera qu'à ce niveau de l'excellence mondiale, tous les pays font de même en allant chasser partout les pépites au nom de la règle du sang même si ces joyaux étaient enracinés dans d'autres sols. Cela n'est en fait que partiellement vrai dès l'instant où la démarche ne concerne que quelques athlètes d'exception alors que c'est le contraire qui caractérise notre représentation nationale. Rappeler cette singularité aux démagogues du pouvoir n'altère en rien l'adhésion des Algériens à leur drapeau et à ceux qui l'honorent sportivement. Elle fait simplement le lien entre le discours surfait qui bonifie par l'usurpation et l'imposture une gouvernance qui a échoué dans le domaine sportif comme dans tant d'autres. Comme en 2009 et pratiquement à la même époque de cette année-là, l'Algérie, qui avait gagné un ticket contre l'Egypte, n'a pas été imaginée et encore moins conçue par le génie d'El-Mouradia. Elle n'avait dû son sursaut d'orgueil qu'à la faveur du petit peuple de sportifs qui l'avait dopée. Cette fois-ci encore, elle pourra compter sur cet amour-propre national qui ne doit rien à ceux qui sont en charge de l'Etat. Malheureusement, ces derniers sont d'ores et déjà en embuscade pour voler au secours d'une victoire et se l'approprier comme un trophée à la gloire du régime. Ainsi vont chez nous les messes quadriennales qui dépouillent les foules d'anonymes du peu qui leur revient de droit. Faut-il alors souhaiter, en son for intérieur et avec un pincement au cœur, une élimination juste pour se venger de nos princes ? Sûrement pas ! Ce serait alors rajouter une louche de désespoir au moral d'une société qui, déjà, n'en pouvait plus.