Par Brahim Taouchichet Il ne s'agit pas d'isolement, de protectionnisme ou d'un quelconque nationalisme régional, mais de s'organiser à terme un marché intérieur méditerranéen. C'est un personnage comme aime à les produire l'émigration algérienne. En France tout particulièrement. Ce ne sont pas les quelques démêlés avec la justice française en qualité de président de France Plus dans les années 1990 qui vont le décourager. Cet enfant de Draâ-El- Mizan (Tizi Ouzou), «sorti du lycée Amara-Rachid», dit-il non sans fierté, n'hésitera pas à tirer le diable par la queue et tenter, comme beaucoup, l'aventure outre-Méditerranée d'abord pour des études supérieures et revendiquer une place au soleil dans la grisaille du ciel parisien. Arezki Dahmani, la soixantaine bien entamée, arbore un activisme qui ferait pâlir de jalousie bien plus jeunes que lui par ses allées et venues de la société civile à la société politique et inversement. Difficile de résister à l'invitation au voyage qu'inspirent ses expériences, ses projets d'une ambition insolente. A l'écouter l'on se prend à rêver de lendemains qui chantent, de verts pâturages des deux côtés de la Méditerranée où il ferait bon vivre pour tous, loin de toute discrimination et dans une grande fraternité retrouvée. Oubliés enfin les rancœurs, les querelles et les conflits récurrents qui laisseraient la place à une grande solidarité des peuples méditerranéens. Arezki Dahmani se dit optimiste, le regard porté sur la ligne d'horizon. En aparté, il nous livre son palmarès sinon ses hauts faits d'armes comme par exemple cette brochure Les droits et devoirs citoyens à l'occasion de l'intronisation dans la nationalité française de près de 4000 Algériens établis en France — avec, semble-t-il, le soutien quasi inconditionnel de Charles Pasqua, homme fort du RPR et ancien ministre de l'Intérieur — dans l'antre de la mairie de Paris tenue alors par Jacques Chirac secondé par le non moins réputé adjoint Jean Tiberi. L'opération aura également lieu dans une centaine de municipalités de Marseille à Dunkerque. Etaitce déjà un avant-goût du style Arezki Dahmani ? Mitterrand, Jospin, Pasqua, Rocard Il nous raconte sans sourciller sa rencontre avec François Mitterrand au sujet de listes uniques pour les élections législatives qu'il avait proposées. Il avait été recommandé par le défunt président socialiste à Lionel Jospin qui le reçoit très vite dans son bureau. Il refuse la suggestion de Jospin d'être tête de liste qui ferait de lui un député et d'entrer dans le gouvernement socialiste de Michel Rocard dont il se prévaut de l'amitié vu l'engagement anti-colonialiste de celui-ci. Rien que ça ! Mais la politique ce n'est pas son unique dada puisqu'en plus il est professeur chercheur à l'université Paris 13. Aujourd'hui, Arezki Dahmani apporte dans sa besace plein de projets pour le bien des peuples de la Méditerranée ! Le moins que l'on puisse dire est qu'il défend sa cause avec force arguments dans un ton parfois émouvant s'agissant de certaines grandes questions liées à la sécurité, la pollution, le racisme, les conflits, l'hégémonie des puissances européennes sur les pays de la région. Enthousiaste, passionné, il nous en fait la démonstration à la manière d'un cours magistral à l'université. C'est à prendre et non à laisser, les deux rives de la Méditerranée sont un espace dans lequel il fonde désormais tous ses espoirs à travers la société civile vu que «les politiques sont englués dans leurs calculs, leurs contradictions». Place donc à l'engagement citoyen désintéressé des hommes et des femmes de bonne volonté et pour le plus grand bien de tous. Arezki Dahmani fourmille d'idées. A cet égard et il se veut concret. Il s'agit de bâtir la Maison de l'union méditerranéenne (MUM) dont il est le secrétaire fédéral. C'est une idée née d'une réflexion profonde quant aux immenses potentialités de la diaspora des pays des deux rives de la Méditerranée, présente dans les Amériques, en Europe et ailleurs qu'il faudra mettre en synergie grâce aux opportunités d'investissement et l'interactivité qu'offrent les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) à travers la mise sur pieds d'un «Facebook méditerranéen». La MUM au lieu de l'UPM Notre professeur fait le constat qu'à l'heure de la mondialisation aucun pays ne peut s'en sortir tout seul. Il balaye d'un revers de la main l'Union pour la Méditerranée, projet avorté de l'ex-président Sarkozy — un enfer pavé de bonnes intentions. «C'est face à cette impasse que la société civile s'est organisée au sein de la MUM et qui s'est fixé comme slogan : ‘‘Pour un avenir d'excellence''». Par ailleurs, si le but est de s'affranchir du joug de l'Europe et de «promouvoir l'identité méditerranéenne il ne s'agit pas d'isolement, de protectionnisme ou d'un quelconque nationalisme méditerranéen», mais de s'organiser à terme un marché intérieur méditerranéen à l'image de l'Amérique du Nord (Etats-Unis–Canada) de l'Europe, de l'Amérique du Sud, l'Asie qui assure liberté de circulation des hommes et des femmes, des capitaux, monnaie unique et promouvoir le tourisme culturel. Ainsi pour la MUM, le facteur humain aura à jouer un rôle majeur dans la construction de l'avenir. La diaspora méditerranéenne de 27 pays de la région (incluant en plus l'Iran et l'Arménie pour des raisons historiques et culturelles) disséminée à travers le monde dispose de potentialités extraordinaires qui sont autant d'atouts à mettre en commun. Bien sûr il faudra assainir l'environnement des affaires afin d'attirer les capitaux et faire sauter d'autres verrous protectionnistes, selon lui, comme par exemple la règle 51/49, qu'il voit comme un archaïsme, car il faut «laisser l'Algérien faire...». C'est donc la primauté économique qui doit prévaloir. Elle seule est à même de prévenir les conflits parce que «l'histoire lointaine de nos ancêtres les Phéniciens nous a prouvé durant 5 siècles que la prospérité et la paix entre les peuples de la Méditerranée était assurée par le développement du commerce». «Liez les ventres des peuples par l'économie ou le pain vous chassez la misère et vous assurerez la prospérité des peuples, condition sine qua non d'une paix durable.» Profession de foi ou conviction induite par la faisabilité des projets envisagés, notre interlocuteur se fait prolixe en arguments sur tous les bénéfices que tout le monde pourrait retirer de cette aventure méditerranéenne qui mobilise déjà, semble-t-il, plusieurs cercles de la MUM ouverte à tous les secteurs : droit, architecture, santé, journalisme... L'opportunité est offerte à «n'importe quel citoyen de créer et d'animer son cercle». A titre d'exemple, Arezki Dahmani cite celui du professeur Djamel Didoune de Marseille, président du Cercle méditerranéen des médecins qui prépare pour janvier 2014 à Oran un colloque sur le diabète à partir du cas algérien. Le label Méditerranée Olive au label multiple, charte commune des droits de la femme méditerranéenne, obligation pour les patrons de réserver 1/5e des postes de travail aux handicapés (le non-respect de cette disposition l'expose à des sanctions sous forme de pénalités), promotion du grand Sud algérien à partir du cercle de Djanet, promotion de l'artisanat, création de la première chambre de commerce et d'industrie franco-algérienne, «initiative que nous soutenons» et intégrer l'immigration algérienne par le rachat d'entreprises en dépôt de bilan (2000 entreprises par an baissent rideau) dans l'hôtellerie, la restauration, et autres secteurs des services, etc. Arezki Dahmani n'est pas à bout de souffle à l'énumération de tous ses projets. Dans l'immédiat, il y a le «Paris-Med», qu'il préside, et qui aura la charge d'organiser «Le Village Méditerranéen à Paris» prévu pour avril 2014 sur l'esplanade de la Défense, l'avenue des Champs-Elysées et dans les jardins du Trocadero. Plus d'un million de visiteurs sont attendus. Il s'agit, nous dit-il, d'un mois d'exposition exceptionnel avec plus de 500 stands thématiques, des animations et des colloques consacrés évidemment à la Méditerranée. Un passeport méditerranéen symbolique sera remis aux visiteurs. Imaginez tous ces espaces parisiens couverts de tentes blanches. Du beau spectacle, cela va sans dire ! Hollywood à Relizane Cependant (tenez-vous bien si vous êtes debout !), le projet le plus grandiloquent n'est autre que la «Cité du cinéma», une sorte d'Hollywood à Relizane (280 km à l'ouest d'Alger). «Grâce à la sollicitude premier responsable de cette wilaya et celui d'Oran les terrains sont déjà affectés. Nous nous appuyons sur un réseau d'amitiés sur place... En retour, les sponsors de cette gigantesque entreprise intitulée ‘‘Ifriqia'' s'engagent à «faire de Relizane et sa région un haut lieu du cinéma mondial où pourront s'écrire les plus belles pages du 7e art et de la télévision dans les années à venir.» Les monstres de Hollywood, version United States, n'ont plus alors qu'à bien se tenir... Imaginons la distribution architecturale de ce super-complexe intégré de 10 hectares. Il sera doté de 12 plateaux de tournage (cinéma et TV), des ateliers pour les décors, des boutiques et des restaurants, des hôtels de luxe, un parc d'attractions, un espace sport avec lac artificiel, un terrain de golf, un circuit automobile, une piste d'atterrissage pour petits avions et hélicoptères... Ça donne le vertige reconnaissons- le, encore que nous passons sur d'autres merveilles que promet le Hollywood algérien. Et puis voilà, notre chercheur nous guérit aussi de nos angoisses de l'après-pétrole exacerbées par l'épuisement des réserves sahariennes. Et d'ailleurs, à propos des énergies de substitution, Dahmani a plus d'un tour dans sa boîte à idées. Il est tout à fait faisable, selon lui, de récupérer le grignon (déchets des olives pressées des huileries) pour en faire une source d'énergies renouvelables grâce à des usines adaptées. Outre ces avantages écologiques, les cultivateurs de l'olivier y gagneraient puisque le grignon leur sera acheté... à prix d'or. Que c'est beau la vie en Méditerranée...