Nadir Abderrahim, secrétaire général de l'Union nationale des opérateurs de la pharmacie (Unop), commente la récente dévaluation de la monnaie nationale et détaille les craintes de sa corporation. Il plaide, surtout, pour une révision du système de fixation du prix du médicament afin de sauvegarder les opérateurs nationaux. Le Soir d'Algérie : Votre organisation craint un impact négatif de la dévaluation du dinar sur les médicaments. De quoi s'agit-il exactement ? Nadir Abderrahim : La dépréciation de la valeur externe du dinar algérien se traduira de manière inévitable par un renchérissement de nos coûts de revient. L'impact négatif est incontournable. La dévaluation du dinar, de près de 10%, engendrera un surcoût du prix du médicament importé et aura autant d'influence sur les produits fabriqués localement car une grande partie de leurs intrants est importée. C'est là, bien sûr, une situation réellement préoccupante pour les membres de notre association et, au-delà, pour l'approvisionnement régulier du marché national en produits pharmaceutiques. La dépréciation de la monnaie nationale concerne l'ensemble de l'économie. Pourquoi seule l'Unop serait-elle impactée ? La raison en est toute simple : le marché des médicaments est le seul (en dehors des produits subventionnés par l'Etat) au sein de notre économie à faire l'objet d'un système de prix fixes, déterminés directement par les autorités (ministère de la Santé et ministère du Travail). Ainsi, quand tous les autres secteurs d'activité, libres d'ajuster leurs prix, répercutent cette hausse instantanément, les producteurs de médicaments, eux, ne peuvent absolument pas agir sur les prix de leurs produits, pour des raisons réglementaires. Notre inquiétude est justifiée à double titre. D'une part, parce qu'un système dans lequel l'augmentation des coûts de revient ne peut être répercutée sur le prix de vente, ne peut pas être un système viable dans la durée. La volatilité du coût de nombreux facteurs (matières premières, main-d'œuvre, transport, assurance, etc.), en particulier dans le contexte inflationniste qui caractérise aujourd'hui notre économie, ne peut pas s'accommoder longtemps de l'excessive rigidité qui marque le prix au consommateur de nos produits. L'érosion incessante de nos marges est, du reste, tout à fait incompatible avec le caractère prioritaire que les autorités publiques semblent vouloir attacher au développement à long terme d'une industrie pharmaceutique puissante et performante. D'autre part, nous sommes particulièrement préoccupés par la menace qu'un tel système fait peser sur le devenir de la production nationale, qui se retrouve, de facto, discriminée par rapport à l'importation. Je souhaiterais attirer l'attention sur le problème des prix lors de l'enregistrement des médicaments au niveau du ministère de la Santé. En effet, lors de l'obtention de la décision d'enregistrement autorisant la mise sur le marché, le prix du produit importé est enregistré en monnaie étrangère (euro ou dollar US) ; il n'est donc impacté en aucune façon par le contexte inflationniste local. En revanche, le producteur local subit de plein fouet toutes dépréciations du dinar aussi bien dans son activité de production que d'importation. Le prix du produit de fabrication locale est, bien entendu, fixé en dinar algérien, ce qui est parfaitement normal ; ce qui ne l'est pas, c'est qu'il est figé réglementairement sur une période de cinq années, une période pendant laquelle le contexte économique du producteur national peut être affecté profondément, comme c'est le cas depuis 2008 à ce jour. Nous disons donc très clairement que, si notre pays souhaite développer et promouvoir une industrie pharmaceutique pérenne, il doit mettre à niveau les règles qui régissent le système des prix qui ne répond plus à la réalité et l'environnement actuel. Que pensez-vous d'une déréglementation du système des prix ? Ne pensez-vous pas que le médicament ne serait plus à la portée de tout le monde ? Absolument pas. Nos membres sont très attachés à la logique profonde de fixation du prix par l'autorité de santé. Cela nous donne un régime de prix uniforme sur l'ensemble d'un territoire national très vaste et qui, en négociant au plus près le prix de chaque produit, élargit considérablement l'accès aux soins pour tous les citoyens. C'est un régime par ailleurs compatible avec le développement du système national de sécurité sociale qui reste une conquête sociale de premier ordre dans un pays en développement comme l'Algérie. Ce qui pose problème, c'est la contradiction entre des textes réglementaires qui stipulent que le médicament est un produit à marges contrôlées et une réalité où le prix final est fixé par les pouvoirs publics. Cette incohérence réglementaire devrait être levée d'autant plus que son seul effet est de pénaliser le producteur national, le ministère de la Santé n'ayant pas le pouvoir de réglementer, dans les faits, le coût de production du produit importé. Quelles sont donc vos propositions concrètes concernant le système de prix du médicament ? La réglementation en vigueur devrait être révisée de sorte à ce que le système des marges s'applique dans le seul segment de la distribution grossiste et de détail. Ce qui revient implicitement à aligner sur les mêmes bases produits importés et produits fabriqués localement. Dans la pratique, ceci implique, également, que le système actuel qui fige le prix des produits de fabrication locale sur cinq années, devra être assoupli, pour prendre en compte les changements objectifs qui affectent les conditions de production. Cette flexibilité est d'autant plus simple à mettre en place que les services du ministère de la Santé disposent de l'intégralité des informations concernant ces conditions de fabrication. Une concertation est également nécessaire entre le ministère de la Santé et le ministère du Travail car parfois nous constatons une divergence d'approche, voire une contradiction sur le prix du médicament enregistré et le prix remboursé par la Sécurité sociale. Aussi, les instruments monétaires en Algérie ont atteint leurs limites, l'Etat doit permettre aux banques algériennes de proposer des mécanismes connus et efficaces, pour faire face aux fluctuations, comme l'achat de devises à terme, ce qui permettrait aux opérateurs nationaux d'anticiper une variation du cours à court terme, cette couverture reste l'une des plus utilisées, car elle permet de connaître d'avance le cours qui sera retenu lors de la transaction. Je voudrais également soulever l'importance de l'impact de cette dévaluation sur les investissements en cours et les cas sont multiples : les investisseurs doivent continuellement revoir leur calcul vu qu'ils ont engagé des financements auprès des institutions financières en dinars algériens par rapport à un cours et que les projets prennent plusieurs années entre phase d'investissement et remboursement. Le montant à rembourser devient bien plus important. Rappelez-vous, après la dévaluation de 1994 du dinar de plus de 40% faite à la demande du Fonds monétaire international, plusieurs entreprises avaient disparu et des rééchelonnements catastrophiques ont été opérés sur celles qui ont résisté. Notre association reste, de ce point de vue, complètement ouverte à la concertation sur cette question majeure du système des prix des produits pharmaceutiques qui reste un levier majeur pour le développement de ce secteur.