Youcef Merahi [email protected] Le temps est plus rapide qu'un TGV : «Temps à grande vitesse». On ne se rend pas compte quand je vois ceux qui traînent les pieds pour tuer le temps, léchant les vitrines, usant les semelles de leurs souliers, et par là même les trottoirs mal fichus de nos villes, salivant sur la moindre présence féminine, déblatérant sur tout et rien et récupérant sur leurs mollets la fatigue nécessaire pour pouvoir dormir en paix, en profondeur et en rêve. Nous sommes déjà fin janvier ; le temps d'un soupir, nous serons avril, très exactement le 17, quelques jours avant le trente-quatrième anniversaire du Printemps berbère. Ce TGV n'attendra personne, ni au présent, encore moins au futur. Les observateurs de la scène nationale se grattent la tête et donnent leur langue au chat, ne sachant à quel saint se vouer. Bouteflika, la grande énigme, malade mais reprenant de la niaque, après un tour rapide, vite fait, bien fait, au Val-de-Grâce, cet hôpital bien nommé, pour un contrôle de routine, nous dit-on, communication officielle béquillant, signe le papier que d'aucuns attendaient. Eh bien, le voici, le voilà ! Oui, l'Algérie votera. Mon ami, oui, toujours le même, celui qui comme l'horloger tente de remonter le temps, ne cesse de lisser ses moustaches, plaçant ses sourcils en point d'interrogation. Voter pour qui ? me questionne-t-il. Pour des candidats, pardi, lui répondis-je, un brin cynique. Lesquels ? Tu as déjà le choix, gros bêta. Benbitour. Louisa Hanoune. Yasmina Khadra. Sofiane Djilali. Benflis. Touati. Djamel Abdeslam... Stop ! Qui c'est celui-là ? crie l'ami. Le patron du FAN. Hein ? Le Front de l'Algérie nouvelle : un parti à connaître, non ? Ouais, acquiesce-t-il, dubitatif ; et alors ? Un brin énervé, je refuse de lui répondre. Il insiste, le bougre. Et alors, te dis-je ? Ben, ce jour-là, tu voteras pour ton favori, point barre. Mon favori ? je n'en ai pas. Et Bouteflika, va-t-il se représenter pour un autre mandat ? Voilà la question à mille dinars ! Personne ne le sait. Tous s'accordent à dire que son état de santé ne lui permettra pas de se représenter. Autrement dit, il est malade. Même si l'examen de routine démontre le contraire, nous dit-on. Communication officielle qui ne communique point. Mon ami se lève de sa chaise, de couleur noire, me domine de toute sa taille, et fulmine : «Tu chroniques très mal, mon ami. Chouf, Saâdani crie sur tous les toits qu' « il » est partant et que les villages, contrées, villes et khaïmate exigent sa quatrième présidence. Ghoul, aussi, ne cesse pas d'appeler de ses vœux ce quatrième mandat. Benyounès, aussi, même si, depuis un moment, il ne dit plus rien à ce sujet. Sellal, notre Premier ministre, qui — je le rappelle — insiste pour dire qu'il ne fait pas de campagne électorale, souhaite voir Bouteflika ne pas quitter El-Mouradia... Chronique bien, cher ami ! » A ce stade de la réflexion, je ne suis pas le seul à mal chroniquer. Nous avons tout faux. Je crains le pire. Sont-ce tous des lièvres, en fin de compte ? Je ne relèverais pas la présence du candidat vétérinaire, il l'a fait en personne. Et bravo, on a besoin d'humour par ces temps «d'électoratose». Je tente de chroniquer. Je n'y arrive pas. Du moins, j'ai des difficultés. A chaque fois que je vais pour proposer une solution aux remarques de mon ami, je cale face à l'énigme de la candidature de Bouteflika. Mesmar f'sebbat. Guet f'seroual. Ce n'est pas un jeu, voyons. Mettez de la clarté dans votre démarche. Laissez les électeurs se faire une décision, d'ores et déjà. La république du secret est une république sclérosée, passéiste et improductive. Ecoutez ce qu'a dit Obama, les Américains doivent le savoir, déjà. Mon ami, plaisantin à l'envi, m'arrête dans mon texte et me défie : «Viens prendre un thé maison, khelli lebhar ifidh. Khellatha tessfa. Yahia le suspense, ya kho !» Notre Premier ministre n'arrête pas de tourner dans les wilayate et de tenter de nous tourner en bourrique. Il ne cesse pas de répéter aux élus, aux journalistes, aux walis, à la société civile, enfin à tous les Algériens, qu'il n'est pas en campagne électorale. Je ne veux pas mettre sa parole d'énarque en doute, mais je n'arrive pas à croire cette assertion. De plus additionner une somme de projets, même si cela facilite la vie — un tant soit peu — du citoyen ne fait pas le bonheur d'un pays. L'Algérien n'est pas heureux. Oui, il n'est pas heureux. Il l'est quand il dispose — enfin — d'un visa Schengen qui lui permettra de tenter sa chance là-bas, «lhih», comme homme à tout faire. Il est heureux le temps de la victoire de l'équipe nationale, car il a l'impression d'une dignité retrouvée. Ou, partiellement, quand son équipe de quartier terrasse sa rivale. Alors, je ne cesserai pas de répéter que notre Premier ministre est en campagne électorale et qu'il prépare les conditions d'élection de Bouteflika pour un quatrième mandat. Je ferai mon mea-culpa, à temps utile. Je ne signe pas de chèque en blanc. Je juge sur pièces. Un lycée, ici. Un hôpital, là-bas. Une pénétrante à Béjaïa. Une autre à Tizi. Un passeport en vingt-quatre heures, c'est magnifique. Plus de chaîne dans les mairies, c'est le pied. Une «Symbol» oranaise, très bien. Mais alors, pourquoi ai-je cette pénible impression que l'Algérien n'est pas heureux ? J'entends à longueur de journée cette litanie : lkharedj ! Spania. Taliane. França. Tounes. Saint-Pétersbourg. Langlize. Marikane... Voilà ce qui rend heureux l'Algérien, surtout les jeunes, même avec un pécule malheureux de cent cinquante euros. Faisons un sondage, on verra ! Alors, cessez de répéter que vous n'êtes pas en campagne, je cesserai de dire que vous l'êtes. Puis, notre ministre de l'Intérieur reprend la formule érodée d'élections transparentes. Intikhabate cheffafa ! Ne le dites pas. Ne le proclamez pas. Faites-le. Faites en sorte que ces élections soient véritablement «cheffafa». Encore une fois, n'en déplaise à mon ami qui ne cesse pas de me taquiner, la prochaine fois, je ferai ma chronique en cachette, je jugerai sur pièces. Dites-moi, combien d'élections ont été «honnêtes et transparentes» ? Oui, dans notre pays ! De plus, laissons tomber les urnes en plexiglas. Cela ne prouve rien. Que les urnes soient opaques de l'extérieur, mais transparentes dans le bulletin de vote. Ce n'est pas un jeu, il s'agit du devenir de notre pays. L'enjeu est de taille, compte tenu de la situation régionale. Surtout dans les pays arabes. Ailleurs, les autres pays sont rodés à la démocratie. Alors que nous sommes en apprentissage. La culture arabe aura sa capitale. Après Alger, Constantine va pouvoir déployer son faste pour arabiser notre culture, en 2015. Bien sûr, tout cela sera accompagné par des réalisations d'insfrastructures culturelles. Franchement, je suis content pour Constantine (l'antique Cirta !) et les Constantinois. Des voix se sont élevées, ici et là, à l'époque, pour demander de faire de Batna, de Tizi... la capitale de la culture amazighe qui n'est pas en reste dans notre vécu quotidien. Autant prêcher dans le désert, pour rester soft. Les oreilles ministérielles sont restées closes, désespérement closes. Non pas qu'elles n'ont rien entendu. Parce qu'elles ne veulent pas entendre. L'Algérie officielle refuse son amazighité, depuis pratiquement l'avénement du mouvement national. C'est plus du sectarisme que de la tartufferie politique. Arabisons, arabisons, il en restera toujours quelque chose. Ghettoïsons, ghettoïsons l'amazighité, elle disparaîtra graduellement. L'enjeu des élections prochaines est à ce niveau, aussi. L'Algérie officielle divise culturellement l'Algérie profonde. L'Ancêtre est bafoué, malmené, isolé, rejeté, brutalisé, floué, stigmatisé, martyrisé et folklorisé. Alors, arabisez toutes les villes d'Algérie, vous n'arabisez jamais l'âme de l'Ancêtre.