Après Galou Goulna, El-Yazid Dib monte une nouvelle fois sur sa chaire, non pour nous en conter, mais pour nous en raconter. Un peu «goual» dans les deux nouvelles faisant des clins d'œil aux contes de Cendrillon et «au tapis volant» des Mille et Une Nuits, il nous mène cette fois dans les arcanes de la vie privée et professionnelle des fonctionnaires tirés à quatre épingles se faisant souvent épingler, à leur tour, tels des papillons. Mais sur les quais, nous rencontrons plus de musiciens que de conteurs. La portée sur laquelle sont écrites les huit nouvelles du roman éclaté Le quai des incertitudes sont à portée et hors de portée. A portée de ceux dont l'administration est «us» et hors de portée de ceux qui en sont les usagers et ne constatent que la rigueur des cols blancs faisant et défaisant des destins et des destinées écrits, en noir et blanc, sur du papier. La première de couverture, portant jaquette, nous installe dans un quai de gare brumeux dans le petit matin gris. Aucune lumière, du noir et du gris et un train à venir ou déjà parti. Un tronçon de rail visible et un horizon invisible, bouché par un dense brouillard. Cela ne peut-être que du brouillard, le dernier wagon d'un train ne libère jamais de fumée, les moteurs étant dans la locomotive qui tracte son attelage. Les nouvelles nous donnent des nouvelles sur des vies assiégées et piégées d'exister à l'ombre de l'administration cette mécanique impitoyable usant les pièces de ses rouages à un régime infernal et les remplaçant à un rythme compulsif. Du cauchemar dans lequel le dormeur dégringole de son statut pour jouer le rôle de cordonnier énamouré chassé de la demeure de son cœur sous la menace d'un fusil dans La fin d'un cauchemar en passant par l'assassinat d'un professeur en plein conférence dans Le professeur et le président. Les nouvelles délient la langue du «goual» et lui font nous narrer des vertes et des pas mûres d'un univers dont nous n'entendions que les murmures durant les colères des initiés. Des vies privées, privées de l'être pleinement, car l'administration est intrusive, et si elle sait se faire allusive, c'est pour priver de toute illusion, aux ascensions périlleuses dont les chutes ramènent aux origines pour mieux les rappeler. Les nouvelles nous révèlent ce que Le quai des incertitudes réserve aux fonctionnaires. Signalons que Le quai des fonctionnaires fut le premier titre du texte avant que l'auteur El-Yazid Dib, sur conseil de sa maison d'éditions, dit-il, ne choisisse d'en changer. L'écriture, par son style, pèse du poids de l'administration sans pour cela se faire hermétique ou indigeste. Elle s'étale parfois en longues envolées de discours théoriques sur la gestion et le management pour aller s'échouer sur les silices du quotidien et démontrer l'effet du grain de sable dans les vies régies par des règles claires. En rupture de ban, en contestation ou en dissidence, El-yazid Dib nous le dira bientôt lorsqu'il parlera de son livre. L'auteur est né en 1954 à Sétif. Il est titulaire d'une licence en droit et diplômé de l'Ecole supérieure des Douanes de Paris. Il fait de la chronique chaque semaine. Au crépuscule de sa carrière professionnelle, il se lance dans la nouvelle et commence à s'essayer au roman. Le quai des incertitudes est sa première œuvre de ce genre littéraire, après avoir édité deux recueils de poésie et deux autres contenant des chroniques. Kader B. El yazid Dib Le quai des incertitudes Yadib.Edit.Co. Déc. 2013.163 p