Après dix ans de silence, le général Benhadid s'est exprimé hier dans une interview (El Watan du 12 février). Dix ans de silence, ce n'est sans doute pas singulier, l'armée se singularisant justement — chez nous comme ailleurs — par son silence. Le général, en l'occurrence n'a pas usurpé le qualificatif de l'armée muette tout ce laps de temps, mais il vient d'en décider autrement. De décider surtout de ne pas aller par quatre chemins, l'Algérie étant en danger par la «trahison» du clan. Le pays traversant une crise sans pareille et son ancienne institution subissant des attaques jamais égalées, le général s'exprime et nous dit que ce n'est pas de lui même qu'il a décidé de rompre le silence, mais qu'il est mandaté par ses pairs devant la dangerosité de la situation que traverse le pays. Dans ce qui se lit du discours de ce général, ancien commandant de la division blindée et «un des rares généraux à avoir démissionné à 52 ans, en 1996», l'on s'attachera à certains portraits qu'il fait de la sphère dirigeante. D'abord, du Président lui-même : en gros et dans le détail, le général Benhadid nous dit que le Président ne contrôle plus rien et que «le premier et principal acteur est bien sûr le frère, Saïd». Ce que véhiculent depuis quelques mois, sinon quelques années, de très nombreux commentateurs, à savoir que Saïd gère tout, est conforté par le général, qui assène : « Tout le monde est à plat-ventre devant Saïd, les ministres, les walis, la police, les hauts responsables... il gère via le téléphone de la présidence» et tout le monde se met alors, dit-il, au garde-à-vous. Jusque-là, rien qui ne soit connu du commun des Algériens qui ont vu tant de responsables se plaindre (généralement lorsqu'ils sont démis de leurs fonctions) de cette situation pour le moins insolite. Mais, précise-t-il, Saïd Bouteflika n'est pas seul. Le chef d'état-major et vice-ministre de la Défense, Gaïd Salah, est son allié dans la volonté de «détruire le DRS» qui n'est pas nouvelle et qui perdure depuis «l'arrivée au pouvoir de Bouteflika». Toutefois, dans cette entreprise, l'armée ne suit pas Gaïd Salah qui agit seul et «personne dans l'armée ne le porte dans son cœur». Quant à l'affaiblissement du DRS et de tout le chamboulement que lui a fait subir le Président, pour Benhadid, cette agitation est pour la galerie, les services étant rattachés depuis longtemps à l'état-major. L'enjeu se situe ailleurs, dans les dossiers de corruption que détenait le DRS. Ces dossiers, nous assure-t-il, sont toujours entre les mains des officiers du DRS, ces derniers continuant par ailleurs à faire rapport à l'état-major mais aussi à Toufik. Quant à Toufik, il aurait ses officiers en main, parce que, nous dit-il, «les officiers du renseignement sont très solidaires, leur esprit de corps est très puissant, on ne peut les séparer ou les diviser». Leur chef n'est pas menacé et les provocations de Gaïd Salah ne peuvent le déstabiliser, le chef d'état-major n'en ayant «ni les capacités ni l'envergure». Quant à la sortie de Saâdani et ses attaques de l'institution, il n'a pu agir seul, c'est de la trahison, de Bouteflika et/ou de son clan, le Président étant aujourd'hui dans l'incapacité physique et manquant depuis toujours d'audace d'affronter directement le DRS. Se pose alors une question : la sortie de Bouteflika mardi à travers le communiqué condamnant les attaques contre les institutions militaires, et dont Benhaid ne pouvait avoir connaissance avant son interview, traduit-elle un revirement du Président ou de son clan, sachant que le DRS est toujours en possession de gros dossiers compromettants ou signifie-t-elle simplement qu'un deal est passé entre la présidence et le DRS pour le quatrième mandat, sous certaines conditions ? Autre hypothèse : la désignation d'un candidat imposé par le DRS, et là aussi, à condition que le DRS mette sous le coude les lourds dossiers en sa possession. Rien ne dit qu'il le fera réellement.