Zohra Drif a répondu favorablement à une invitation formulée par le café littéraire de la bibliothèque de wilaya de Chlef. On sentait l'émotion dans son regard, liée probablement au fait de se retrouver, comme pour un hommage à sa sœur de combat Hassiba Ben Bouali, d'autant plus que les deux familles se connaissaient. Cette figure emblématique de la Bataille d'Alger n'est plu à présenter. Tout un chacun sait qu'elle est native de Tiaret et qu'elle a fait carrière dans la justice. Elle est actuellement sénatrice et vice-présidente du Conseil de la nation. Elle a été arrêtée le 25 septembre 1957 en même temps que Yacef Saâdi. Condamnée pour terrorisme, elle a été emprisonnée jusqu'à l'indépendance. Au cours d'une conférence tenue à Alger pour présenter son ouvrage Mémoires d'une combattante de l'ALN, elle fustige le révisionnisme de certains algériens, encouragés par une certaine presse d'outre-mer. Pour elle, sa position est claire comme de l'eau de roche. «Poser des bombes était légitime», estime-t-elle. «c'était une action mûrement réfléchie. Cela faisait partie de la stratégie du FLN de faire changer la peur de camp. Je ne regrette pas de l'avoir fait et si mon peuple venait à subir une agression, malgré mon âge, je serai la première à prendre les armes», ajoute-t-elle. D'autre part, dans son livre, on sent une admiration sans bornes pour Larbi Ben M'hidi qui «incarne le grand chef avec sa légendaire générosité, vivait en contact permanent avec les militants de base et ne disait jamais qu'il était responsable. Il demandait aux moudjahidine de se mêler au peuple pour savoir ce qu'il pensait d'eux. La première qualité d'un chef, c'est d'être avec les combattants et en même temps leur responsable. C'est un être d'une lucidité politique extraordinaire. Je suis rentrée sans formation politique mais petit à petit j'ai été formée et orientée.» Concernant l'engagement des femmes pendant la Révolution, elle témoigne : «les moudjahidine ont fait confiance aux femmes qui ont participé au destin du pays en ces moments cruciaux. Elles cachaient les militaires, les soignaient, les surveillaient, leur faisaient le ménage et la cuisine, transportaient les armes, les tracts et les documents, au péril de leur vie et des conséquences que cela pouvait avoir sur leurs familles.» Elle fait remarquer à propos du révisionnisme : «En France, lors d'une conférence, on a voulu me faire dire que mon peuple était assoiffé de liberté en employant des moyens condamnables. C'est le fait d'une certaine presse française qui développe une vision qui n'est pas du tout innocente. En France, la guerre continue contre notre pays. J'adresse ce message à note jeunesse pour qu'elle reste vigilante. Pendant toute notre histoire, l'Algérien n'a jamais baissé la tête, ni pleuré. Les jeunes ont un héritage très lourd mais il peut être fragile. Préservez-le !» Concernant l'attentat du Milk Bar, elle tient à préciser : «après l'exécution de Zabana puis de Ferradj et l'attentat de la rue de Thèbes, la direction du FLN a décidé de rendre coup pour coup. Après la grève des 8 Jours, des campagnes sanguinaires ont été menées par les Français dans les quartiers populaires. Ces massacres resteront dans les annales. Des camions embarquaient des dizaines d'hommes à la rue Randon et à Sidi Abderrahmane, avec à la clé d'innombrables disparus. Cette soldatesque ne respectait rien et agissait pire que les nazis.» À propos de la présence de la femme au maquis, elle dira : «les sœurs au maquis étaient nombreuses. Elles nous montraient le chemin quand les paras nous encerclaient. Elles nous hébergeaient et elles s'opposaient à la furie des soldats et le vivaient normalement comme un devoir. Je demande à tous les moudjahidine de témoigner». À propos de son arrestation, elle va expliquer : «aussitôt arrêtée, j'ai été mise au secret. Le colonel Trinquier m'a jeté une feuille pour que je raconte mon parcours. C'est tout, personne ne m'a questionnée, je n'ai pas été torturée pour la bonne raison que j'ai été arrêtée avec yacef saâdi et qu'ils n'avaient pas besoin de mes aveux. Je n'ai rencontré que le colonel Trinquier.» A propos de son ouvrage, elle affirmera : «pour écrire mon livre, j'ai été épaulée par Djamila Bouhired. Son neveu Djamel Hattali, qui travaille à la librairie du Tiers-Monde, a assisté à mon arrestation et a été au courant des contacts entre sa sœur Oukhiti et Yacef Saâdi pour faire parvenir un message à Gemaine Tillion et qui a été posté par le père de ce libraire, dont leurs témoignages ont été précieux.» À la question des 7 millions de chouhada, mme Bitat explique : «selon Pacha, un polyglotte reconnu, en 1830, les Algériens étaient 10 millions. Au recensement de 1870, il ne restait que 2 millions. Les génocides perpétrés par les colonisateurs ont réduit la population et fait de nombreux chouhada.» À la question de savoir comment leur cache a été trouvée, elle répondra : «Lors de l'encerclement de la maison refuge, hadj smaïn (kamel) se trouvait là pour emmener un rapport destiné à Germaine Tillon pour entamer des pourparlers avec le CCE de Tunis. il était obligé de rejoindre leur cache. Arrêté chez lui et torturé atrocement, il était obligé de montrer l'endroit où nous étions cachés, yacef et moi .»