Par Hassane Zerrouky «Des dizaines de jeunes sont restés des heures, non pas pour débattre sur le rôle négatif de l'utilisation de l'islam à des fins autres que religieuses, mais pour convaincre les organisatrices que les islamistes n'ont rien à voir avec le terrorisme, et que nos banderoles portent une image négative à l'islam dans le monde», écrivait, il y a quelques jours Cherifa Kheddar, encore marquée par l'assassinat de sa sœur et de son mari en 1996 à Ouled Yaïch (Blida). Après ce qu'a vécu l'Algérie, plus de 100 000 morts, des tueries et assassinats assumés par leurs auteurs (dont des émirs connus) par l'écrit, la parole et l'image, on est désagréablement surpris qu'en 2014, il y ait encore des jeunes qui nient la réalité. Outre la responsabilité du système politique dans la montée de l'islamisme et son instrumentalisation durant les années 1980 pour contrer les idées progressistes très présentes alors dans la société algérienne, au moins deux autres facteurs ont nourri le doute sur les responsabilités islamistes et contribué à jeter le voile sur ce passé tragique. La réconciliation nationale et le discours officiel qui l'a accompagnée ont de fait déresponsabilisé les islamistes de leurs actes, qualifiant cette guerre contre l'Etat et la société menée par des groupes armés financés et soutenus par de riches hommes d'affaires des pays du Golfe visant l'instauration d'un Etat taliban, de «tragédie nationale». Certes, l'idéal aurait été de faire comme l'Afrique du Sud qui, grâce à sa politique de «vérité et réconciliation», a permis au pays de tourner la page et de se projeter sur l'avenir. Mais, chez nous, on a fait le contraire. Il était demandé «à ceux du maquis» de déposer les armes, de ne pas demander pardon à leurs victimes et, comme l'a reconnu Abdelmalek Sellal à Illizi, le gouvernement leur a pardonné, «donné des primes et de l'argent» en se demandant : «Que cherchent-ils de plus ?» Eh bien, après qu'on leur a permis de réoccuper l'espace, de reprendre le contrôle de nombreuses mosquées dont ils avaient été chassés, de s'exprimer à la radio et sur les télés et de diffuser leurs idées en toute liberté, alors que les démocrates en sont privés, les islamistes, pour répondre à la question du chef du gouvernement, veulent tout simplement le pouvoir ! Ce dernier leur a d'autant facilité la tâche qu'il a tout fait pour effacer de la mémoire collective les traces de leurs crimes. A la télé, pas de documentaires rappelant cette tragédie ne serait-ce que pour mettre en garde la jeunesse. Les rares films consacrés à cette période ne sont projetés qu'à l'étranger comme c'est le cas pour le film de Merzak Allouache, Le repenti...Faut-il en rajouter ? Mais à quoi bon, direz-vous, rappeler ces vérités, quand des gens se revendiquant de la démocratie et des libertés, voyant pourtant ce qui se passe aujourd'hui sous nos yeux en Irak, en Syrie et en Libye, mais aussi au Mali, sans compter Boko Haram au Nigeria qui massacre allègrement par centaines des civils parce qu'ils ne sont pas musulmans, continuent d'évoquer la thèse de la manipulation ! Tout juste s'ils n'interpellent pas les islamistes auteurs de crimes innommables en leur disant : «Arrêtez de revendiquer vos méfaits puisque nous vous disons que ce n'est pas vous qui tuez, c'est l'armée» ! J'exagère ? A peine ! Toujours est-il qu'en l'espace de quinze ans, le religieux sous sa forme la plus rétrograde a retrouvé droit de cité, poursuivant son entreprise de démolition graduelle de tout ce qui rattache l'Algérie à son passé. Sous nos yeux, au nom de cette vision religieuse rétrograde, le cimetière des deux princesses, filles de Hassan Pacha, à La Casbah, datant du 16e siècle, décrété «bidâa», a été rasé. Même cas de figure ailleurs et récemment à Ghardaïa. En effaçant le patrimoine historique, et là je cite Abderahmane Hadj-Nacer, l'objectif est de «couper d'avec le lien de l'ancestralité, d'avec les origines généalogiques et d'avec les lieux de mémoire, car tant qu'il y a des lieux de mémoire, tant qu'il y a un attachement à la terre et à la généalogie, on ne peut pas en faire ce que l'on veut». Alors, faut-il être surpris par ces jeunes ayant interpellé les femmes le 8 mars dernier, et par le fait que de nombreux salafistes manifestent leur soutien au quatrième mandat ?