[email protected] Le rôle que jouent les hydrocarbures dans l'économie nationale a pris une dimension inquiétante. Le pétrole et le gaz représentent plus de 40% du PIB et génèrent la quasi-totalité (98%) de nos ressources en devises. La fonction de ces ressources, qui étaient destinées exclusivement au financement des investissements productifs dans les années 1970, est aujourd'hui dévoyée. Maintenant, elles servent à nourrir la dépendance alimentaire du pays. De ce fait, notre vulnérabilité au risque d'une baisse des prix pétroliers devient manifeste. Même à court terme, une telle situation n'est pas tenable. Elle appelle à une refonte totale de notre économie dans le sens d'une moindre dépendance des hydrocarbures. Elle commande aussi la mise en œuvre d'une politique énergétique qui assure l'utilisation optimale des ressources nationales. Le mode de gestion des réserves du sous-sol, la lutte contre le gaspillage d'énergie et la transition énergétique vers un modèle de consommation approprié sont autant d'axes stratégiques autour desquels devrait s'articuler cette politique. C'est de ces aspects que traitera la présente contribution. Gestion des réserves : éviter toute surexploitation Les réserves nationales prouvées d'hydrocarbures conventionnels sont évaluées à 12 milliards de barils de pétrole et 4,500 milliards de mètres cubes de gaz, selon la revue de British Petroleum. Au rythme actuel de croissance de la consommation intérieure, ces réserves peuvent assurer une autonomie de moins de 15 ans pour le pétrole et d'une trentaine d'années pour le gaz. Ce simple bilan montre que l'Algérie ne dispose pas de grandes réserves de pétrole. Elle risque même d'en manquer avant que les cinq nouvelles raffineries prévues dans le programme du secteur de l'énergie n'entrent en service (sic !). Une politique de préservation de cette ressource est donc impérative. Son exploitation à un niveau immodéré ne saurait se justifier sauf à prendre le risque d'exposer notre pays à une dépendance totale vis-à-vis de l'étranger dès 2020-2025. Ce bilan montre aussi que nos ressources en gaz sont un peu plus substantielles. Ces ressources deviennent vraiment conséquentes si l'on prend en compte les réserves, estimées mais non prouvées, de gaz de schiste (20 000 millions de mètres cubes selon DOE/EIA). Si ces dernières réserves étaient confirmées, même partiellement, l'autonomie de notre pays en gaz pourrait atteindre le siècle. Le potentiel est donc immense. Malgré cela, la rente risque de ne pas être au rendez-vous en raison de la faiblesse des prix du gaz. Toutes les études prospectives s'accordent sur un tassement, voire une régression de ces prix à moyen et long termes. La tentation facile serait donc de compenser cette baisse des prix par une augmentation sensible de la production. Y succomber serait faillir gravement à nos responsabilités à l'endroit des générations à venir. S'il faut admettre qu'une politique énergétique réaliste doit adapter le rythme d'exploitation de nos réserves de gaz aux besoins de l'économie, il faut reconnaître tout autant qu'elle ne saurait servir de pourvoyeur, à fonds perdus, d'une économie non performante. Oui, il faut faire évoluer le niveau de production de ces ressources avec les besoins financiers, mais à condition que ceux-ci servent le développement réel du pays. La bancarisation du sous-sol, l'esprit du «dépenser sans compter» et la construction de projets non rentables sont autant de fléaux que l'on ne peut qualifier d'actes de développement. En tout état de cause, une politique énergétique de long terme exige d'éviter toute surexploitation, sous quelque forme que ce soit. Maîtrise de la demande : la lutte contre le gaspillage s'impose plus que jamais La consommation nationale d'énergie primaire est aujourd'hui de l'ordre de 55 millions de tonnes équivalent pétrole (tep). Au taux de croissance actuel, la demande risque de doubler dans moins de 10 ans. Il y a donc urgence à maîtriser cette demande. Il ne s'agit évidemment pas de lutter contre la consommation utile qui participe au développement économique et améliore le confort social du citoyen. Il faudrait, par contre, mener une véritable guerre au gaspillage à travers une politique avisée d'économie d'énergie. Un objectif chiffré de gain d'efficacité énergétique devrait être fixé dans le cadre d'un programme national. Si l'on se base sur l'expérience internationale, un gain de 30% semble tout à fait à notre portée à l'horizon 2020. L'atteinte d'un tel objectif ne se suffit, hélas, pas de déclarations d'intention. Elle exige la prise d'actions décisives et leur réalisation effective selon un calendrier précis. Parmi celles ci, citons-en cinq : 1- Application de normes de consommation de carburant aux véhicules neufs dès 2015 : en Europe, l'ensemble des véhicules de tourisme mis sur le marché par chaque constructeur ne doit pas dépasser une consommation moyenne de carburant d'environ 5,5 l/100 km (130 g C02/km) en 2012 et 4 l/100 km (95 g C02/km) en 2020. Rien n'empêche notre pays d'adopter ces normes. Si elles l'étaient, un gain de 30 % à 40% sur la consommation nationale pourrait être raisonnablement attendu d'ici 2025. 2- Interdiction de l'importation des lampes à incandescence dès 2015 : sur recommandation de l'Unep (United Nations Environment Programme), la plupart des pays ont interdit ce type de lampes en 2012-2014. Chez nous, leur interdiction permettrait de diviser par deux la consommation électrique destinée à l'éclairage, soit une économie de 10% de la production nationale d'électricité(1). 3- Généralisation des normes d'isolation thermique des bâtiments pour toutes les nouvelles habitations dès 2015 : les normes BBC (bâtiment à basse consommation) sont déjà généralisées un peu partout et notamment en Europe. Ces normes réduisent de moitié la consommation électrique liée à la climatisation et au chauffage. En Algérie, la climatisation est, selon les déclarations des autorités, à l'origine de l'explosion récente de la demande électrique. Il serait donc avisé d'en minimiser la consommation en construisant des logements économes en énergie. Ces logements dureront un siècle. Autant donc les construire aux nouvelles normes. 4- Taxation spécifique des appareils domestiques énergivores dès 2015 : les appareils domestiques (climatiseurs, appareils de chauffage, réfrigérateurs....) sont classés, selon leur rendement, dans les catégories A, B, C, D, E, F et G. Leur consommation d'énergie passe du simple au double de la catégorie A à G. Un système de taxation privilégiant la classe A et pénalisant les autres catégories éviterait la véritable «saignée» d'énergie que provoquent ces appareils. 5- Alignement du rendement énergétique des grands complexes industriels sur celui d'unités similaires installées dans les pays industrialisés avant 2020 : si cette mesure ne se traduisait que par un gain de 15-20% sur les rendements actuels, cela équivaudrait à une économie de plus de 3 milliards de mètres cubes de gaz par an. En réalité, le potentiel de gain est bien plus élevé. Il justifie amplement cette opération qui devrait être à la charge des entités économiques). Le rôle de l'Administration devrait se limiter à fixer les objectifs, en fonction des standards internationaux, et à en contrôler l'exécution. Ces cinq mesures montrent l'importance des enjeux d'une politique d'économie d'énergie. Je ne les ai pas choisies par hasard. Elles ont été sélectionnées pour plusieurs raisons. Primo, elles concernent les secteurs qui comptent pour plus de 80% de la consommation nationale d'énergie. Leur application sera donc déterminante dans la lutte contre le gaspillage inouï qui règne dans le pays. Deuzio, elles constituent un levier de rationalisation de la demande efficace et peu contraignant comparativement à celui du relèvement des prix. Elles permettent, en effet, de réaliser une économie d'énergie substantielle sans réajustement des prix des produits énergétiques. Tercio, elles ont toutes été appliquées avec un succès éclatant ailleurs. Elles peuvent donc réussir tout autant chez nous. Sans ces mesures, la consommation interne continuera à croître à un taux à deux chiffres sans que cela contribue ni à l'essor économique ni au bien-être du citoyen. Mix énergétique : le gaz est une option incontournable Le secteur industriel utilise le gaz naturel comme principale source d'énergie. Cette politique, qui privilégie le gaz, est parfaitement indiquée eu égard à la nature des ressources nationales. Le développement progressif de l'énergie solaire, initié par le secteur de l'énergie, l'est tout autant. A ces sources principales, il y a lieu d'ajouter le charbon comme énergie d'appoint dans la génération électrique. A l'inverse du secteur industriel, celui des transports utilise des carburants exclusivement d'origine pétrolière et principalement du gasoil. L'utilisation de ce type de carburant est en totale inadéquation avec la structure des ressources nationales qui sont avant tout gazières. Les carburants gazeux plus disponibles localement, moins chers et plus propres, sont marginalisés malgré toutes leurs qualités. Le GPLC constitue moins de 4% de la consommation nationale de carburant. Pire, sa part ne cesse de baisser en faveur du gasoil. Cette situation du pays du gaz où le gasoil est roi est inexplicable. L'inversion de cette tendance au profit du GPLC s'impose tant aux plans stratégique et économique qu'environnemental. Elle ne peut cependant avoir lieu sans une intervention de l'Etat. C'est pourquoi la mise en place d'un cadre réglementaire spécifique est nécessaire si l'on veut promouvoir et généraliser l'utilisation du GPLC(2). A défaut, la consommation de gasoil importé et subventionné continuera à croître en dépit de tout bon sens. S'agissant du gaz naturel carburant (GNC), il est navrant de constater que ce mode de carburation soit resté au stade de projet-pilote depuis la fin des années... 1980. C'est effectivement à cette époque que le premier bus roulant au GNC a été testé à Alger. Depuis donc un quart de siècle, le GNC, tout aussi disponible, peu cher et propre que le GPLC, peine à sortir du stade expérimental alors qu'il a fait ses preuves partout dans le monde. Là aussi, il est grand temps de mettre en place un programme spécial pour que ce carburant prenne toute sa place. Conclusion La politique énergétique n'est pas un concept abstrait. Au contraire, elle a une fonction bien concrète. C'est celle de doter le pays d'une vision énergétique à très long terme. C'est aussi celle de moduler le niveau d'exploitation des réserves en fonction des besoins réels de l'économie, sans obérer l'avenir des générations futures. C'est enfin celle de mettre en place les mécanismes adéquats pour combattre la gabegie énergétique et garantir l'émergence d'un modèle de consommation conforme aux spécificités nationales. A ce titre, sa mise en œuvre revêt un caractère hautement stratégique. S. A. *Ingénieur en raffinage et pétrochimie (1) Voir contribution du même auteur «Une heure pour la planète» publiée dans Le Soir d'Algérie du 26-03-2014. (2) Voir contribution du même auteur «Plaidoyer pour une large utilisation du GPLC» publiée dans Le Soir d'Algérie du 26-12-2012.