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C'est ma vie
La chance ne sourit qu'aux esprits bienveillants
Publié dans Le Soir d'Algérie le 09 - 09 - 2017


(2e partie et fin)
Le sémillant Redouane était un jeune homme probe, respectueux et surtout bien bâti. Être en bonne santé était la condition sine qua non pour exercer le rude et éreintant métier de garçon de salle.
La vie était belle pour tout le monde. Redouane au défi du matin, souvent, sept jours sur sept, il répondait par une innovation dans le domaine du service au client. La recette journalière par rapport aux années antérieures a triplé, voire quadruplé. Le père Hassan n'en croyait pas ses yeux quand. A chaque fin de journée, Redouane venait la lui remettre accompagnée des pièces justificatives ; les tickets de caisse. Le fonds de roulement pour l'exploitation courante est géré par Redouane.
Deux années s'écoulèrent depuis que Redouane est à la tête du salon de thé. Dans cet Alger en continuelle effervescence, il tenait toujours sa place. Avec le salaire mirobolant qu'il percevait plus une prime de responsabilité trimestrielle, conséquente, il achète une Renault 5 flambant neuf. L'année d'après, il prend en charge financièrement le hadj de ses parents. Fils unique, la maison parentale au Télemly est assez spacieuse, il pense alors à se marier.
Il jette son dévolu sur une jeune étudiante en fin de cycle des études juridiques et économiques de la Fac centrale d'Alger.
Razika était une fidèle cliente du salon. Elle s'y rendait avec ses copines après les cours. Sa présence presque quasi permanente n'est pas passée inaperçue aux yeux de Redouane qui la regardait avec ravissement. Razika était une jolie blonde qui respirait la fraîcheur. Ses sourcils surplombaient de magnifiques yeux bleus rieurs qui illuminaient son visage et ses épis dorés intensifiaient cette lumière éclatante.
Redouane tombe sous le charme de la déesse. A l'approche des vacances d'été, un jour que le soleil était au zénith, voilà que surgit Razika, accompagnée de ses cinq amies. Ce jour-là, la salle était pleine à craquer, y compris la terrasse.
Désenchanté, le groupe allait rebrousser chemin quand Redouane intervient pour les retenir. Il les dirige vers le salon qu'il réserve généralement à d'éminentes personnalités. Le décorateur du salon a osé l'originalité. On y voyait déjà une déco avant-gardiste. Razika, en chef de file, ne cessa de se confondre en remerciements. Installées confortablement, les jeunes filles passent leur commande. Redouane se chargera de les servir lui-même.
A l'abri des regards indiscrets, ces futures cadres de la nation se vautraient dans leurs fauteuils en cuir. Elles riaient aux éclats et parlaient à haute voix. Mais personne ne pouvait les entendre, la porte était capitonnée.
Soucieux du confort des jeunes filles mais attiré beaucoup plus par la présence de Razika, Redouane recourt à un petit subterfuge pour leur demander si elles n'avaient besoin de rien. Il se sent alors envahi par un immense sentiment de bonheur. Sa fluence verbale et son élégance finiront par attirer Razika. Affalée dans un grand fauteuil, elle le regarde avec ses yeux pétillants, pleins d'espérance. Ses copines, qui avaient un côté espiègle, se sont rendues compte du manège. Toutes en cœur, elles lui souhaitent bonne chance. Razika rit sous cape.
Deux heures se sont écoulées depuis que le groupe de jeunes filles s'est cloîtré dans ce cagibi luxueux. Et si elles s'accordent un quart d'heure de plus, il sera assez tard lorsqu'elles rentreront à la maison.
Razika appuie sur la sonnette de table pour appeler la serveuse afin de régler le montant des consommations.
A sa grande surprise, c'est Redouane qui se présente. Ses amies confirment leurs soupçons. Razika tend un billet à Redouane, mais ce dernier lui signifie que c'est la maison qui paie. Confuse, Razika ne savait pas quoi dire. Touchée par cette marque de sympathie, elle le remercie vivement.
Elle lui tend la main pour le remercier de sa gentillesse. En voulant la retirer, elle s'aperçoit qu'il la retenait toujours. Elle le regarde fixement dans les yeux avec un large sourire, laissant apparaître le parfait alignement de sa denture d'un blanc éclatant. Redouane libère sa main et lui demande d'une voix à peine audible s'il pouvait la revoir le lendemain.
La réponse tarde à venir. Un silence s'installe. Redouane est impatient. «D'accord, demain 15h, je serai au rendez-vous.» Il était heureux !
Le lendemain à 15h tapantes, Razika entre au salon et balaie de ses yeux la salle. Elle aperçoit au loin Redouane, debout, devant l'entrée du laboratoire. Elle lui fait un signe de la main et va à sa rencontre. Elle était belle à ravir. Elle portait un jean et un chemisier bleu, et des chaussures de sport.
Pour s'entretenir en toute intimité, il appelle l'une des serveuses pour aller lui chercher la clé du salon et deux boissons fraîches. La jeune fille s'exécute.
Confortablement installés, Redouane ne savait pas comment lui annoncer, de but en blanc, qu'elle l'intéressait, mais il se rétracte. Il ne pouvait anticiper la réaction de Razika.
Elle savait à l'avance à quoi s'en tenir. Le regard langoureux de Redouane en disait long. La déclaration qu'elle attendait de lui n'arrivait pas à sortir de sa bouche. Pour l'aider, elle engage avec lui une conversation.
- Tu sais que mes parents m'obligent à continuer mes études pour ne pas vivre dans les mêmes conditions difficiles qu'ils ont vécues.
- Je suis tout à fait d'accord avec eux. J'en connais un bout.
- Bon maintenant, revenons aux choses sérieuses. Pour quelle raison tu m'as fixé ce rendez-vous. Tu as quelque chose à me dire ? Tu penses sérieusement que je ne me suis pas rendu compte quand tu me lorgnais. Quand c'est toi qui venait nous servir au lieu de la serveuse.
- Oui Razika, je suis follement amoureux de toi.
- Réponds-moi honnêtement. Que trouves-tu chez moi de plaisant, d'attirant ?
- Advienne que pourra, je t'aime ! Un coup de foudre qui dérange ma tranquillité, le jour même où je t'ai vue entrer au salon en compagnie de tes copines. Comme d'habitude j'ai quitté mon travail à 20h, persuadé d'en rester là, mais ta présence me manquait déjà.
- Je voudrais vivre auprès de toi jusqu'à ce que la mort nous sépare.
- Et si je te disais que cette envie je l'ai ressentie. Je suis pour une relation sécurisante. Une vie sans problème où règnent l'amour et l'harmonie. Cela dit, on aura tout le temps d'en discuter. Je reste optimiste ! Et pour soulager ta conscience, moi aussi je t'aime. Tiens, si demain, je n'ai pas cours et c'est ton jour de repos, on ira voir un film à la Cinémathèque ou alors nous irons faire un tour à la piscine couverte des ex-Groupes Laïques où je m'entraîne. Pour ta gouverne, je suis une nageuse de performance. On y sera à l'aise pour discuter librement à l'abri des regards curieux. Il y a une cafétéria avec une baie vitrée qui donne sur la piscine et des gradins sur les deux parties latérales du bassin.
- ça ne m'étonne pas que tu pratiques ce sport. Tu ressembles à ces belles Naïades de la mythologie grecque. Le prochain jeudi, ça te va ? Car ce jeudi je dois inspecter les quatre établissements sur les cinq que je gère.
- OK ! Mais je préfère y aller le matin, il n'y a pas beaucoup de monde. A midi, on prendra un sandwich à la cafétéria et à 14 h, on ira à la Cinémathèque de la rue Didouche-Mourad «Le Club» qui programme un film que je voudrais bien voir pour avoir lu le roman : Les Hauts de Hurlevent de Billy Wilder, adapté du roman d'Emily Brontë.
- On ira là où tu voudras.
Le jeudi d'après, ils se rencontrent à 9h du matin au «Lotus» de la place Maurice-Audin, où, généralement les élèves des lycées Delacroix et Pasteur aiment s'y rendre pour palabrer et se retrouver. Ils passeront une journée mémorable qu'ils immortaliseront par une photo souvenir.
Redouane était un homme comblé et pour Razika, la vie était trop courte pour s'interdire d'aimer. Elle l'aimera à la folie. Avec cet amour, elle se libérera de ses angoisses de mourir vieille fille. Elle avait toujours en tête la fameuse citation de mère Teresa : «La plus grande souffrance est de se sentir seul (e) sans amour, abandonné de tous.»
Ils fêteront leurs fiançailles le mois de juillet 1968 dans la superbe villa des parents de l'ami de Redouane, Merzak. Les parents et les amis des deux tourtereaux et bien entendu son patron, son mentor et son protecteur «Si Hassan la France», accompagné de son épouse. Avant de danser au quadrille des fiancés et les youyous de joie qui suivront, les convives assisteront à l'échange traditionnel des alliances : gage de fidélité. A la fin de la cérémonie qui se termine à 23h, Si Hassan offrira à tous un dîner dans le superbe restaurant «La Colomba» de la rue Didouche-Mourad.
C'est au mois d'août de l'année 1970 que Redouane et Razika s'uniront par les liens sacrés du mariage. Razika venait d'avoir 25 ans et Redouane boucla ses 30 ans. Ils fêteront cette union dans un grand hôtel algérois, un autre cadeau de Si Hassan. Les amis du couple, les parents, la famille et les employés des quatre établissements étaient de la fête.
Une année après, Si Hassan tombe subitement malade alors âgée de 91 ans. Il charge Redouane de faire appel à son ami le notaire, Si Ahmed, pour procéder au transfert de propriété de ses biens immobiliers et de sa fortune en liquide déposée dans deux grandes banques nationales. Dans le partage de ses biens figure son épouse, son frère Akli, Redouane, les employés et l'association caritative «Errahma».
A la mort de Si Hassan, au début de l'année 1973. C'est sur instruction avant sa mort que le notaire fera appel à Redouane pour lui communiquer ce qu'il lui a légué : «Un logement de quatre pièces tout équipé situé dans la localité d'El-Biar. Il entrera en possession de ce bien après le départ à la fin du contrat dans deux mois exactement des coopérants à qui il a été loué, le salon de thé «Le Rendez-vous des artistes» lui reviendra.
Les trois sur les quatre autres établissements seront partagés entre son frère Abdessalam et sa femme Rokia.
La gestion sera toujours sous la responsabilité de Redouane.
Le bureau privé de comptabilité, sous l'œil vigilant de Redouane, se chargera de répartir les bénéfices mensuels à son frère Abdessalam et sa femme Rokia ainsi que de la paie et les primes des ouvriers. Il lui recommande d'être à jour avec le fisc, la Casoral, etc.
«Comme l'épouse de Si Hassan est vieille et son frère aîné alité, je me déplacerai moi-même pour les informer des dispositions du testament. Redouane est le seul et unique signataire des chèques de banque. Il en fera bon usage de l'argent déposé, l'éventualité d'acquérir d'autres biens et dont les bénéfices seront distribués entre les travailleurs actuels et potentiels. L'autre bien restant sera la propriété des travailleurs des cinq établissements.»
En 1989, les deux brasseries sont transformées en salle des fêtes. Tenu à une obligation morale, éthique et conventionnelle, Redouane se conformera in extenso aux recommandations de feu Si Hassan.


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