Par Ahmed Halli [email protected] La star du football égyptien des années quatre-vingts, l'international Hossam Hassan, a failli faire un séjour prolongé dans la prison de Tarra, ce mois-ci, après une altercation avec un photographe. L'incident a eu lieu à l'issue d'un match nul concédé par l'équipe de Port-Saïd, «Al-Misri», qu'entraîne l'ancienne idole des foules égyptiennes, et qui s'était terminé par une bagarre générale. Sans doute mécontent du résultat, et furieux de voir le photographe filmer les échauffourées, Hossam Hassan s'en est pris à lui en lui arrachant la caméra, et en la brisant sur le sol. Arrêté en flagrant délit, le footballeur a été incarcéré à la prison de Tarra, en attendant de passer en jugement pour avoir molesté un journaliste et endommagé son matériel de travail. Connu pour son sang chaud, Hossam Hassan reste à ce jour le meilleur buteur de l'équipe nationale d'Egypte, avec laquelle il a connu la notoriété lors de la Coupe du monde de 1990. Il n'a fait que quatre jours de prison, et il doit sa libération à une lettre que sa fille a publiée sur Facebook et dans laquelle elle exprimait son chagrin d'être privée de la présence affectueuse de son père. Ayant lu cette lettre, le photographe compatissant a décidé de retirer sa plainte, ce qui a permis au meilleur buteur de la sélection égyptienne d'éviter le tribunal, et la condamnation. De fait, la prison de Tarra, près du Caire, a souvent défrayé la chronique pour les conditions de détention qui y règnent et qui ne sont pas les mêmes, selon que vous soyez riche ou pauvre. On y meurt aussi, que ce soit par exécution, ou simplement à la suite d'une rixe, comme ce fut le cas pour ce marginal français, battu à mort par ses compagnons de cellule. Tarra est aussi célèbre pour les délinquants en col blanc, ou gandoura blanche, qui y ont séjourné, et y séjournent encore avec traitement de faveur, ou sans, selon la dîme versée. Comme dans les autres prisons du pays, gangréné par la corruption, on peut trouver à Tarra des cellules cinq étoiles pour les détenus particulièrement riches, et donc gros corrupteurs. L'un des plus célèbres de ces détenus huppés n'est autre que le roi de l'escroquerie à la «finance islamique», Ahmed Rayan. Il jouissait de toutes les facilités que peuvent s'offrir les prisonniers fortunés, et notamment celle de recevoir ses onze femmes, à tour de rôle bien sûr. Lors des évènements de janvier 2011 qui ont conduit à la destitution de Hosni Moubarek, Ahmed Rayan a profité du chaos qui avait gagné aussi les prisons pour se retrouver en liberté. L'homme qui a mis sur la paille des centaines de milliers d'épargnants égyptiens a eu un autre moment de «gloire», puisqu'un feuilleton lui a été consacré. C'est le même train de vie fastueux que Tarra a réservé à Hichem Talaât, un milliardaire issu de l'ère du pillage des richesses du pays inaugurée par Anwar Sadate sous le nom d'ouverture (Infitah). Hichem Talaât purge une peine, relativement légère, de quinze ans de prison pour avoir commandité le meurtre de la chanteuse libanaise Suzanne Temim, assassinée à Dubaï en 2008. Il avait été reconnu coupable d'avoir versé deux millions de dollars à un ancien officier de police égyptien Mohsen Sokari, avec mission d'assassiner Suzanne Temim, l'ex-petite amie du milliardaire. Mohsen Sokari avait réussi à s'introduire dans l'appartement de sa victime, à Dubaï, il l'avait égorgée, puis il avait pris un avion pour Le Caire, où il a été arrêté. Les deux hommes ont été d'abord condamnés à mort, avant de voir leurs peines réduites en appel à vingt-cinq ans pour l'exécutant, et quinze ans pour l'instigateur. Dans ce régime de faveur, les deux fils Moubarek ont eu moins de chance que Rayan et Talaât, lorsqu'ils ont été enfermés à la prison de Tarra, juste après la destitution de leur père. Habitués depuis leur enfance à un certain confort, ils n'ont pas supporté de devoir se passer de leur piscine, et ont demandé à s'en faire construire, à leurs frais. Prudent, le directeur de la prison a refusé tout net, craignant sans doute de susciter des revendications similaires chez ses pensionnaires. Dans cette prison, et grâce à la volonté du pouvoir de promouvoir la pluralité dans ce genre d'établissement, on trouve aussi une brochette de dirigeants politiques, de gauche comme de droite. Il y a des noms tristement célèbres comme Mohamed Badie, le guide du mouvement des «Frères musulmans», et son adjoint Khayrat Chater, le grand argentier de la mouvance intégriste. Soucieux donc de faire cohabiter entre les mêmes murs, les intellectuels militants de la liberté, et les ennemis de cette même liberté, le gouvernement enferme des créateurs. Islam Buhaïri, chroniqueur de télévision, qui apportait sa pierre au renouveau du discours religieux, objectif déclaré du Président Sissi, purge une peine d'un an pour «mépris des religions». Une accusation passe-partout que n'importe quel citoyen égyptien peut lancer à la tête d'un auteur, ou d'un artiste. Ahmed Nadji, lui, purge une peine de deux ans pour avoir commis une «atteinte à la pudeur» dans son dernier roman La vie, mode d'emploi. Ce roman avait été publié en bonnes feuilles dans la très sérieuse revue Akhbar al-adab, que dirigeait Gamal Ghitani. Et la liste n'est pas close.