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A fonds perdus
Les «Meccanomics» arrivent !
Publié dans Le Soir d'Algérie le 20 - 05 - 2014


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Patrick Haenni a raison de rappeler aux pauvres citoyens du monde arabo-musulman que nous sommes ce que nous réservent les nouveaux maîtres du monde états-uniens à l'ère d'Obama(*). A cet effet, il nous invite à relire l'ouvrage de Vali Nasr, Meccanomics. The March of the New Muslim Middle Class, paru en 2010. Né en Iran, en 1960, Vali Nasr s'est installé aux Etats-Unis après la révolution islamique de 1979. Il est doyen de l'école des hautes études internationales de l'université Johns-Hopkins à Washington, conseiller de Richard Holbrooke, chargé de l'Afghanistan et du Pakistan au département d'Etat, de 2009 à 2011.
Vali Nasr est resté conseiller de l'administration Obama pour ces mêmes contrées.
La recherche de Vali Nasr est un fin substitut à la vieille et désastreuse croisade de l'administration Bush.
Sa thèse centrale est que les gouvernements occidentaux devraient concentrer leur énergie sur la recherche de moyens pour renforcer les classes moyennes émergentes, en soutenant leurs aspirations démocratiques et l'amélioration des conditions économiques.
Cette thèse identifie un certain nombre de fractures idéologiques issues de l'échec aussi bien du nationalisme que du fondamentalisme, échec qui doit impérativement déboucher sur la victoire de l'économie de marché et l'avènement d'une nouvelle classe sociale, celle des «Meccanomics», «la nouvelle classe moyenne musulmane portée sur l'entreprise, la démocratie et une religiosité décomplexée mais sans excès que le thème de l'Etat islamique ne branche plus». En somme une classe pieuse et marchande, porteuse d'une synthèse islamo-libérale.
La classe moyenne qui porterait désormais le poids de l'évolution en cours dans la région serait mue par une relative «culture non coercitive de la civilité».
La thèse est particulièrement opératoire pour les sociétés turque et iranienne. En effet, les entreprises modernistes sécularisantes vécues en Turquie et en Iran auraient poussé le monde musulman à «embrasser la modernité du mauvais côté, à travers un processus autoritaire de construction de l'Etat dans l'espoir d'impulser la prospérité, après des siècles de défaites humiliantes à l'Ouest et les ravages du colonialisme».
Le sécularisme a échoué en raison de son incapacité à assurer le développement des pays qu'il entreprit de réformer. Un tel processus de modernisation a également échoué car les Etats ne peuvent pas être «plus vite et plus efficients que les marchés ; ils sont notoirement médiocres dans la gestion des économies».
D'où l'impasse de pays arabo-musulmans.
La réponse à cette impasse sera, en partie, religieuse et provient de la classe moyenne issue des «politiques de développement stato-centrées et par le haut». Cette classe dont l'émergence ne date pas d'aujourd'hui était trop dépendante de l'Etat pour se transformer en agent de démocratisation : «Comme un papillon volant trop près de la flamme, la classe moyenne se trouverait consommée par sa proximité avec l'Etat, en s'abstenant de soutenir le capitalisme et la démocratie, et en ralliant des autocraties politiques assises aux commandes de l'économie et prêchant des idéologies uniformes rigides».
Vali Nasr estime que la promotion de la démocratie doit se faire avant tout dans le champ économique, et par le marché : «La bataille la plus décisive pour l'avenir de la région ne sera pas celle de la religion – le vent a déjà tourné contre l'extrémisme (...) La lutte qui ouvrira la voie à la défaite décisive de l'extrémisme et de la libéralisation sociale sera la bataille pour libérer les marchés. Si cette bataille est gagnée par le secteur privé des chefs d'entreprises et la classe moyenne liée à eux, les droits politiques suivront».
Au capitalisme et à la démocratie, la classe moyenne substitue, pour le moment, le religieux, une alternative d'autant plus tentante qu'en matière de redistribution, «les mouvements islamistes sont infiniment plus efficaces que les institutions publiques».
Le fondamentalisme religieux n'en est pas moins défaillant, puisque, à l'exception des Talibans afghans, il n'a pu faire faire tomber d'autre régime et a été partout systématiquement mis en échec. Par conséquent, «l'Etat islamique devient une demande moins pressante et au militantisme politique succède alors un activisme social et religieux moins concerné par la question du pouvoir».
La nouvelle alchimie est là : l'islam se libère de la question de l'Etat et entre en interaction avec la société civile et le marché», commente Patrick Haenni. Cette nouvelle donne est illustrée par l'avènement d'une nouvelle catégorie de prédicateurs : Amr Khaled dans le monde arabe, Fethullah Gülen dans le monde turcophone, Ahmed al-Shugairi dans les pays du Golfe, le mouvement des adeptes de Munira al-Kubaisi, un mouvement de femmes d'inspiration soufie.
Le nouveau credo est de concilier piété et modernité, islam et globalisation, «afin de rassurer les masses musulmanes qu'un mode de vie moderne – la quête du succès matériel, la télévision, les boîtes de nuit, la musique pop – n'est pas antinomique avec l'Islam».
Le nouveau mot d'ordre est : «Modernity and business-friendly Islam».
«L'amitié» tant espérée entre l'Islam, la modernité et le monde des affaires est aujourd'hui incarnée par le modèle turc. Piété islamique et ferveur capitaliste sont le nouveau couple gagnant, principalement incarné par l'AKP, depuis 2002.
Les records de croissance qui lui sont reconnus sont attachés à une alchimie de valeurs comme «l'esprit d'initiative, des success stories en cascade, un capitalisme indépendant, une piété ostensible moins intéressée à l'Etat».
La nouvelle these des Meccanomics est, par ailleurs, «une invitation à l'Occident à penser en termes nouveaux son rapport à l'islam et au radicalisme».
L'Occident est invité à s'éloigner des «régimes autoritaires et stato-centrés» qui ont «non seulement nourri le fondamentalisme – par réaction – mais aussi entravé l'émergence de classes moyennes indépendantes porteuses de démocratie et de libéralisme».
Dans l'ensemble, Vali Nasr aura vu juste sur un certain nombre de points cruciaux, principalement trois :
* Les récents mouvements en faveur du changement sont fortement marqués de l'empreinte des classes moyennes des villes ;
* Ces mêmes mouvements ne se réfèrent pas directement et prioritairement au discours religieux ;
* Le vecteur principal de la nouvelle revendication est une culture politique qui s'inscrit pleinement dans la globalisation : «c'est une culture anti-autoritaire, soucieuse de transparence, non identitaire, désintéressée des idéologies prêt-à-porter, pragmatique et porteuse d'un rapport culturel non polémique à l'Occident».
Sur le terrain, les choses n'évoluent pas comme prévu, ni au rythme souhaité.
«Les printemps arabes sont en train de produire quantité d'Etats impuissants, de la Tunisie au Yémen, en passant par la Libye, la Syrie...», confiait, quelque peu désabusé, Vali Nasr au quotidien Libération (31 mai 2013).
A. B.
(*) Patrick Haenni, Meccanomics : la solution par le marché pour le monde musulman, http://www.saphirnews.com, mardi 9 août 2011.


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