Le retournement spectaculaire de la situation en Egypte et la chute de l'islamisme politique marquent un tournant majeur dans l'évolution et la marche des peuples qui appartiennent à cette sphère. Les événements en cours, uniques dans l'histoire de l'humanité, consacrent définitivement le caractère démocratique moderne du soulèvement populaire contre le despotisme et la soumission. Ce qui se passe actuellement en Egypte rappelle le souvenir récent de l'affrontement imposé par l'islamisme à notre peuple et la défaite cinglante de l'islamisme. Une défaite que nous avions qualifiée d'historique parce qu'elle a permis une rupture radicale en faveur du projet de société et d'Etat moderne contre le projet de société médiéval. Ces événements, ainsi que ceux qui ont eu lieu en Turquie et la situation que connaissent des pays encore plus proches de nous tels que la Libye et la Tunisie confirment l'exigence absolue de rupture avec l'islamisme politique qui a émergé à la faveur de la crise de valeurs qui a secoué le monde depuis la chute du mur de Berlin et la dérive néolibérale du capitalisme. L'islamisme qui s'est alors présenté comme la troisième colonne entre le capitalisme décadent et l'échec du «socialisme réel». Cette troisième voie qui prône «la régression féconde», le retour au passé et à la soumission des peuples aux maîtres du moment ne peut pas faire long feu pour deux raisons importantes : d'une part, les peuples de la région ne sont pas en marge de la dynamique contradictoire de la mondialisation marquée par la crise financière et économique, l'inquiétude légitime des peuples du monde soulevée par les problèmes d'environnement, mais aussi par les formidables conquêtes de la Révolution scientifique et technologique, et la montée fulgurante des pays émergents. Cette dynamique accélérée ne manque pas d'aiguiser la conscience universelle. Désormais, les peuples de la région revendiquent la modernité et le progrès. La tendance de fond est d'aller de l'avant, de conquérir leur place dans un monde où les faibles n'ont pas de place, Le message est clair : pour sortir de l'instabilité et trouver des solutions aux problèmes de notre temps, il faut se placer dans la perspective du changement démocratique moderne et opérer, même dans la douleur, et forcément dans la douleur, les mutations profondes dans le socle économique, politique culturel et institutionnel. Les tergiversations et les politiques de compromission obscures entre des projets de société et d'Etat antagoniques inconciliables mènent inéluctablement à l'impasse. Il est impossible de rassembler et de «réconcilier» (pour rester dans le jargon du pouvoir) tout un peuple autour de deux visions irréconciliables du monde. Il est nécessaire d'inscrire les mouvements formidables de contestation qui secouent la région et le monde dans le contexte historique de la crise universelle, générée par les injustices et la cupidité des nantis, et de prendre acte du caractère fondamentalement démocratique de leurs revendications sociales, économiques, culturelles et identitaires. Tous les efforts pour étouffer l'expression de cette volonté et imposer des solutions négociées dans les coulisses entre des politiciens déconnectés du réel, avec en toile de fond, nécessairement des intérêts particuliers malsains, sont voués à l'échec et ne feront qu'approfondir la crise. Il s'agit d'une réponse cinglante aux thèses occidentales qui frisent le racisme et qui considèrent que les peuples de la région seraient imperméables à la modernité, et que l'islamisme politique serait un mal nécessaire. Par ailleurs, l'attitude mitigée, pour ne pas dire froide de l'Occident vis-à-vis du mouvement populaire est significative de son soutien intéressé à l'islamisme politique. Le retournement en Egypte est considéré comme un coup d'Etat militaire ! Fini le temps où les Etats Unis plaçaient des Pinochet à la tête des Etats qu'ils voulaient soumettre avec la complicité de l'ensemble de l'Occident ? Gageons que désormais le tourisme en Egypte sera relancé, et que les touristes du monde entier viendront pour admirer non pas les pyramides mais cette curiosité que constituent le courage et la fougue du peuple égyptien contre la régression ! Les médias occidentaux ne tarissent pas de commentaires : «La destitution de Morsi a soulevé une vague de joie en Egypte et une vague d'indignation dans la communauté internationale !» Cette communauté internationale bienpensante feint d'ignorer qu'on ne peut pas réduire l'Etat moderne démocratique au processus électoral. Surtout lorsque ce processus peut aboutir à la remise en cause de la nature moderne et démocratique de l'Etat. Cette crise est en réalité la confirmation magistrale du caractère antagonique de la contradiction entre deux catégories radicalement différente : la modernité et l'islamisme. L'Occident qui n'est pas embarrassé par le despotisme des Etats du Golf, s'offusque du retournement en Egypte en évitant de reconnaître le contenu de cette contestation populaire de l'islamisme ! La tournure que prennent les événements contrarie fortement les pays occidentaux parce qu'elle est en porte-à-faux avec la stratégie dans laquelle ils voulaient enfermer toute la région. C'est sous leur pression que la classe politique dans les pays arabes a été formatée depuis sa naissance avec une malformation congénitale, en dehors de certains partis historiques, pour aboutir à une seule conclusion : la coexistence pacifique est impossible entre des formations structurées autour de préoccupations religieuses, ethniques, confessionnelles, identitaires. Il s'agit d'une différenciation qui reproduit les archaïsmes sur une base communautaire, qui voile les intérêts matériels, et mènera inéluctablement vers l'éclatement des Etats. Seule une refondation démocratique de la classe politique sur la base des intérêts socioéconomiques des couches et classes sociales peut prémunir les Etats de la région du démantèlement programmé. La séparation entre le politique et le religieux est bel et bien au cœur des enjeux d'avenir pour ces pays. Le pourrissement en Syrie est une autre démonstration des luttes acharnées qui sont menées pour asseoir l'hégémonie des grandes puissances sur une région et défendre leurs intérêts. Le rapport de force au sein de l'opposition syrienne est-il favorable à l'établissement d'un Etat démocratique moderne ? Rien n'est moins sûr. Pourtant, les pays occidentaux et les potentats du Golfe la soutiennent sans réserve... Pour notre pays, qui a vécu des événements plus terribles encore, il est temps de tirer les enseignements aussi bien de notre propre expérience que de celles des autres pays du Maghreb et du monde arabe. La seule alternative salutaire est dans la séparation du politique et du religieux, et la consécration de la citoyenneté. Un tel socle constitutionnel posera l'exigence d'une refondation démocratique des institutions de l'Etat dont la classe politique.