Par Hassane Zerrouky Jouissant d'une popularité que même ses adversaires et ses ennemis ne lui contestent pas, sacré avant même l'annonce des résultats, ce qui lui a permis de faire l'économie d'une campagne électorale – le maréchal Abdelfatah Sissi n'a pratiquement tenu aucune réunion électorale – le tombeur du président Mohamed Morsi redoutait plus que tout la faiblesse de la participation. En effet, cette popularité bien réelle est une arme à double tranchant. Jugeant que Sissi n'avait pas d'adversaire en mesure de le bousculer un tant soit peu et, de ce fait, sachant que l'élection présidentielle était donc pliée d'avance, de nombreux électeurs égyptiens se sont sans doute dit «à quoi bon aller voter ?». La crainte donc d'une faible participation a décidé les autorités égyptiennes à prolonger d'un jour l'élection présidentielle – au pays des pharaons on vote deux jours de suite – laquelle n'a pris fin qu'hier mercredi au moment où s'écrivait cette chronique. Mardi, le taux de participation n'était que de 37%, loin de la participation massive escomptée. Et être élu avec moins de voix que Morsi aurait fait mauvais effet. Ainsi, grâce à cette entorse à la loi électorale consistant à prolonger d'autant la durée de l'élection présidentielle, qui ne semble choquer personne, Abdelfatah Sissi est assuré d'une participation électorale à la hauteur de la popularité dont il jouit en égypte. Car dans le contexte de cette élection jouée d'avance, une forte participation assure une fonction de légitimation du président élu et de plébiscite. Avec la victoire programmée de Sissi, une page de l'histoire mouvementée de l'Egypte depuis la chute de Moubarak est en train de se refermer. La révolte de Tahrir, l'exceptionnelle mobilisation populaire de l'année 2011 contre Moubarak, puis celle aussi exceptionnelle contre les dérives du régime Morsi en 2012-2013, ne seront, dans quelques jours,plus qu'une parenthèse. Depuis juillet 2013, la donne a changé : plus de 41 000 personnes dont plus de 5 000 étudiants ont été arrêtées, à la suite des manifestations de protestation contre la mise à l'écart de Morsi organisées par la confrérie des Frères musulmans. Et du fait du terrorisme d'Ansar Beit el Makdes, qui a revendiqué plusieurs attaques et attentats particulièrement sanglants contre les forces de sécurité, le régime égyptien a durci davantage sa répression comme en témoignent ces deux procès monstres expéditifs où des centaines d'islamistes ont été condamnés à la peine de mort. La répression s'est également étendue au Mouvement du 6 avril, l'un des acteurs majeurs de la chute de Moubarak mais aussi de celle de Mohamed Morsi, vient d'être interdit d'activité pour avoir organisé des manifestations dénonçant l'autoritarisme, les atteintes aux libertés chèrement payées. Plusieurs de ses membres, dont la jeune avocate Mahienour Al Masry, une des animatrices en 2012-13 à Alexandrie des révoltes de la jeunesse contre le président Morsi et les Frères musulmans, a été condamnée le 20 mai à deux ans de prison pour avoir participé à une manifestation exigeant la libération de ses camarades ! D'autres jeunes sont dans le collimateur de la justice. Ce processus répressif n'est pas sans rapport également avec la détérioration de la situation sociale et économique. En effet, dans un contexte de montée des tensions sociales et d'insécurité, les conditions socioéconomiques poursuivent leur dégradation : la croissance reste fragile, le déficit budgétaire (13% du PIB) est trop élevé pour être tenable et la dette publique est passée de 78,6% en juin 2012 à 87,1% du PIB en juin 2013 avec un service des intérêts s'élevant à 8,4% du PIB. Seule lueur d'espoir ayant permis au Caire de respirer, cette arrivée massive de fonds en provenance des pays du Golfe pour un montant total de 16 milliards de dollars (Emirats arabes unis pour 7 milliards de dollars, Arabie Saoudite pour 5 milliards de dollars et Koweït pour 4 milliards de dollars). En parallèle, le taux de chômage augmente (39% des jeunes 20-24 ans sont sans emploi), et les écarts de revenus entre les zones rurales et urbaines restent élevés. De ce fait, pour les autorités égyptiennes, une reprise en main musclée semble un corollaire indispensable à la remise en marche de la machine économique. Mais chacun sait que la répression n'est pas bonne conseillère surtout quand il s'agit de remettre un pays sur les rails du développement et du progrès social.