L'intérêt du président de la République pour l'exploitation des hydrocarbures de schiste, davantage manifeste, est-il à interpréter comme opportun ou non ? La question reste posée en l'absence d'une réelle volonté de sortir de la dépendance des hydrocarbures, de la rente. Chérif Bennaceur - Alger (Le Soir) Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika est intéressé par le développement des hydrocarbures (gaz et pétrole) de schiste. C'est le secrétaire américain à l'Energie, Ernest Moniz, qui en fait état, ayant été reçu avant-hier par le Chef de l'Etat et auparavant par le ministre de l'Energie, Youcef Yousfi. «Le président Bouteflika était très intéressé par ce que nous faisons aux Etats-Unis et je lui ai parlé en particulier de la production de gaz de schiste et du pétrole de schiste et les précautions que nous prenons en ce qui concerne la protection de l'environnement pendant la phase de production», déclarera l'officiel américain. Ainsi, le chef de l'Etat exprime un intérêt, voire des préoccupations concernant l'exploitation de ces hydrocarbures et leur impact sur l'environnement, doit-on comprendre. Abdelaziz Bouteflika manifeste-t-il donc un intérêt dicté par la crainte que l'exploitation de ces hydrocarbures ne soit porteuse de risques environnementaux ? L'intérêt du président de la République est-il seulement dicté par le souci de bénéficier de l'expertise américaine dans ce domaine ? Ou bien le chef de l'Etat manque-t-il de vision claire concernant le développement de ces hydrocarbures ? Ce qui semble assez incompréhensible dans la mesure où il avait déjà appelé le gouvernement à veiller à ce que la prospection et l'exploitation ultérieure des hydrocarbures schisteux soient menées avec le souci de préserver les ressources hydriques et de protéger l'environnement. Lors du récent Conseil des ministres, l'aval a été donné en effet pour l'entame du développement de ces hydrocarbures, sur la base d'une bonne préparation des travaux d'extraction dans un futur lointain. Mais aussi l'accord y a été donné pour le lancement des procédures requises en direction des partenaires étrangers. Notons dans ce sens que le Premier ministre a indiqué le même jour, devant les membres de la Chambre basse du parlement que l'exploitation du gaz de schiste interviendra à long terme. «Nous avons adopté un nouveau texte sur le gaz de schiste et nous devons expliquer à nos citoyennes et citoyens qu'on ne peut se dérober à son exploitation à long terme», déclarait Abdelmalek Sellal, soulignant toutefois que son exploitation «n'est pas pour aujourd'hui». Précis, le Premier ministre a indiqué que le secteur de l'énergie va entamer la phase préparatoire de l'exploitation à long terme du gaz de schiste par des forages pilotes afin de définir les procédés de production des hydrocarbures non conventionnels. Ce que le ministre de l'Energie confirmera, à l'issue de l'audience accordée à son homologue américain, en indiquant que des tests sont déjà effectués au niveau de certains bassins sédimentaires contenant des hydrocarbures non conventionnels. Des tests destinés à évaluer le potentiel et la qualité de la roche-mère ainsi que la faisabilité technique et économique de l'exploitation, selon Youcef Yousfi. Au-delà d'une certaine nuance, davantage discursive que significative, entre les propos du ministre de l'Energie et ceux du premier ministre, l'engagement de l'exécutif à impulser le développement des gaz et pétrole est bien et bien concret. Néanmoins, un intérêt manifeste de l'exécutif et du président de la République qui suscite questionnement. De fait, l'intérêt marqué par Abdelaziz Bouteflika est-il suscité par l'opportunité qu'offre cette ressource énergétique pour l'Algérie en tant que source de revenus supplémentaires ? Ce qui implique cependant de régler les problèmes liés aux choix de la technologie d'extraction, le coût élevé des équipements et de la logistiques ainsi que la gestion efficiente des risques environnementaux, outre la problématique de la commercialisation et de la tarification de l'énergie générée. Mais en l'absence de vision nationale de long terme, en l'absence d'une stratégie efficace de diversification de l'économie, d'un soutien concret à l'investissement productif, à la relance industrielle, celle agricole et celle des services numériques, cet intérêt présidentiel risque d'être incompris. Certes, l'exécutif avance l'objectif d'assurer la sécurité énergétique du pays à très long terme. A ce propos, Abdelmalek Sellal observera que l'Algérie se doit à l'avenir de conforter ses réserves de gaz et de pétrole en vue de maintenir ses volumes d'exportation et, partant, préserver sa position d'acteur actif sur le marché international des hydrocarbures. Un argument que le Premier ministre étaye par l'incapacité du pays, sur la base d'un volume de réserves de 12 milliards de barils et de 4 000 milliards de m3 de gaz, à pouvoir maintenir ses volumes d'exportation actuels à l'horizon 2030. D'où l'opportunité, selon le responsable de l'exécutif, d'intensifier les effort d'exploration et de développement en mettant en production de nouveaux gisements de pétrole et de gaz. «Si les réserves restent en 2030 à leur niveau actuel, nous n'allons couvrir que la demande nationale, il en restera très peu pour l'exportation», assurait Abdelmalek Sellal. Notons, ce faisant, que l'exécutif avance une échéance que les précédents gouvernements, voire l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, n'ont jamais assumée telle quelle. Certes, différentes dates ont été évoquées pour la fin de l'âge du pétrole, à des périodes diverses, notamment par des experts et des opérateurs pétroliers, même si l'incertitude persiste encore. Lors de sa première magistrature, Abdelaziz Bouteflika n'avait-il pas évoqué l'horizon 2017 pour la fin du pétrole, laissant entendre qu'il fallait s'y préparer ? Trois mandats présidentiels déja écoulés, aucune dynamique efficiente de préparation de l'après-pétrole n'a été cependant enclenchée, tandis que cette échéance de 2017 devient davantage proche. Ainsi, la gestion des dépenses publiques, de la politique sociale reste encore liée à la manne des hydrocarbures, la facture de l'importation de tous les biens et services ne cesse d'exploser, et le soutien aux véritables investisseurs relève malheureusement de l'aléatoire. En outre, le dilemme de la relance de la production actuelle d'hydrocarbures reste irrésolu, nonobstant la rhétorique gouvernementale sur l'intensification de l'effort d'exploration et les efforts méritoires et choix opérés par la compagnie nationale Sonatrach. Comment interpréter alors cet intérêt réputé présidentiel si ce n'est par une volonté opportuniste de compenser le déclin de la production et de l'exportation des hydrocarbures conventionnels, un déclin avéré depuis plusieurs années, par le recours à d'autres ressources proches pour assurer le maintien de la rente, voire pour générer quelques bénéfices sociopolitiques de court ou moyen termes et favoriser des intérêts certains ou certains intérêts !