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MOHAMED CHAFIK MESBAH AU "SOIR D'ALG�RIE"
"J'ai commis des erreurs d'appr�ciation"
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 12 - 2004

"Ayant choisi de laisser le processus de professionnalisation des arm�es produire tous ces effets, le pr�sident de la R�publique favorise l'�mergence d'une cha�ne de commandement totalement r�g�n�r�e qui le dispense de payer le prix politique du limogeage de l'ancienne hi�rarchie."
L. S. : Vous vous �tes livr�, dans vos entretiens, � une pr�sentation presque convaincante de l'institution militaire que vous aviez d�cortiqu�e, organiquement, sociologiquement et politiquement. Votre raisonnement laissait imaginer, cependant, que l'institution militaire, solidaire et homog�ne, ferait obstacle � une nouvelle cohabitation avec M. Bouteflika. Cette hypoth�se n'a pas �t� confirm�e dans les faits…
M.C.B. : Je suis heureux de vous voir convenir que mon analyse de l'institution militaire �tait convaincante. Je ne suis pas dupe pour autant. Sur ce point aussi, mon analyse a �t� �maill�e d'anomalies. Les divergences d'appr�ciation qui ont pu exister entre les services de renseignements et l'�tat-major de l'ANP m'ont �chapp�. L'observateur avis� pouvait relever, parfaitement, que l'absence inhabituelle sur le terrain des services du DRS profitait, indubitablement, au candidat de l'administration. L'ambassade am�ricaine � Alger, particuli�rement active avant le scrutin pr�sidentiel, aurait, par ailleurs, inform� les hautes autorit�s militaires d'un message officieux de l'administration Bush recommandant de ne pas contrarier le d�roulement du scrutin. Bref, d'en admettre les r�sultats d�j�, parfaitement, pr�visibles. Un lien de causalit� entre les deux d�marches peut-il �tre envisag� ? Comment, en l'absence de communication officielle transparente, v�rifier la v�racit� de simples supputations ? Certes, la d�mission du g�n�ral Lamari, le regain en puissance — apparent — du DRS et l'�loge dithyrambique des USA pour l'Alg�rie semblent conforter les faits. Mais c'est, probablement, aux historiens qu'il reviendra de lever le voile sur cet �pisode obscur. Revenons, n�anmoins, au cœur de votre question. Comment expliquer que la cohabitation entre la hi�rarchie militaire et le chef de l'Etat r��lu, suppos�e impossible, ait pu s'instaurer ? Tacticien averti, le pr�sident Bouteflika s'est empar� du probl�me par le bon bout. Il a entrepris de modifier la cha�ne de commandement sans perturber son fonctionnement ni affecter sa coh�rence. Proc�dant avec mesure au d�gagement des rangs dans la hi�rarchie, il a favoris� l'�mergence, presque naturelle, de nouveaux chefs militaires, insensibles aux sir�nes de la politique, avides de modernisation et de progr�s technologiques, ouverts, r�solument, � un partenariat d'exception avec le monde occidental...
L.S. : �tes-vous s�r que la hi�rarchie militaire se rajeunit ?
M.C.M. : Naturellement, des exceptions peuvent se glisser dans le lot. C'est la tendance g�n�rale qui doit retenir l'attention. Au demeurant, la fonction de chef d'�tat-major de l'ANP — puisque vous focalisez sur ce point votre attention — en voie de technicisation est appel�e � �tre r�gie par les r�gles de mobilit� en usage dans les arm�es classiques.
L.S. : Attardons-nous si vous le permettez sur les transformations qui ont affect� l'institution militaire. Sont-elles le signe d'un apaisement d�finitif des relations de la hi�rarchie militaire avec le pr�sident Bouteflika ?
M.C.M. : Faut-il rappeler mon positionnement politique pour me pr�munir contre le risque d'�tre assimil� � un courtisan ? Car l'analyse objective conduit � conclure que le pr�sident Bouteflika a �t� inspir�, � propos de cet �pisode, par un sens pratique dont �tait coutumier, plut�t, le d�funt pr�sident Houari Boumediene. Rappelez-vous, � cet �gard, l'une des th�ses que j'avais d�velopp�es � propos de l'institution militaire, � savoir qu'elle n'avait jamais �t� aussi soumise au pouvoir politique que sous le r�gne du d�funt Houari Boumediene. C'�tait le r�sultat d'une technique particuli�re de gestion de la hi�rarchie militaire. Pour remodeler la cha�ne de commandement militaire — exercice auquel il se livrait parcimonieusement —,le pr�sident Boumediene s'adonnait � une alchimie dont il d�tenait seul le secret. Les r�centes mesures de nomination et de mise � la retraite au sein de la haute hi�rarchie, d�notent une connaissance minutieuse des arcanes de l'institution militaire, une certaine habilet� dans la mani�re de composer avec ses r�alit�s. Le premier �v�nement qui retient l'attention, � propos de ces changements, concerne, �videmment, la d�mission de l'ancien chef d'�tatmajor de l'ANP. Il faut noter, tout d'abord, cette gestion habile de l'information par la pr�sidence de la R�publique qui, distill�e � faible dose, a fait perdre � l'�v�nement sa signification. De quoi en retournait-il ? Le g�n�ral Mohamed Lamari ayant pris acte du d�voiement, pour d'innombrables consid�rants, de la position de neutralit� affich�e par l'institution militaire, en a tir� les cons�quences et pr�sent� sa d�mission. C'est le comportement du parfait militaire. Il faudra, sans doute, un laps de temps significatif avant que n'�merge un rempla�ant qui dispose de l'autorit� indispensable pour s'imposer, sans murmure, � toute la cha�ne de commandement. Le deuxi�me �v�nement se rapporte au r��quilibrage calcul� qui a �t� introduit, de mani�re presque anodine, dans la r�partition des pouvoirs au sein du minist�re de la D�fense nationale. D�sormais, le chef d'�tat-major est en charge de la pr�paration et de l'emploi des forces. C'est la mission classique d�volue � ses homologues dans les arm�es modernes. Les attributions relatives � la gestion administrative et financi�re, notamment la gestion des personnels, y compris leur nomination, rel�vent du secr�taire g�n�ral du minist�re de la D�fense nationale, par d�l�gation du ministre, en l'occurrence, le pr�sident Bouteflika lui-m�me. Nous voil� presque revenus � cette p�riode o� le pr�sident Boumediene – pour pr�venir toute tentative de coup de force – veillait � faire interp�n�trer les pr�rogatives des chefs militaires, les unes aux autres, de mani�re que nul ne dispose d'un pouvoir absolu. C'est un pas important vers un fonctionnement normalis� de l'institution militaire.
L.S. : Ces mesures vous paraissent d�terminantes pour l'�volution future de l'institution militaire ?
M.C.M. : Attendez la suite avant de vous impatienter. C'est le troisi�me �v�nement qui est le plus significatif. Il concerne l'irruption marqu�e aux vrais leviers de commande de cette nouvelle g�n�ration d'officiers, issus notamment des excadets de la R�volution et des universitaires recrut�s sur titres. Pr�sents en force au seins des forces terrestres, ces ex-cadets de la R�volution constituent une v�ritable corporation, une p�pini�re de cadres de valeur, impr�gn�s par le seul habitus militaire. L'�crivain Yasmina Khadra a, brillamment, relat� leur univers dans son livre de m�moires. Lorsque j'�voquais dans mes analyses la disparition des clivages militaires traditionnels au profit de reclassements fond�s sur l'�mulation professionnelle, j'avais omis, par inadvertance, de souligner que, d�j�, les ex-cadets de la R�volution �taient aux commandes des principales unit�s de feu et les universitaires recrut�s sur titres, � la t�te de plusieurs services sensibles de l'administration centrale. Adoptant une d�marche teint�e de pragmatisme, le chef de l'Etat qui sait disposer, d�sormais, de l'appui des responsables militaires nouvellement promus, n'a pas renonc� � la recomposition totale de la cha�ne de commandement. Il laisse, seulement, le processus de professionnalisation produire ses effets. A br�ve �ch�ance, la d�marche va favoriser l'�mergence d'une cha�ne de commandement totalement r�g�n�r�e, sans m�me que le chef de l'Etat ait � supporter le prix politique du limogeage de l'ancienne hi�rarchie. La d�marche actuelle du pr�sident Bouteflika co�ncide, apparemment, avec les attentes de cette g�n�ration d'officiers, ex-cadets de la R�volution et jeunes universitaires recrut�s de la vie civile qui, impuls�s par une forte conviction patriotique, fondent leur l�gitimit�, seulement, sur leur comp�tence technique et leur exp�rience professionnelle.
L.S. : Le chef d'�tat-major partant serait � l'origine du blocage rencontr� par cette nouvelle g�n�ration d'officiers ?
M.C.M. : Vous faites bien de m'inciter � clarifier ma r�ponse. Je refuse de me plier � cette propension des n�tres qui consiste � jeter l'anath�me sur les anciens chefs d�s lors qu'ils sont partis. Il suffit, pourtant, de faire la part des choses et d'examiner, avec s�r�nit�, les faits sans devoir attenter � la dignit� de ceux qui s'�taient d�vou�s pour leur pays. Remontons un peu loin dans l'histoire pour faire la gen�se de ce processus de professionnalisation dont nous recueillons, aujourd'hui, les fruits. Le chef de l'Etat, m�me s'il a choisi habilement de conforter la professionnalisation en cours, ne fait que recueillir, en fait, les r�sultats d'un processus entam� de longue date. Le processus a d�but�, incontestablement, avec le pr�sident Houari Boumediene qui avait cr�� et d�velopp� les �coles des cadets de la R�volution non sans ouvrir, par sa fameuse directive dite de �l'Arm�e des cadres�, les portes des forces arm�es aux jeunes universitaires d�sireux d'�pouser la carri�re militaire. Il avait m�me dot� l'Acad�mie Interarmes de Cherchell d'un statut privil�gi� de mani�re qu'elle assume une mission de r�ceptacle pour la mise � niveau des comp�tences - et, surtout, de mise en concordance des convictions id�ologiques - des �lites militaires destin�es aux postes sup�rieurs de commandement. Strat�ge accompli, le d�funt pr�sident avait d�j� en projet de leur confier, � terme, selon certains t�moignages fiables, les r�nes de l'institution militaire. Apr�s la disparition de Houari Boumediene, le processus de professionnalisation a �t�, plus ou moins, sauvegard� par les commandements militaires qui se sont succ�d�. Certains ont bien ferm� les portes des �coles des cadets de la R�volution et d'autres ont r�duit, � sa plus simple expression, le recrutement sur titres parmi les universitaires. Mais le mouvement d�j� lanc� ne pouvait �tre arr�t�. C'est ainsi que les officiers issus de ce mouvement de professionnalisation ont acc�d�, progressivement, � des niveaux significatifs de responsabilit�. Mais l'acc�s aux postes d�cisionnels dans la haute hi�rarchie leur demeurait, quasiment, ferm� au motif qu'il fallait attendre la stabilisation d�finitive de la situation s�curitaire. L'objectivit� commande de souligner, � cet �gard, que le g�n�ral Lamari ne disposait, en termes de droit constitutionnel, que d'un �pouvoir d'ordre�, par d�l�gation du v�ritable chef de l'arm�e, le pr�sident de la R�publique. Certaines contingences �chappaient totalement au g�n�ral Lamari. Militaire de profession, cependant, l'ancien chef d'�tatmajor n'ignorait pas qu'une fin de campagne militaire — et la lutte contre le terrorisme en fut une — donne toujours lieu � un renouvellement de commandement.
L.S. : A votre avis, la d�marche actuelle du chef de l'Etat doit-elle conduire, n�cessairement, � la nomination d'un ministre de la D�fense nationale ?
M.C.M. : Dans la nouvelle configuration de la cha�ne de commandement militaire, la fonction de chef d'�tat-major, rappelons-le, est, totalement, technicis�e. C'est en ce sens que l'importance du titulaire du poste devient secondaire. C'est une fonction qui sera caract�ris�e par une forte mobilit�. Dans quelques ann�es � peine, le chef d'�tat-major sera choisi parmi les cadets de la R�volution. Durant un intervalle plus ou moins bref, les forces arm�es peuvent, cependant, souffrir de ne pas disposer, presque de mani�re habituelle, de chef charismatique en qui elles pourraient se reconna�tre. Le r��quilibrage des pr�rogatives op�r� au sein du minist�re de la D�fense nationale pourrait donner naissance, alors, � l'apparition de "p�les de pouvoir", pr�judiciable au bon fonctionnement de l'institution militaire. A partir de ce constat, deux hypoth�ses peuvent �tre envisag�es. Pour �viter un �miettement excessif de l'autorit� au sein des forces arm�es, le pr�sident Bouteflika pourrait nommer un ministre de la D�fense nationale. A plus forte raison, s'il souhaite d�montrer � l'opinion publique internationale qu'il tient bien en mains la situation. Si cette hypoth�se se v�rifie, le choix du titulaire devrait �tre m�rement r�fl�chi car une personnalit� anim�e d'intentions belliqueuses qui viserait � raviver les anciens clivages au sein de l'institution militaire ne pourrait que compliquer l'�volution en cours, en compromettant ce passage de relais, apparemment r�ussi, entre g�n�rations. Deuxi�me hypoth�se, enfin. Le pr�sident Bouteflika, consid�rant que la situation n'est pas, totalement, normalis�e au sein de l'institution militaire, pourrait choisir de ne pas perturber le point d'�quilibre actuel et pr�server le statu quo au sommet de la hi�rarchie, dans l'attente que le processus de professionnalisation produise tous ses effets.
L.S. : Excusez-moi de revenir sur la question. Votre pr�diction relative � la cohabitation impossible entre le pr�sident Bouteflika et la hi�rarchie militaire est bien contredite par les faits ?
M.C.M. : Il ne s'agissait pas de pr�diction. Il s'agissait d'une hypoth�se qui ne s'est pas v�rifi�e. Dans mon appr�ciation initiale, le pr�sident Bouteflika, obnubil� par ses rapports ambivalents avec la hi�rarchie militaire, aurait �t� tent�, plut�t, de construire une cha�ne de solidarit� clanique en rempla�ant les officiers partants par des cadres retrait�s inf�od�s ou autres pr�tendants tir�s du bas de l'�chelle. Cet �cueil est, actuellement, contourn�. Tant mieux pour la coh�sion de l'institution militaire.
L. S. : Est-il possible de conclure que l'institution militaire ne dispose plus, d�sormais, de motif pour pr�tendre � un r�le politique ?
M.C.M. : En tous les cas, une analyse pointue de la crise alg�rienne mettra en relief, n�cessairement, une certaine indigence de la haute hi�rarchie militaire en mati�re de conceptualisation politique et d'anticipation strat�gique. Votre sentence s'adresse, par cons�quent, � la cha�ne de commandement partante. Lorsque le contexte l'exigeait, elle n'a pas pu faire hisser de ses rangs cette figure embl�matique, cet Ataturck qui se serait empar� des attentes du peuple alg�rien pour assumer la conduite du mouvement de transformation du pays. R�cemment encore, elle a brill� par une position plut�t ambigu� qui n'a pas favoris� l'�mergence de cet officier politique, ce Melo Antunes alg�rien qui aurait permis au processus d�mocratique de franchir le gu�. Depuis les derni�res ann�es de la pr�sidence Chadli, un ph�nom�ne de r�gression avait commenc� � affecter la qualit� de la haute hi�rarchie militaire. En premier lieu, cette hi�rarchie, beaucoup plus technicienne que politique, arc-bout�e � une ligne de d�marcation ambigu� — articul�e autour d'un discours dit r�publicain et �anti-int�griste� — n'a pas su produire un vrai projet national alternatif au projet islamiste. En second lieu, cette hi�rarchie a privil�gi�, dans ses rapports � la soci�t�, des relais politiques tr�s peu fiables, sans v�ritable consistance id�ologique et sans r�el ancrage social. En troisi�me lieu, enfin, cette hi�rarchie est pass�e, progressivement, d'un mode de fonctionnement solidaire � un autre plus d�sarticul�, caract�ris� par l'apparition de divergences de vues en son sein et, surtout, par une rupture brutale des liens avec la communaut� des militaires vers�s � la retraite qui constituaient une t�te de pont avanc�e au cœur de la soci�t�. Voil� les raisons objectives de la disqualification politique de cette hi�rarchie partante. La g�n�ration d'officiers qui acc�de aux leviers de commande marque, certes, de la distance par rapport au champ politique. Mais, fortement cultiv�e et puissamment motiv�e, elle est avide de bonne gouvernance. Si la d�marche actuelle du chef de l'Etat vis-�-vis de l'institution militaire est g�n�ralis�e aux autres institutions nationales et, plus g�n�ralement, � toute la vie publique, il n' y aurait plus de motif, en effet, pour que l'arm�e se pr�occupe de politique.
L. S. : Quels sont les param�tres qui risquent d'influer le plus sur l'�volution de l'institution militaire ?
M.C.M. : Des facteurs endog�nes, d'abord. La professionnalisation en cours de l'institution militaire va s'acc�l�rer et la g�n�ration des cadets de la R�volution va, rapidement, frapper aux portes pour occuper la fonction de chef d'�tat-major. Vous imaginez, sans doute, les r�percussions qui en d�couleront. Des facteurs exog�nes, ensuite. Le raffermissement des relations de l'Alg�rie avec l'OTAN et leur institutionnalisation dans un syst�me de s�curit� r�gional vont tout logiquement acc�l�rer, en termes d'encadrement, d'�quipement et de fonctionnement, la modernisation de l'ANP. Le pr�sident de la R�publique semble, pr�cis�ment, pousser au m�rissement de ces ph�nom�nes, de mani�re � en finir, rapidement, avec la mue de l'institution militaire.
L.S. : Vous affirmez que si M. Bouteflika g�n�ralisait la d�marche qu'il a appliqu�e pour le renouvellement de la cha�ne de commandement militaire aux autres institutions nationales et � la vie publique en g�n�ral, l'arm�e n'aurait plus aucune raison pour se pr�occuper de politique. Pouvez-vous pr�ciser votre pens�e ?
M.C.M. : Cette derni�re phase dans les rapports institution militaire – pr�sident de la R�publique est d�terminante pour le bilan final du pr�sident Bouteflika. Sa d�marche, au sein de l'institution militaire, a consist� � favoriser une succession sans heurt entre g�n�rations avec l'�mergence de nouveaux et jeunes officiers, indemnes de germe politique, intellectuellement mieux form�s et professionnellement plus aguerris. C'est une d�marche qui se rapproche des normes de bonne gouvernance. Malheureusement, cette d�marche n'est pas g�n�ralis�e � l'ensemble des autres institutions nationales, notamment au niveau de l'appareil gouvernemental, o� le n�potisme s�vit de mani�re tr�s grave. Il y a un hiatus entre la d�marche appliqu�e par M. Bouteflika au niveau de l'institution militaire et celle que le gouvernement, par d�l�gation, applique au reste de la vie publique. A terme, si la situation g�n�rale dans le pays se d�grade jusqu'� atteindre un point de non-retour, l'institution militaire, consid�rant qu'elle a vocation � sauver la patrie, pourrait r�agir. Il faut savoir que ces jeunes officiers �mergents sont avides de bonne gouvernance. Cette r�flexion constitue, pour le moment, une simple hypoth�se d'�cole.
L.S. : Vous estimez que le pr�sident Bouteflika qui a entrepris de conforter le processus de professionnalisation des forces arm�es ne saurait tarder � engager une r�forme des services de renseignement ? Expliquez-vous …
M.C.M. Il est clair que le pr�sident de la R�publique gagnerait � exploiter l'avantage que lui procure la clarification de ses rapports avec l'institution militaire pour consacrer la s�paration services de renseignement - forces arm�es proprement dites. Ce passage est un lieu commun pour tout r�gime qui se r�clame du syst�me d�mocratique. Qui plus est, � l'heure de la mondialisation. Il s'agit, essentiellement, de d�connecter les services de renseignements des forces arm�es c'est�- dire de pr�server le corps de bataille de tout ce qui pourrait le mettre en contact avec la politique. Cette mesure implique, n�cessairement, le redimentionnement des activit�s des services de renseignements autour de missions d'int�r�t strat�gique li�es au d�veloppement national et � la s�curit� du pays.
L.S. : Pouvez-vous mieux d�finir ces nouvelles missions ?
M.C.M. : Bri�vement, il s'agit de veiller � la p�rennit� de l'ordre constitutionnel dans le pays, de contribuer � son d�veloppement �conomique et technologique et, enfin, de garantir sa s�curit� ext�rieure.
L.S. : Revenons � la r�forme proprement dite…
M.C.M. : Il s'agit, donc, de d�lier les services de renseignements, des t�ches exceptionnelles de maintien de l'ordre et de lutte contre la subversion qu'ils ont eu � assumer face � la d�t�rioration de la situation s�curitaire. Il s'agit, � pr�sent, de les r�orienter vers des objectifs de renseignements strat�giques. Cela implique une meilleure professionnalisation que seul le rel�vement qualitatif du niveau de formation et des crit�res de performance des cadres peut garantir. Civiliser, en somme, la composante des services de renseignements par l'introduction massive en leur sein, y compris aux �chelons de commandement, de personnels de haute qualification choisis hors fonction militaire. Il s'agit aussi d'organiser, en fonction des imp�ratifs de l'Etat de droit et des ambitions internationales du pays, la nouvelle communaut� du renseignements dont les composantes verront leurs attributions pr�cis�es et leurs modalit�s de coop�ration r�glement�es. De nombreux imp�ratifs plaident pour cette r�forme. D'abord le contexte national marqu� par l'avanc�e, m�me laborieuse, du processus d�mocratique ainsi que la stabilisation de la situation s�curitaire qui l�ve l'hypoth�que de l'urgence op�rationnelle. Le contexte international marqu� par la globalisation des affaires du monde avec cette g�n�ralisation forc�e du mod�le de bonne gouvernance ainsi que la mise en place impos�e de syst�mes contraignants de s�curit� r�gionale. L'environnement op�rationnel, enfin, qui impose une mise � niveau imposante des effectifs avec un d�lestage chirurgical des parties impropres. Cette action doit s'accompagner du d�veloppement acc�l�r� du potentiel scientifique et technologique des services de renseignement. Les principes d'application de cette r�forme peuvent �tre ramen�s � trois. Premier principe, les services de renseignements sont soumis, express�ment, � l'autorit� du pouvoir politique qui leur fixe leur plan de charges sous forme d'objectifs strat�giques majeurs. Deuxi�me principe, la r�partition judicieuse des missions entre services concern�s doit pr�venir l'exercice de tout monopole en mati�re de renseignement. Troisi�me principe, enfin, les services de renseignements doivent comporter en leur sein des cadres d'�lite exclusivement. Ils sont tenus, corr�lativement, sans renoncer au g�nie humain, de recourir aux technologies les plus pointues. Selon quelle m�thodologie devra intervenir la mise en œuvre de cette r�forme ? Il s'agit de susciter ce consensus national qui va permettre � toute la soci�t� d'adh�rer aux objectifs assign�s � la r�forme. De mani�re qu'elle ne soit pas v�cue comme une disgr�ce par les cadres de renseignements qui n'ont pas d�m�rit�. Naturellement, cette r�forme devra s'accomplir de mani�re graduelle pour ne pas paralyser les activit�s d'intelligence courantes. Cette architecture avec ses diff�rentes parties constitutives pourraient constituer la matrice, par excellence, de la loi organique sur la s�curit� nationale, express�ment mentionn�e dans la constitution. Peu importe, en finale, la forme que pourront rev�tir les services de renseignements — minist�re d'Etat, Haut Commissariat ou D�l�gation g�n�rale —, l'important est ailleurs.
L.S. : L'organisation des services de renseignements est toutefois importante. Selon la tutelle d�sign�e et la forme retenue pour les structures cr�es, c'est la philosophie de cette r�forme qui transpara�t…
M.C.M. : Il suffit de distinguer les trois fonctions tout � fait classiques des services de renseignements. D'abord la fonction de s�curit� des arm�es juxtapos�e � celle de la reconnaissance militaire. C'est, tout naturellement, le ministre de la D�fense nationale qui en assure la tutelle. Ensuite, la fonction de protection de l'ordre constitutionnel, c'est-�-dire la lutte contre les atteintes � la s�curit� int�rieure de l'Etat. La tutelle peut �tre exerc�e, indiff�remment, par le ministre de l'Int�rieur ou la pr�sidence de la R�publique. Dans une phase transitoire, il est pr�f�rable de jumeler cette fonction avec celle qui porte, � la fois, sur le renseignement strat�gique et sur les atteintes � la s�curit� ext�rieure de l'Etat, en confiant leur tutelle � la pr�sidence de la R�publique. L'exp�rience, y compris aux USA, d�montre qu'une s�paration m�canique, trop rigide, entre ces trois fonctions alt�re l'efficacit� op�rationnelle des services de renseignements. Certaines activit�s sp�cifiques �tant accomplies par des moyens communs, il appara�t, � l'�vidence, que des m�canismes de coop�ration, voire de coordination, doivent �tre institu�s sous l'autorit� d'une instance plac�e forc�ment aupr�s du chef de l'Etat.
L. S. : Le sch�ma que vous pr�sentez ne met pas suffisamment en �vidence l'int�r�t de cette r�forme des services de renseignements pour le pr�sident Bouteflika ?
M.C.M. : Il a �t� suffisamment fait �tat de l'obsession de M. Bouteflika a accomplir la � civilisation � de la vie publique en Alg�rie pour qu'il soit utile de revenir sur son int�r�t � recentrer le potentiel de d�fense du pays sur ses missions constitutionnelles, exclusivement. C'est � travers les services de renseignements que le corps de bataille est connect�, malgr� lui, au champ politique imm�diat. Les services de renseignements se confortent, pour leur part, de cette proximit� avec le corps de bataille pour exercer une influence publique sans rapport avec la nature de leurs missions. C'est l� une anomalie pour un syst�me d�mocratique. Voil� pourquoi le chef de l'Etat qui veut apposer son empreinte sur l'histoire du pays comme l'homme d'Etat qui aura d�militaris� le syst�me politique alg�rien proc�dera, fatalement, � cette r�forme des services de renseignement. Bien �videmment, le chef de l'Etat habitu� � la symbolique des instruments de pouvoir en Alg�rie se gardera bien d'amoindrir le potentiel de dissuasion de ces services de renseignements.
L.S. : Vous d�crivez cette r�forme de mani�re presque m�canique. Vous voulez manifester votre distance par rapport � un sujet qui devrait vous passionner ?
M.C.M. : Il me suffit de dire que la mise en œuvre r�ussie de cette r�forme constituera le plus bel hommage � rendre � ces compagnons d'armes et ces camarades d'universit� morts sous les balles terroristes. Ils �taient d�j� habit�s par l'esprit de cette r�forme dont la finalit� consiste � provoquer entre services d'intelligence et �lites nationales une symbiose qui ne laissera aucune place pour les mokhazni.
L.S. Vous pouvez d�crire le profil de la personnalit� qui pourrait conduire cette r�forme ?
M.C.M. R�f�rez-vous aux consid�rants m�thodologiques que j'ai �voqu�s tant�t. La n�cessit� d'une contribution motiv�e des cadres de renseignements qui n'ont pas d�m�rit� et une application graduelle de la r�forme pour ne pas paralyser les activit�s courantes d'intelligence. Voil� des conditions qui plaident pour que cette personnalit� soit issue du rang. Le rel�vement du niveau intellectuel et technologique des services de renseignements avec leur ouverture d�termin�e vers les �lites civiles, voil� des crit�res qui militent pour que cette personnalit� dispose de la l�gitimit� et de la comp�tence n�cessaires pour commander les effectifs dans leurs deux composantes, l'ancienne et la nouvelle. Naturellement, la personnalit� choisie devra vivre en phase psychologique avec le pr�sident de la R�publique et lui vouer une loyaut� sans murmure. L.S. : Quel commentaire vous inspire la probl�matique de la "civilisation" des services de renseignements et son corollaire, l'ordre de priorit� � instaurer entre moyens techniques et sources humaines dans le recueil de l'information…
M.C.M. : Evacuons, d'abord, l'aspect politique. D�s lors que les services de renseignements sont soumis � la tutelle politique, peu importe que leur contexture soit civile ou militaire. C'est bien l� le but vis� par la r�forme que nous �voquions. Mais abordons, cependant, cette probl�matique de �civilisation � des services de renseignements dans sa dimension technique. Observez ce qui ce passe en Irak. Certaines op�rations de guerre, notamment la protection des points sensibles et le transport logistique, sont confi�es � des sous-traitants civils qui accomplissent mieux et moins cher les missions dont ils ont la charge. Que dire alors des activit�s de renseignements o� ce sont l'effort intellectuel et la sueur de l'esprit qui priment. L'organisation militaire des services de renseignements avait pour avantage d'imposer la discipline des arm�es. L'�largissement du spectre d'activit� des services de renseignements vers des domaines de haute technologie sinon de connaissances scientifiques m�ticuleuses des soci�t�s humaines a impos�, de plus en plus, le recours � des experts �m�rites, indisponibles au niveau de la corporation militaire. Pour indication, les effectifs des services fran�ais de renseignements ext�rieurs (Direction G�n�rale de la S�curit� Ext�rieure) s'�tabliraient, d�sormais, selon la proportion de 40% pour les personnels militaires et de 60% pour les personnels civils. A l'heure de la mondialisation, s'attarder sur ces consid�rations dites de �civilisation � rel�ve de l'infantilisme. La pr�occupation n'est pas de d�terminer si c'est le militaire ou le civil qui doit assumer la fonction de renseignement. La pr�occupation, c'est l'obtention du renseignement le plus s�r et le moins co�teux.
L.S. : Et � propos de l'importance respective des moyens technologiques et des sources humaines dans le recueil du renseignement ?
M.C.M. : Au lendemain de l'op�ration "Temp�te du d�sert", en 1990, le corps exp�ditionnaire am�ricain avait envahi, facilement, le Kowe�t et une partie de l'Irak sans pouvoir atteindre le pr�sident Saddam Hussein. J'avais exprim�, alors, avec une sorte d'ing�nuit�, � un officier sup�rieur du KGB, rencontr� dans un cadre professionnel, mon admiration pour les services irakiens de contre intelligence qui avaient emp�ch� les USA de conna�tre des d�placements du pr�sident Saddam Hussein et de ses lieux d'h�bergement. Temp�rant mon enthousiasme, l'expert russe, autrement plus avis�, insista plut�t sur la disproportion des moyens technologiques dont disposaient les deux camps, soulignant que le Pr�sident Saddam ne pouvait �chapper aux moyens de rep�rage sophistiqu�s des USA lesquels ne devaient pas consid�rer le dirigeant irakien comme un objectif de guerre prioritaire. Est-ce � dire, alors, que les moyens technologiques supplantent totalement les moyens humains ? Voyez comment, une deuxi�me fois, le corps exp�ditionnaire am�ricain qui a pu, facilement, s'emparer des points strat�giques et des �difices publics n�vralgiques de l'Irak s'embourbe, chaque jour davantage, dans une soci�t� dont il m�conna�t la sociologie, la psychologie et la culture. Ces deux �pisodes montrent bien que le renseignement doit provenir des deux sources, technique et humaine. Les USA ont beau disposer des moyens d'�coute impressionnants que leur procure la NSA (National Security Agency), ce qui leur rend accessibles toutes les communications du monde, il faudra bien, selon l'expression consacr�e, que les services de renseignements de ce pays mettent les mains dans "le cambouis". H.M.


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