� Le niveau de d�veloppement atteint par la Turquie r�v�le que toute tentative visant � �riger le pays en �tat th�ocratique conduirait ses auteurs � �tre � l�origine d�une guerre civile �. De m�me, un coup de force militaire ne pourrait perdurer longtemps, car le pays et la soci�t� ont consid�rablement chang� �. L'ENTRETIEN DU MOIS �Il faudrait pour le bonheur des �tats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes� Platon, �La R�publique� � Le niveau de d�veloppement atteint par la Turquie r�v�le que toute tentative visant � �riger le pays en �tat th�ocratique conduirait ses auteurs � �tre � l�origine d�une guerre civile �. De m�me, un coup de force militaire ne pourrait perdurer longtemps, car le pays et la soci�t� ont consid�rablement chang� �. (Entretien avec le professeur Soli OZEL, men� par Mohamed Chafik MESBAH) Alger, le 23 juillet 2007� Mon attention s�est toujours focalis�e depuis mon adolescence sur l��pop�e de la Turquie moderne sous la conduite de Mustapha Kemal ATATURK. Sans doute comme tous les jeunes Musulmans alg�riens ai-je nourri de la pr�vention contre la propension excessive de ce leader d�exception � effacer les traces de la civilisation islamique dans la matrice identitaire du peuple turc. Mais comment ne pas nourrir de l�admiration pour cet officier que son amour passionn� pour la patrie avait conduit � prendre la direction de ce qui sera au total plus qu�une r�bellion, une v�ritable r�volution. Par la suite, l�influence de Kemal ATATURK se perp�tuant dans la Turquie moderne, ce fut toujours par r�f�rence � son h�ritage que seront ordonn�es les relations complexes des forces arm�es turques � la soci�t� politique ,et � la soci�t� tout court ,dans ce pays au dynamisme exultant. Mises � l��preuve du terrain, ces relations complexes ont conduit � l��closion d�un mod�le institutionnel � bien des �gards unique. De la personnalit� puissante de Kemal ATATURK,du g�nie av�r� du peuple turc ou des contraintes intangibles de l�environnement g�opolitique imm�diat de ce pays , quelle est donc la donn�e fondamentale qui explique la r�ussite inattendue du mod�le institutionnel que j��voquais ? Un pays r�solument port� vers le d�veloppement �conomique dans le cadre d�un syst�me d�mocratique de plus en plus consolid� avec -coexistant pacifiquement- forces arm�es toujours pr�sentes et mouvement islamique fortement �mergent. Dans un moment d�illusion, j�avais nourri l�espoir que ce mod�le puisse servir de r�f�rence � mon pays, lui frayant la voie � une solution qui lui permette de franchir le gu� d�une transition bloqu�e. La recherche documentaire � laquelle je me suis livr� pour pr�parer cet entretien et encore plus les �changes instructifs intervenus avec le Professeur Soli OZEL de l�Universit� Bilgi d�Istanbul, m�ont convaincu, malheureusement, qu�il �tait bien illusoire, en effet, d�imaginer que le mod�le turc soit transposable � l�Alg�rie. Qu�il s�agisse de niveau de d�veloppement professionnel et technique des forces arm�es, de dynamisme et d�esprit d�innovation de la classe d�entrepreneurs turcs ou d�esprit d�adaptation et de sens du pragmatisme des dirigeants islamistes turcs , tout s�pare l�Alg�rie de la Turquie pour un laps de temps encore significatif .Car ,pour reprendre une heureuse formule du Professeur Soli OZEL � les hydrocarbures constituent toujours pour le malheur de l�Algerie sa seule v�ritable ressource exploit�e �. Dans l�entretien qui suit, le Professeur Soli OZEL qui s�exprimait en anglais, dresse un diagnostic sans complaisance de l�exp�rience turque. Pointilleux sur le choix des mots, exigeant dans le respect de ses id�es, il nous livre une image exhaustive et tr�s p�dagogique de ce que l�Alg�rie aurait pu devenir .Si� Mohamed Chafik MESBAH [email protected] BIO EXPRESS de Soli OZEL Soli OZEL est n� le 17 janvier 1958 � Izmir en Turquie. Il est issu d�une famille juive de situation sociale moyenne, culturellement bien int�gr�e � la vie sociale d�Izmir o� les anc�tres se sont, d�ailleurs, harmonieusement int�gr�s depuis leur expulsion d�Espagne. Mari� � Sevil Aydagul, Soli OZEL est p�re d�un enfant, Yahya Yavuz, �g� de 10 ans. Soli OZEL a d�but� ses �tudes primaires � Izmir au sein de l��cole Talmud Tora puis au Coll�ge St Joseph dans la m�me ville. Il a entam�, par la suite, ses �tudes secondaires au Robert College � Istanbul. Apr�s avoir obtenu une ma�trise en �conomie � Bellington Coll�ge dans la ville de Bennington (1981), Soli OZEL a postul� pour un master � John Hopkins University School Advanced International Studies (SAIS)(1983). Il a compl�t� sa formation par des �tudes en vue de l�obtention d�un Doctorat en Sciences politiques aupr�s de l�Universit� de Berkeley (1989). Soli OZEL est, principalement, professeur de relations internationales � l�universit� priv�e de Bilgi � Istanbul. Il est aussi conf�rencier aupr�s de nombreux autres �tablissements d�enseignement sup�rieur dont les universit�s de Santa Cruz, de Washington, au SAIS, au St Antony Coll�ge (Oxford) et � l�institut des �tudes de S�curit� de l�Union Europ�enne. Depuis quatre ans il prononce une lecture annuelle au RCDS (College Royal des Etudes de Defense) � Londres, Royaume Uni. L�ann�e derni�re, il �tait chercheur � Woodrow Wilson Center for International Scholars � Washington. A l�universit� Bilgi, il a en charge les enseignements intitul�s : �Politique du monde �,cours d� analyse des d�veloppements politiques, �conomiques, sociaux et culturels internationaux intervenus pendant la guerre froide et l��re post-guerre froide, � La politique moderne au Moyen-orient �, et � Analyse th�orique du pouvoir �.Il enseigne, �galement, un cours de ma�trise sur la politique ext�rieure des Etats-Unis. � Transformations sociales et politiques de la Turquie � est un autre cours de Soli OZEL qui fait recours � des romans, des articles et des livres �crits par des �conomistes, des politologues et des sociologues. � La politique ext�rieure de la Turquie � et � La mondialisation �sont, �galement, des cours que dispense, depuis peu, Soli OZEL. Soli OZEL est le principal conseiller de politique ext�rieure du patronat turc (TUSIAD). Il en dirige la revue � Private View � publi�e par TUSIAD mais �ditoriallement ind�pendante. Soli OZEL est �galement Directeur de l��dition turque de la revue � Foreign Policy � �dit�e par Carnegie Endowment. Il est �galement, expert du Forum de chroniqueurs et �ditorialistes, �Project Syndicate� et chroniqueur au journal turc de fort tirage � Sabah �. Il est l�auteur de nombreuses publications de r�f�rence sur la Turquie contemporaine. Citons parmi les plus r�centes : �Testing Democracy� World Today, June 2007 ; �Turkey faces West �, Wilson Quarterly � Winter 2007, �The Comfortable bosom of nationalism �, Bitterlemons-International, 1 March 2007, � Prelude to War or diplomacy : Reflections on the Sixth War� (sur l�invasion de Liban par Israel en 2006), WOodrow Wilson International Center for Scholars, Middle East Center, Fall 2006), �Turkey in Europe �, Center for European Reform, 2005, �After the Tsunami : AN Analysis of Turkish elections, 2002) Journal of Democracy, April 2003, �Turkey and the EU : Charting the course ahead �, Revista CIDOB, March 2006, �Geography, Domestic Plays and Turkish Foreign Policy in the Middle East �, Powder Keg in the Middle East, book edited by Janice Gross Stein and Geofrey Kemp, 1995. Soli OZEL est connu pour ses analyses pond�r�es et pertinentes sur l��volution de la Turquie, tant au plan interne qu�externe. Il est �galement r�put� pour ses positions favorables � la cons�cration du syst�me d�mocratique en Turquie et au respect des droits de l�homme. Il a �t� un des membres fondateurs du parti Nouveau Mouvement D�mocratique en 1994.Ce parti a �t�, depuis, �lectoralement d�fait mais ses id�es constituent, d�sormais, un porte flambeau pour des partisans de la d�mocratisation de la Turquie et de son int�gration � l�Union Europ�enne. Mohamed Chafik MESBAH : Vous jouissez d�une grande r�putation au sein de la communaut� universitaire dans votre pays et � l��tranger en qualit� de sp�cialiste de l�exp�rience contemporaine de la Turquie. Vous avez l�avantage de jumeler une expertise interne � qui porte sur l�organisation du pouvoir en Turquie et la cristallisation des forces politiques et sociales � mais aussi une expertise ex- terne qui porte sur l�insertion de l�exp�rience turque dans le rapport de forces entre puissances dans la r�gion du Proche-Orient et de la M�diterran�e orientale. Comment le professeur Soli OZEL en est-il venu � s�int�resser � cette probl�matique jusqu�� en faire l�axe central de sa trajectoire intellectuelle ? Soli OZEL : Il existe plusieurs aspects que je souhaite aborder pour r�pondre � votre question. Comme vous le savez, j�ai entam� mon parcours acad�mique en �tudiant l��conomie, mais j�ai manifest� de l�int�r�t pour la politique depuis l�enfance. En r�alit� ce que ma biographie ne met pas en �vidence, c�est bien la p�riode que j�ai pass� � la Facult� des Sciences Politiques � l�Universit� d�Ankara de 1976 � 1977.Cette facult� qui correspond � la c�l�bre �cole Nationale d�Administration fran�aise a produit un nombre important de membres de l��lite administrative et politique turque. J�avais voulu rejoindre cette facult� apr�s la fin de ma scolarit� secondaire mais la chance, h�las, ne m�a pas accompagn� .Les troubles qui avaient surgi en Turquie � l��poque avaient fait que, dans la plupart du temps, les �tablissements d�enseigne- ment �t� ferm�s. J�ai d�cid�, donc, de voyager en Am�rique pour y continuer mes �tudes. A l�inverse de la situation qui pr�valait au sein de nombreuses universit�s am�ricaines, j�avais eu, dans ma petite universit�, des professeurs aux tendances de gauche qui m�ont conduit � m�impr�gner de principes de puissante critique � la th�orie �conomique n�oclassique. De fait, dans les universit�s turques, nous encouragions l��tude de l��conomie politique pas de la science �conomique. En ce qui me concerne, je m�int�ressais � la question du d�veloppement �conomique et j�ai examin� dans mon m�moire de fin d��tudes le th�me du d�veloppement �conomique turc par le pass�. Ces �tudes m�ont procur� une conscience aigue de l�importance de l��tat et de son r�le central dans la compr�hension de ph�nom�ne du d�veloppement, selon qu�il existe ou non. Apr�s cela, j�ai rejoint l�universit� JOHN HOPKINS, plus exactement, la chaire d��conomie au sein de l��cole des �tudes internationales avanc�es. Naturelle- ment, je m�int�ressais � l�histoire et � la politique dans leur relation � la r�gion du proche orient. J�ai suivi des enseignements s�y rapportant sans penser, cependant, que la mati�re constituera le centre de ma r�flexion tout au long de ma vie. Ce qui a orient� mon int�r�t dans cette direction, c�est l�invasion du Liban par Isra�l et les r�actions que j�observais � Washington. Comme vous le savez, Washington, comme le reste du monde, d�veloppait une image totalement contraire � la r�alit� concr�te. Pour cela, je m�imposais la rigueur de bien aborder la question dans la discussion, au moins pour contrer les id�es pr�con�ues qui accusaient l�esprit arabe , l�islam et bien d�autres cultures d��tre responsables des probl�mes politiques qui survenaient et dont l�origine , en r�alit�, est d�essence �conomique et sociale. Comme il n��tait pas possible d�appr�hender la r�gion � travers ces seuls conflits, j��prouvais le besoin de comprendre ce qui la cantonnait dans le sous-d�veloppement, d�pendante et lieu de tension .Je me devais d�examiner le processus par lequel s�est constitu� l��tat dans cette r�gion et jusqu�� quelle mesure l��tat y a �t� puissant. Cette p�riode a �t�, en effet, celle, justement, o� le d�bat s�est d�velopp� � propos de l��tat dans le monde arabe. Finalement, parce que j�ai appris � comprendre la question du d�veloppement et du sous-d�veloppement dans un contexte international, au plan �conomique aussi bien que politique, j�ai tent� de formuler une m�thode d�approche qui �tablisse le lien entre cette dynamique interne te ce contexte international. Ma conception normative a port�, alors, sur la question de la pr�sence /absence de la d�mocratie, du d�veloppement et de la r�gle de droit MCM : Il existe une autre particularit� dans votre parcours. Vous �tes, en effet, conseiller aupr�s du patronat turc lequel, vous en conviendrez, est un partenaire essentiel dans la vie politique et �conomique de votre pays. En quoi consiste votre fonction aupr�s du patronat turc ? Faut-il en d�duire que le patronat turc, dot� de qualit�s manag�riales modernes, est convaincu de la n�cessit� de se projeter dans la soci�t� et dans l�avenir, � travers votre expertise ? S�agit-il, plus simplement, pour vous d�un moyen d�introspection compl�mentaire de la soci�t� turque ? S.O : J�ai commenc� � travailler avec le TUSIAD en 1992 lorsque j�ai rejoint le comit� de r�daction de sa revue bimensuelle GORUS, revue o� je publiais, par ailleurs, les expos�s sur les �v�nements inter- nationaux ainsi que des critiques de livres. En 1996, je suis devenu le conseiller du Pr�sident du TUSIAD pour la politique �trang�re essentiellement. Avec mon implication, �galement, dans le d�bat sur la politique int�rieure turque. Cette union patronale �tait une organisation progressiste dans le contexte turc d��poque, m�me si cela peut sembler paradoxal. Quoi qu�il en soit, cette organisation est la plus importante union de patrons turcs qui a approuv�, dans une p�riode initiale, en 1980, le r�gime militaire. Apr�s la fin de la guerre froide et le d�but de l�int�gration de l��conomie turque dans le march� mondial, l�union patronale a commenc� � ressentir la n�cessit� d�un r�gime politique plus lib�ral. La succession de g�n�rations a eu, lui aussi, son r�le dans cette �volution. Au d�but des ann�es quatre vingt dix, la deuxi�me g�n�ration de patrons turcs a �merg� avec une conception plus lib�rale, au double plan politique et �conomique, se distinguant de leurs pr�d�cesseurs qui avaient trouv� leur bonheur dans le march� prot�g� et la d�mocratie limit�e qui pr�valaient durant la guerre froide. Ayant inclus dans leur horizon l�int�gration europ�enne, les patrons turcs du TUSIAD ont commenc� � publier une s�rie de rapports d�essence lib�rale sur le plan politique. Ces patrons avaient choisi des th�mes importants comme le renforcement de l�efficacit� de l��tat et le choix des strat�gies de d�veloppement les plus appropri�es pour la Turquie du XXI�me si�cle et bien d�autres sujets constituants , v�ritablement, un agenda de modernisation de la Turquie. Consid�rant qu�un surcro�t d�int�gration dans l�Union Europ�enne constituait une position progressiste, ces patrons ont entrepris des d�marches de lobbying soutenus � Bruxelles et les autres capitales europ�ennes. Un mois et demi, environ, apr�s ce qui fut appel� � le coup post-moderne�, intervenu le 28 f�vrier 1997 pour renverser le gouvernement de coalition dirig� par le parti islamiste � REFAH �, l�union patronale turque a publi� un rapport r�dig� par un professeur de droit de gauche o� il pr�conisait un programme radical pour la d�mocratisation du pays. Mais le TUSIAD a gard� une position � distance des militaires durant cette p�riode mais conservant ces contacts avec l�Union Europ�enne. Comme l�a d�clar� son pr�sident � l��poque, il �tait de l�int�r�t des membres du TUSIAD de d�fendre les valeurs d�mocratiques. Ce leader patronal turc ajoutait m�me: � puisque je soutiens l�adh�sion de la Turquie � l�Union Europ�enne, je veux une Turquie plus lib�rale et plus d�mocratique. Je trouve que mes aspirations et les leurs (les militaires) concordent, donc je n�ai aucune g�ne � travailler avec eux. Faut-il que j�ajoute que je disposais, jusqu�� ce jour, de toute la libert� pour exprimer mes points de vue au cours de nos rencontres, que ces points de vue soient accept�s ou non comme celles du TUSIAD. �. J�ai contribu�, �galement, � l�installation de la re- pr�sentation du TUSIAD aux USA en 1998 et j�ai particip�, de mani�re intense avec les membres de l�union patronale lors de leurs entretiens avec les autorit�s et les personnalit�s europ�ennes et am�ricaines. Comme les questions de politique �trang�res ainsi que l��volution des relations internationales repr�sentent une donn�e importante de la formulation des politiques et des positions, j�ai pu contribuer aux discussions du TUSIAD. De part les contacts que j�ai entrepris au nom du TU- SIAD � travers les diverses parties du monde, j�ai pu acqu�rir une plus grande ma�trise du mode de fonctionnement de la diplomatie avec une large compr�hension de bien d�autres questions. C�est pour cela que je me consid�re favoris� dans cette relation avec le patronat turc car j�en ai grande- ment profit�, de m�me que j�ai pu, certainement, �largir l�horizon de ma vision dans l�approche de la politique int�rieure te de la politique �trang�re. MCM : Il existe un nombre impressionnant d�universit�s en Turquie. Autant priv�es que publiques, d�ailleurs. Ce foisonnement d��tablissements universitaires a-t-il un prolongement � travers une ouverture d�esprit qui s�appliquerait aussi bien aux sciences sociales, lesquelles, vous le savez, sont plut�t r�prim�es par les r�gimes autoritaristes ? Allons plus au c�ur de la question, qu�en est-il de l�application des sciences sociales � l��tude des ph�nom�nes li�s � l�institution militaire ou � l�islamisme en Turquie ? S.O : Je me consid�re favoris� d�exercer comme professeur � l�universit� Bilgi qui est l�une des institutions turques les plus ouvertes, si ce n�est la plus ouverte. Comme vous le sugg�rez dans votre question, les sciences sociales subissent, en effet, beaucoup de pressions dans la r�gion. Malgr� cela, laissez �moi vous dire que la d�mocratie turque � quoi qu�il se dise sur ses failles � nous procure, concr�tement, un espace de travail. Le nombre d�institutions qui comprennent la n�cessit� d�un climat propice � la libre r�flexion de mani�re que l�homme puisse s��panouir selon sa curiosit�, selon les des tabous, reste limit�. Mais il existe un large cercle d�acad�miciens qui travaillent sur des questions sensibles qui ne se limitent pas � l�islam et � l�arm�e puisqu�elles englobent les questions arm�nienne et kurde, notamment. Il faut prendre en consid�ration , �galement, malgr� leur nombre limit� , les travaux importants que publient les centres de r�flexion � propos de l�islam , du nationalisme , des rapports entre civils et militaires ,la la�cit� ,la conduite des affaires religieuses ,la politique turque vis-�-vis du nord de l�Irak et des kurdes qui y vivent , les droits de l�homme et le probl�me kurde qu�affronte , en propre, la Turquie. Ceci pour l�exemple. MCM : Excusez le ton d�impertinence d�une question bien utile, pourtant, pour prendre la mesure de la sp�cificit� turque. La Turquie dispose-t-elle d�une cat�gorie d�intellectuels turcs, performante, homog�ne et agissante sur le terrain de la vie concr�te dans le pays ? S.O : Nous avons, effectivement, une �lite d�intellectuels dynamiques qui occupent la sc�ne dans le pays. Peut-�tre convient-il de les appeler � intellectuels publics � car il s�agit de ceux qui travaillent dans les �tablissements d�enseignement et dans les journaux et de ceux qui publient des livres et des revues. Je ne peux pas m�avancer � dire que ceux l� constituent une �lite homog�ne car chaque courant dans la soci�t� dispose, aujourd�hui, de ses propres intellectuels. Nous avons vu �galement, ce ph�nom�ne � travers lequel les hommes de gauche se sont transform�s en islamistes et des islamistes en lib�raux � l�extr�me. Si votre question se rapporte maintenant � l�existence d��changes entre les diff�rents groupes d�intellectuels, la r�ponse est oui. Je peux m�me ajouter que les discussions autour de la d�mocratisation de la Turquie, surtout dans les ann�es quatre vingt et quatre vingt dix, ont profit� beaucoup des contributions dus � des intellectuels islamistes qui ma�trisent parfaitement la pens�e occidentale et sa terminologie moderne II - Les fondements historiques de l�exp�rience turque : MCM : Pour remonter aux origines historiques de l�exp�rience actuelle de la Turquie, il faut, probablement revenir jusqu�� la chute de l�Empire ottoman sans oublier le processus de r�forme, profond et laborieux, qui avait touch� les forces arm�es turques, depuis m�me les derniers Sultans ottomans. Cette p�riode met en �vidence, � cet �gard, l�effervescence politique qui s��tait empar� de la soci�t� turque en imbriquant, ensemble, des contestataires politiques, les � Jeunes Turcs � et des cercles d�officiers professionnels form�s � l�occidentale. Il faut �voquer, en effet, le d�mant�lement du corps des janissaires et l��mergence de cette g�n�ration d�officiers form�s par des missions militaires occidentales qui annon�aient, d�une certaine mani�re, l�av�nement de la Turquie moderne. Quelle importance accordez-vous � cet ancrage historique ? S.O : Nul doute que cet ancrage historique pr�sente une grande importance pour comprendre l�exp�rience turque qui est une entreprise de modernisation de type autoritaire, du haut vers le bas. Pour prot�ger l�empire, les ottomans avaient adopt�s une d�marche judicieuse en se lan�ant dans une �mulation avec leurs protagonistes. Naturellement, l�effort a commenc� par la r�forme de l�arm�e, exactement comme cela avait d�but� en Russie par rapport au nord. Les r�formes connues sous l�appellation de �tanzimat� au XIX�me si�cle visaient la reconstruction de l��tat Ottoman par la modernisation, la priorit� �tant d�volue au statut de la bureaucratie administrative qui a profit�, de son c�t� des r�formes en mati�re de protection de la vie et de la propri�t�. Apr�s que le mouvement des �jeunes turcs � soit parvenu au pouvoir, le parti �l�Union et le Pro- gr�s� est tomb� sous l�emprise graduelle de l�aile militaire comme cela est le cas, pratiquement du parti Baath actuellement. L�aventurisme du trio Enver, Tal�t et djemal ont conduit l�empire dans une guerre qui n��tait pas la leur et qui a provoqu� la chute du pouvoir Ottoman. Apr�s cela, les militaires qui se sont regroup�s en s�appuyant sur les organisations civiles qui composaient la r�sistance contre l�occupant sous l�autorit� du gouvernement de l�Assembl�e Nationale � Ankara, ont pu triompher dans la guerre, devenant ainsi l��l�ment constitutif principal de la nouvelle R�publique. Comme vous le constatez, nous ne pouvons occulter cet aspect dans l�histoire de la Turquie. MCM : Naturellement, l�histoire contemporaine de la Turquie est indissociable du nom de Kemal ATA- TURK, adul� comme � le fondateur de la Turquie moderne �.Qu�il s�agisse de l�acc�l�ration du processus de d�clin du Califat, de la r�sistance aux entreprises �trang�res de d�pe�age du territoire turc ou, enfin, du projet de r�habilitation de l�Etat turc par la restauration de sa puissance �conomique et militaire, quelle est l�empreinte de Kemal ATATURK ? S.O : Vous �tes totalement dans le vrai lorsque vous dites qu�il n�est pas possible de parler de la Turquie sans �voquer Kemal ATATURK, qui a �t�, de mon point de vue l�une des plus importantes personnalit�s politiques du XXI�me si�cle. Il faut, cependant, comprendre et souligner l�importance du contexte o� a �volu� ce dirigeant. La plupart des r�formes et des changements r�volutionnaires apport�s par Kemal ATATURK constituaient, en fait, l�objet de d�- bats contradictoires pendant la p�riode ottomane, c�est-�-dire avant lui. Le m�rite qui doit lui �tre re- connu, c�est le courage dont il a fait preuve pour avancer, avec d�termination dans ces r�formes et ces changements. D�un autre c�t�, et vous le soulignez dans votre question, l�abolition du Califat a �t� quelque peu pr�cipit�e. Quand vous vous attelez � instaurer une nouvelle r�publique, il est clair que vous ne souhaitez pas �tre confront� � des opposants qui soient puissants. En r�sum�, l�h�ritage l�gu� par Kemal ATATURK peut �tre illustr� par le cadre de la modernisation qu�il a trac�, avec l�adoption du syst�me �tatique tel qu�il est en usage en occident en tant que partenaire �gal et, la formation d�une nation � partir des groupes musulmans �pars de l�Anatolie. Kemal ATATURK a �t�, �galement, anim� d�un sens pragmatique aigu qui lui a permis de changer de cap, chaque fois qu�il a estim� que la direction des vents ne lui �tait pas favorable. MCM : Une analyse objective de l�id�ologie � K�maliste �, si vous me permettez l�expression, r�v�lerait que le ressort principal en est le culte de l�id�e nationale, un patriotisme exacerb� construit autour du projet de r�demption de la Turquie. A travers la r�habilitation de l��tat et gr�ce � la restauration de la puissance �conomique et militaire du pays. Et en aucune mani�re, l�instauration de la d�mocratie. C�est ainsi que le r�gime mis en place par Kemal ATATURK a, longtemps, oscill� entre l�autoritarisme et une pure fa�ade d�mocratique ? Comment s�est r�tabli, peu � peu, l��quilibre entre l�autoritarisme qui avait caract�ris� les premiers pas de la d�marche de Kemal ATATURK et le r�gime multipartite qu�il a l�gu� � sa mort ? S.O : J��prouve beaucoup de g�ne � r�pondre � ce type de question. Apr�s tout, durant quelle �poque a gouvern� Kemal ATTAURK ? Dans les ann�es trente quand la d�mocratie �tait en d�clin .L�instauration du r�gime r�publicain est intervenu durant la d�- pression �conomique mondiale lorsque le globe en entier �tait travers� soit de manifestations de type nationaliste ou autoritaire, soit par des convulsions � caract�re dictatorial ou fasciste. Il existe beaucoup de points � partir desquels il est possible de critiquer la mani�re dont la nation a �t� d�finie, comme en t�moignent les contradictions entre les principes de la citoyennet� et leur application dans la vie quotidienne de mani�re r�elle ou virtuelle. Mais bl�mer Kemal ATATURK pour ce balancement entre l�autoritarisme te la d�mocratie, je crois qu�il y a l� une sorte d�injustice. Il est vrai que Kemal ATATURK a permis par deux fois, la constitution de partis d�opposition mais c�est pour les interdire aussit�t. La responsabilit� de ce qui est advenu apr�s sa mort, particuli�rement, apr�s la fin de la deuxi�me guerre mondiale, n�incombe pas tant � ce dirigeant qu�� ceux qui ont organis� le syst�me de gouvernance selon une mani�re d�termin�e. Quoi qu�il en soit, il n�est pas possible d�affirmer que l�homme �uvrait pour cr�er un dogme politique et si ceux qui lui ont succ�d� ont �chou� � institutionnaliser la d�mocratie, il ne peut en �tre bl�m�. Pour rappel, la d�cennie 1950-1960 peut ne pas �tre consid�r�e comme une p�riode de lib�ralisme au sens politique, elle a constitu�, n�anmoins, une grande p�riode en raison de l�int�gration de la classe des paysans dans le syst�me � travers le d�veloppement �conomique et l�exode. Apr�s les coups d��tat militaires, il y a eu, effectivement, une mobilisation et une exigence d�extension du champ d�mocratique. Cette p�riode s�est termin�e par la mont�e de la dictature militaire en 1980-1983. De mon point de vue, l�av�nement de la d�mocratie exige un certain nombre de conditions sociales et �conomiques, sans oublier, naturellement, la conscience politique sur laquelle elle doit s�appuyer. En bref, comme le disait le d�funt BARRIGTON Moore, l�un des plus �minents sp�cialistes de la sociologie historique du si�cle pass� : � pas de bourgeoisie, pas de d�mocratie ! �. Les conditions sont � pr�sent r�unies pour une v�ritable d�mocratie et, pour paradoxal que cela puisse para�tre, cela constitue en partie la victoire du K�malisme m�me si les gardiens du temple refusent de l�admettre de crainte de perdre une grande partie du pouvoir. MCM : Avec le recul de l�histoire et la disponibilit� de travaux scientifiques �minents, l��clairage sur les conditions d�av�nement de la R�publique Turque est plus pr�cis. Quelle a �t� selon vous, le facteur d�terminant dans cet av�nement ? Le contexte historique, l��volution de la soci�t� turque, l�activisme d�officiers turcs de la nouvelle g�n�ration, les coups de boutoir des puissances �trang�res ou bien la personnalit� charismatique de Kemal ATATURK avec le volontarisme forcen� de ce dirigeant d�exception ? S.O : D�une certaine mani�re, tout s�assemble. Je pense que le v�ritable g�nie de Kemal ATATURK proc�de de son esprit r�aliste .En ce sens, il fut un leader sans �gal comme LENINE sans lequel le soul�vement bolchevique n�aurait pas eu lieu. Kemal ATATURK � former une coalition de forces disparates qu�il a rassembl� au profit d�une guerre pour la lib�ration nationale. Mais, dans le m�me moment, il a veill� � exploiter le contexte inter- national � son profit. Rappelez-vous que la r�sistance avait commenc� � s�organiser avant qu�il ne s�empresse � en prendre le commandement. Il a exploit� �galement les difficult�s qui existaient entre l�Angleterre et la France, mettant � profit l�occasion de la fatigue des britanniques dans le parcours venaient de s�achever avec le d�part de Gr�ce et l�abandon des grecs � leur sort lorsque les manifestations ont commenc� dans ce pays. Finalement, je crois m�me qu�il soit n�cessaire de prendre en compte la victoire du r�gime bolchevique en Russie. Le sort r�serv� � la Turquie, alors, c��tait de devenir une r�gion isol�e, non communiste, favorable � l�occident, se situant entre l�Union Sovi�tique et le Proche Orient, riche en p�trole qui, tout r�cemment, faisait partie d�Empire europ�en, III- L�arm�e turque, caract�ristiques et positionnement politique et institutionnel : MCM : Nous avons d�j� �voqu� les r�formes militaires de l�arm�e turque qui l�ont pr�dispos�e, en quelque sorte, � devenir la force la mieux organis�e dans le pays. Du point de vue de la composition - c�est-�-dire l�origine du recrutement, sa qualit� et ses modalit�s -, du point de vue de la formation � apparemment, le syst�me de formation des militaires turcs est autonome � tous les niveaux, m�me s�il emprunte, �galement, aux sciences sociales et aux techniques modernes � et du point de vue ,enfin ,de l�organisation - qu�il s�agisse de la pr�dominance de l�arm�e de terre, de la mobilit� de l�encadrement sup�rieur ou m�me des rapports plut�t ind�pendants de l��tat �Major vis-�-vis de la tutelle civile du Minist�re de la D�fense-, Comment se donne � lire l�institution militaire en Turquie ? S.O : Votre question concerne de multiples aspects quant au statut de l�arm�e turque dans le syst�me politique et administratif de la Turquie. Vous signa- lez, �galement un aspect relativement sensible qui n�avait pas �t� envisag� auparavant, en l�occurrence la pr��minence de l�arm�e de terre au sein de l�institution militaire. Les chefs d��tat Major pro- viennent toujours de l�arm�e de terre, � l�exclusion de toute autre arme, m�me si le postulant est plus ancien dans le service. Je pense que ce privil�ge ne peut pas manquer de susciter une sorte de r�probation, mais nul n�en fait �tat publiquement. L�arm�e turque qui est largement ind�pendante �chappe � l�autorit� du ministre de la D�fense Nationale car le Chef d��tat Major b�n�ficie d�une position protocolaire plus �lev�e que celle du Ministre. Le Chef d��tat Major n�est responsable, par ailleurs, que par devant le Premier Ministre et son avis, jusqu�� une date r�cente rev�tait une valeur importante dans la gouvernance du pays � travers le Conseil de S�curit� National .L�institution militaire continue, d�ailleurs, de b�n�ficier d�une confiance �tendue de la part du peuple turc comme le font ressortir les sondages d�opinion. En d�pit du fait qu�apr�s chaque intervention de l�arm�e qui ne provoque pas la protestation du peuple ou sa franche opposition, les citoyens agissent � l�oppos� totalement de ce que l�arm�e souhaitait par son intervention. Enfin, pour ce qui concerne le r�le �conomique de l�arm�e turque, les fonds affect�s aux retraites des personnels militaires sont g�r�s par l�une des plus importantes soci�t�s du pays. L�arm�e turque a vendu r�cemment, sa propre banque � une banque hollandaise provoquant ainsi une r�action n�gative des citoyens turcs qui veulent que le militaire arr�t la marche imp�tueuse de la mondialisation et la conqu�te de la Turquie � des capitaux �trangers. MCM : Selon vous, l�interf�rence de l�institution militaire turque sur la vie politique dans le pays c�est le r�sultat d�un cheminement historique ou le fruit d�un concours fortuit de circonstances ? C�est Kemal ATATURK, d�s le d�part, qui avait envisag�, d�lib�r�ment, de transformer l�arm�e en instrument de domination politique ou, alors, c�est l�institution militaire, soucieuse de d�fendre le projet contrari� de Kemal ATATURK, qui s�est fray� une voie vers le pouvoir ? Comment distinguer entre les motivations strat�giques li�es � l�int�r�t national et les simples pr�occupations de corporation ? S.O : En r�alit�, beaucoup de livres ont �t� publi�s � propos de ce sujet, mais laissez-moi tenter d�y r�- pondre. Il n�y a pas de doute qu�un pays disloqu� avec un peuple qui a subit onze ann�es de guerre ininterrompue en perdant l�essentiel de ses forces productives - entendez par l� les grecs �chang�s contre les habitants musulmans turcs de Gr�ce ainsi que les Arm�niens qui ont �t� massivement expuls�s au prix de tr�s larges massacres � ne peut pr�server de ses institutions que vraiment le minimum. Ainsi ceux qui ont pris en main les appareils administratifs civils et militaires la seule base sur laquelle a pu s�appuyer le nouveau r�gime. C�est ainsi, probablement, que les militaires ont fini par constituer l�appui principal du r�gime r�publicain naissant. Malgr� cela, Kemal ATATURK a d�ploy� des efforts en vue de pr�venir une interf�rence directe des militaires dans la politique dans le souci de conjurer une catastrophe similaire � celle que les Unionistes avaient provoqu�. Jusque dans les ann�es quarante, il y a eu un certain changement qui a plac� les militaires sous l�autorit� civile. Cette d�marche s�est maintenue pendant la premi�re d�cennie du pluripartisme. Mais apr�s le coup d��tat militaire de 1960, le bloc historique qui dominait la sc�ne a reprit le pouvoir et les militaires ont confort� leur place intervenant, depuis lors, dans les affaires politiques du pays. Par cons�quent, nonobstant la sensibilit� que peut rev�tir la la�cit� et bien d�autres questions qui se rattachent au r�gime r�- publicain, il est certain qu�il existe, exerc� par les militaires, un monopole, � peine cach�, vis-�-vis des politiciens civils, tout particuli�rement. Depuis lors, ces militaires expriment une, naturellement, une r�sistance au changement puisque celui-ci vise forc�ment, dans le cas d�esp�ce, une perte consid�rable de pouvoir. Aussi, le choix qui s�offre devant les militaires de mani�re g�n�rale consiste � perp�tuer le r�gime de la tutelle mais le pays �volue rapidement vers le d�passement de l�ordre actuel des choses. �videmment, le processus d�adh�sion � l�Union Europ�enne, appuy� par les militaires depuis 1999 et les difficult�s survenues entre la Turquie et les �tats-Unis apr�s l�invasion de l�Irak constituent des signes que le pouvoir qui �tait d�tenu par les militaires change de mains. Mais, il reste un long chemin devant nous avant de parvenir � une domination civile totale sur l�arm�e MCM : Au total, l�arm�e semble avoir dispos� de deux moyens essentiels pour intervenir sur la sc�ne politique. D�abord le coup de force classique, illustr� par deux putschs militaires, en 1960 et en 1980. De mani�re plus intelligente, ensuite, � travers un dispositif institutionnel d�ment pr�vu dans la constitution, le Conseil de S�curit� Nationale, plus connu sous l�appellation de MGK. Quelle est votre analyse, en premier lieu, du mode d�intervention qui est choisi et, en deuxi�me lieu, quelle pr�sentation faites-vous de ce Conseil de S�curit� Nationale qui semble constituer le pivot central dans l��difice constitutionnel de la Turquie moderne ? S.O : J�ai d�j�, quelque peu, r�pondu � cette question. Selon moi, la diff�rence dans le style d�intervention renvoie � la r�alit� turque du point de vue social et politique. Il est difficile, en effet, d�organiser un coup de force et de ma�triser tous les aspects de la vie dans un pays qui s�est int�gr� dans l��conomie mondiale et qui poss�de plus de deux mille stations radio phonique ainsi que dix cha�nes de t�l�vision. Aujourd�hui vous avez une classe moyenne en Turquie qui n�est ni plus la�que ni plus religieuse mais qui refuse de se soumettre � la domination des militaires m�me si elle consid�re que l�institution militaire est un moyen de pr�vention contre les fautes des civils. J�ai d�j� indiqu� comment la grande bourgeoisie telle que repr�sent�e au sein du patronat turc, s�est trac�e elle-m�me le chemin de l�adh�sion � l�Union Europ�enne, un chemin qui passe par l�abrogation du r�gime militaire. Pour ce qui concerne le Conseil de S�curit� National, il n�est plus, depuis les reformes de 2003-2004, comme il �tait en 1997. Son Secr�taire G�n�ral est un civil de m�me que la plupart de ses membres. Il est �vident que les militaires ne consid�rent plus ce conseil comme un moyen d�exprimer leurs pr�occupations et d�imposer leurs avis. Il faut pr�ter attention, ces jours �ci au site internet de l��tat Major qui, � lui-seul, peut permettre de mesurer le changement intervenu dans le pays ainsi que le degr� d��volution auquel il est parvenu. MCM : Trois consid�rations semblent pouvoir expliquer l�efficacit� du r�le institutionnel de l�arm�e turque. Sur le plan id�ologique, l�arm�e turque entretient une m�moire professionnelle propre qui se confond avec la m�moire nationale. Sur le plan organisationnel, le fonctionnement de l�institution militaire se caract�rise par une forte mobilit� dans la progression hi�rarchique, qu�il s�agisse d�acc�s aux grades ou aux postes de commandement. Enfin, au plan de la vie quotidienne, les militaires turcs jouissent d�un syst�me de prise en charge sociale int�gr�, totalement distinct de celui du reste de la population. Il en r�sulte une tr�s forte homog�n�it� de corps et une coh�rence certaine dans le fonctionnement de l�institution. Car c�est bien d�institution qu�il faut parler, au sens moderne du terme, non pas d�un groupe d�officiers, du-t-il �tre constitu� de Mar�chaux� Voila ce qui constitue un aspect distinctif de l�arm�e turque .Cette approche vous parait-elle conforme � la r�alit� ? S.O : Ce que vous dites est suffisant, je ne vois pas autre chose � y ajouter. Je consid�re, de mon point de vue que beaucoup d�observateurs ne mesurent pas la capacit� de l�institution militaire turque � �voluer ni n�observent, d�ailleurs, les clivages qui existent en son sein malgr� toute sa volont� d�afficher sa coh�sion. Prenez l�exemple de l�ancien chef d��tat Major Hilmi OZKOK dont les affinit�s d�mocratiques �taient, vraisemblablement, plus fortes que celles des civils. Nous avons pu lire, tout r�cemment, des articles indiquant que des tentatives visant � fomenter un coup d��tat ont bien exist� et que ce chef militaire leur a fait obstacle, s�exposant m�me � �tre assassin�. Il existe , donc, des divisions au sein de l�arm�e , notamment entre les �chelons subalternes de la hi�rarchie ,beaucoup plus radicaux et le haut commandement .Il suffit de se souvenir des Colonels et des G�n�raux qui ont servi ensemble dans la r�gion sud orientale du pays dans la lutte contre l�organisation terroriste kurde d�nomm�e PKK et qui ont tir� de cette exp�rience des enseignements utiles. La question se rapporte � la mani�re dont les militaires se projettent leur propre image et la mani�re dont ils �valuent la progression du pays. Je voudrais insister, sur ce point, que beaucoup d�- pend des alli�s occidentaux de la Turquie. Par exemple, les militaires sont en droit de sugg�rer que les alli�s de la Turquie refusent de lui pr�ter assistance lorsqu�il s�agit de combattre le PKK. A supposer qu�il s�agisse d�une question kurde, cela ne justifie pas les atrocit�s commises par cette organisation contre les civils isol�s, les kurdes qui ne s�entendent pas avec elle avec recours � la violence contre les dissidents parmi ces kurdes. Laissez-moi dire que la Turquie est en train de changer et que ce dont elle a besoin aujourd�hui c�est d�abandonner les caract�ristiques de l��tat s�curitaire qui lui donn�rent longtemps son cachet, puisque malgr� toutes tentatives destin�es � an�antir les forces de l�opposition auparavant, celles-ci demeurent. A pr�sent, les perspectives de l�int�gration � l�Union Europ�enne devraient faire cesser cet �tat de choses. Pour utiliser une formule symbolique, disons que l�appareil r�pressif, � l�image du pays, est dans la situation du serpent qui doit changer de peau, c'est-�-dire qui est dans la p�riode la plus critique de sa vie. Mais l�Union Europ�enne continuant � adopter un comportement hypocrite, en cultivant le doute sur la r�alit� de l�aptitude de la Turquie � la rejoindre, alors qu�elle avait exprim� une intention louable lors des n�gociations, il y a l� de quoi ne pas faire confiance � l�Union Europ�enne. Il est vrai que le voisinage suscite toujours des probl�mes , surtout que la guerre est install�e en Irak que la Syrie est en situation compliqu�e alors que l�Iran d�fie le monde. Voil� pourquoi, l�institution militaire turque d�cide, en fin de compte, de durcir le ton avec les europ�ens et de suspendre la coop�ration avec la politique europ�enne en mati�re de s�curit� et de d�fense. C�est dans le m�me esprit qu�elle garde ses distances vis-�-vis du processus d�adh�sion � l�Union Europ�enne. MCM : Examinons le potentiel militaire turc. Il est possible de noter que l�arm�e de terre y est largement dominante et que les armements en dotation sont, de plus en plus, acquis aupr�s des USA ou d�Isra�l. Ce choix d�lib�r� ou impos� implique quelles cons�quences sur la doc- trine de d�fense turque et, partant, sur le positionnement politique de l�institution militaire ? S.O : Les forces arm�es turques ayant int�gr� l�OTAN, il est tout a fait normal qu�elle adopte un syst�me d�armement am�ricain. Je ne pense pas que l�arm�e turque acquiert un armement important aupr�s d�Isra�l m�me si ce pays lui apporte une assistance dans la modernisation de certains types d�arme- ment, en particulier les blind�s .Je ne pense pas que ces choix qui n�ont rien de nouveau puisse avoir des cons�quences dans la direction que vous sugg�rez. MCM : Vous ne pensez pas que l�institution militaire turque se d�sengage, actuellement, du terrain id�ologique pour se recroqueviller sur la d�fense d�int�r�ts corporatistes (autonomie dans la gestion des d�penses militaires, dans l�organisation des carri�res de formation militaire et, enfin, dans la tutelle de l�empire �conomique OYAK) ? S.O : OYAK constitue un aspect seulement de la p�n�tration de l�arm�e au niveau de la soci�t� turque. Je ne crois pas que l��volution � laquelle vous faites allusion soit � l�ordre du jour actuellement. Les militaires conserveront un r�le critique sur la politique du pays m�me si ce r�le s�amenuise consid�rablement. MCM : Des �tudes relatives aux incidences induites sur l�organisation interne des arm�es nationales par leur int�gration au sein de l�OTAN livrent quelques enseignements. Un bouleversement de la cha�ne de commandement op�rationnel suit g�n�ralement cette adh�sion .Pour des imp�ratifs d�aptitude technique � la ma�trise des armements, la cha�ne de commandement se d�leste, en effet, des cadres � mal form�s � au profit de ceux qui sont � mieux form�s �.Cette mutation peut-elle �tre v�rifi�e dans le cas de la Turquie qui a adh�r� � l�OTAN en 1952 ? S.O : L�arm�e turque a proc�d� � sa restructuration apr�s la deuxi�me guerre mondiale sensiblement avant l�adh�sion � l�OTAN. L�arm�e turque est pass�e d�un mode de conception et de pratique de type prussien et germanique � un mode am�ricain. L�institution militaire a proc�d� � cette adaptation malgr� l�avis contraire des Am�ricains qui recommandaient que les choses restent en l��tat par endroits. Mal- gr� cela, je ne crois pas que cette adaptation aux exigences de performance requises par la ma�trise de la gestion des syst�mes d�armement ait conduit � l�abandon des personnels les moins form�s. N�oubliez pas que les forces arm�es turques �voluent, encore, selon le principe de la conscription militaire. C�est pourquoi il subsiste pour cette institution une mission dans la construction de la nation. L�un des r�les � accomplir au titre de cette mission, c�est bien l�apprentissage de la langue turque � ceux qui l�ignorait ainsi que l�alphab�tisation la majorit� des conscrits qui sont d�origine paysanne. Avec le d�veloppement de la Turquie, le besoin de recourir � ce type de mission a diminu�. Comme la p�riode du service militaire constitue �galement celle qui permet l�enracinement d�id�es et de valeurs d�termin�es, l�institution militaire persiste � refuser la professionnalisation dans le sens que vous sugg�rez MCM : Le Pr�sident d�funt Turgut OZAL semble avoir exerc�, une d�cennie durant, une influence consid�rable sur l��volution de la Turquie. Au plan politique aussi bien qu��conomique. Mais, de mani�re plus substantielle, c�est lui qui serait � l�origine du d�sengagement graduel de l�institution militaire par rapport � la vie politique nationale. Un leader charismatique et volontariste peut, donc, se substituer � la dynamique d�un syst�me jusqu�� r�duire l�influence d�une arm�e r�put�e omnipr�sente ? S.O : Je voudrais, � ce sujet, vous renvoyer � une de me pr�c�dentes d�clarations. Le pouvoir de l�arm�e est tributaire du statut privil�gi� qu�elle a acquit depuis la constitution de la R�publique. Naturellement, l�institution militaire a pris toutes les dispositions constitutionnelles pour pr�server ce statut. Le tort revient aux politiciens turcs civils qui n�ont pas eu l�audace d�affronter cet ordre des choses+ m�me lorsqu�ils ont en eu la possibilit�. D�une certaine mani�re, ces politiciens ont pr�f�r� conserver un espace r�duit � la d�mocratie acceptant la pratique de la politique sur la base du parrainage. Turgut OZAL a, effectivement, d�fi� cet ordre des choses et si ces successeurs avaient poursuivis sa d�marche, le syst�me d�mocratique en Turquie aurait �t� diff�rent. N�oubliez pas que l�incapacit� du r�gime politique turc, il y a dix ans de cela, � contenir et � marginaliser les islamistes a �t� un facteur qui a pouss� l�arm�e � effectuer ce push qui fut appel� � coup post-moderne �. Aujourd�hui le changement doit commencer par la r�vision de la constitution de 1982. Cette constitution avait �t� promulgu� par l�arm�e, � son profit, en fonction de deux consid�rations : premi�rement, le Pr�sident de la R�publique doit toujours �tre militaire ou proche des militaires ; deuxi�mement, la guerre froide ne doit jamais cesser. Cette vision est d�pass�e par le temps et la Turquie a telle- ment �volu� qu�il faut absolument aller de l�avant IV � Permanence de l�islam dans l�identit� nationale turque et variations de son expression politique : MCM : Certains documents de r�f�rence se rapportant � la d�cennie 80 mettent en exergue la notion de � synth�se turco-islamiste � d�ment encourag�e par l�institution militaire elle-m�me. Quelle r�alit� refl�te cette notion ? N�est-ce pas la r�habilitation de l�islam comme r�f�rent p�renne dans la matrice de l�identit� turque ? S.O : Cette question constitue le c�ur du probl�me qui est particuli�rement complexe. Un probl�me que des �trangers ne comprennent pas suffisamment, selon moi. Certes les chefs militaires ont r�- duit au silence le peuple turc avec cette pr�tendue � synth�se turco-islamiste � et je consid�re qu�il y avait bien des raisons pour cela. En premier lieu et tout d�abord, il y avait l� un souci de r�organiser la soci�t� turque dans un moule conservateur car les gouvernants voulaient pr�venir un amarrage de cette soci�t� aux id�ologies gauchistes te droiti�res, l�islam �tant jug�, en effet, capable de garantir, simultan�ment, l�esprit conservateur et l�esprit de soumission au pouvoir. En deuxi�me lieu , les gouvernants ont adopt� cette d�marche comme moyen de d�fendre la Turquie contre les influence s de la r�volution iranienne ; C�est cela la raison qui avait conduit les gouvernants turcs � signer un accord avec les autorit�s s�oudiennes qui d�pensaient alors , �� et l� et sans chichi ,des masses d�argent pour encourager l�opposition � l�Iran sur une base de l�opposition des rites , en l�occurrence sunnites contre chiites. A un moment donn�, les s�oudiens vers�s � en effet, des salaires aux fonctionnaires turcs du culte qui exer�aient � l��tranger via � errabita �. L�islam a constitu�, n�anmoins, un facteur dans la d�finition de l�identit� turque ce que les fondateurs de la R�publique avaient bien compris. Il convient, cependant, de s�interroger sur la nature v�ritable du r�gime la�c turc, car la s�paration entre l��tat et la religion en Turquie, a proc�d�, en r�alit�, d�une volont� du contr�le de la religion par l��tat. Ajoutez � cela que l��tat turc a favoris� le rite hanafite dans l�islam sunnite et a exerc� une discrimination, du point de vue des droits de la citoyennet�, non seulement contre les non musulmans, mais �galement contre les musulmans non sunnites et m�me les musulmans sunnites non hanafites. MCM : Les �tudes les plus autoris�es sur l��volution du courant islamiste en Turquie mettent en exergue le r�le d�terminant jou� par les confr�ries religieuses qui se sont substitu�es, en quelque sorte, � un Etat d�faillant ou en voie de s�cularisation. Quelle description faites-vous de la nature de ces confr�ries et de leur r�le ? S.O : Je poserai diff�remment la question. L��tat turc est la�c - aussi limit� ou particuli�re que puisse para�tre sa la�cit� � mais cet �tat ne peut pas encore acc�der au statut d��tat la�c. Certes, la soci�t� peut, au fur et � mesure du temps, devenir la�que lorsque ses structures traditionnelles auront dis- parues. La Turquie �volue, graduellement, vers le statut d�un pays capitaliste o� les questions religieuses occupent l�esprit des gens car, l��tre humain aussi pieux soit-il reste un acteur �conomique. Je pense que ce sch�ma d��volution est classique. Pour ce qui concerne les confr�ries religieuses, celles-ci ont accompli, aussi, un r�le dans l�int�gration de la partie religieuse de la population dans l��conomie capitaliste � travers les r�seaux de solidarit� qu�elles ont mis en place. Ces confr�ries religieuses n�inter- viennent pas comme des organisations religieuses car, vous le dites et cela est vrai- elles se sont substitu�es, parfois, � l��tat qui, pour telle ou telle raison, n�a pas �t� capable d�assumer ses responsabilit�s. Si l�on observe, par exemple, le mouvement � NOUR � repr�sent� par la communaut� Fethullah Gulel , nous constaterions que nous sommes en pr�sence d�une organisation religieuse de solidarit� mais aussi devant un r�seau d�affaires tr�s dynamique anim� par un z�le missionnaire vibrant comme le prouve l�existence de pas moins de deux cent �coles ouvertes par cette organisation dans diff�rentes parties du monde et financ�es par les propres contributions de ses membres. MCM : Le plus original dans cette �volution du courant islamiste, c�est bien cette jonction qui a permit de fondre dans un seul moule les enseignements purement religieux dispens�s par les confr�ries que nous �voquions et les enseignements modernes et scientifiques acquis aupr�s d�universit�s par la g�n�ration des nouveaux dirigeants de la mouvance islamiste en Turquie. C�est, tout particuli�rement, le cas de l�ancien Premier Ministre ERBAKAN. Quelle lecture faites-vous de ce mixage et quelle importance lui accordez-vous ? S.O : Je consid�re que l�originalit� v�ritable du mouvement islamique turc c�est bien le contexte dans lequel il �volue. Quoiqu�on puisse dire sur les insuffisances de la Turquie, ce pays n�en est pas moins r�git par le multipartisme depuis soixante ans. Les �lections s�y d�roulent, en g�n�ral dans la libert� et al transparence et m�me si parfois des pressions sont exerc�es par le syst�me. Les islamistes ont rejoint le gouvernement comme partenaire de la coalition depuis 1974. Cela r�v�le que le mouvement islamiste en Turquie - contrairement � tous les autres pays musulmans- a pu �voluer comme partenaire l�gitime � l �ombre d�un r�gime multipartite sans �tre contraint � recourir � la violence, du moins, pour la majorit� de ce mouvement islamiste. Pour ce qui concerne l�enseignement technique par comparaison avec l�enseignement religieux, tous les mouvements islamistes, presque, comprennent dans leurs rangs des techniciens, des m�decins et des ing�nieurs. Le deuxi�me point important qui constitue l�originalit� du mouvement islamiste turc tient au fait que la Turquie est v�ritablement en �conomie de march� depuis 1980, avec les m�canismes efficaces d�untel march�. Voil� ce qui a procur� aux �lites des petites villes l�occasion de s��panouir et de constituer une nouvelle classe conservatrice anatolienne compos�e d�entrepreneurs et de bourgeois. Ce sont eux qui sont derri�re le d�veloppement de la Turquie et son �loignement d�une �conomie � tiers-mondiste � b�tie sur l�hostilit� � l�occident, la haine des �trangers, comme cela �tait le cas pour le mouvement islamiste � l�origine. MCM : Il semblerait, de surcro�t, que le mouvement islamiste s�est substitu� aux partis politiques turcs traditionnels dans la prise en charge de l�exasp�ration sociale face � la corruption, � l�injustice et � l�incurie. Les dirigeants islamistes auraient r�ussi l�exploit, d�abord � l��chelle des municipalit�s puis de tout le pays, d�illustrer le concept de bonne gouvernance, si cher aux institutions financi�res internationales. Ce jugement ne vous parait pas excessif par rap- port au bilan du gouvernement de M.YARDOGAN ? S.O : Il y a de l�exag�ration dans vos propos. Cela �tant, le Parti pour la Justice et le D�veloppement est bien arriv� au pouvoir en 2002 en raison de la faillite des partis politiques traditionnels. Apr�s cinq ann�es de pouvoir, presque, ce parti gouvernant a r�ussi, effectivement, � accomplir tout ce qui lui �t� demand� par des organismes financiers internationaux dans le domaine fiscal. Des rapports ont fait �tat, �galement, de nombreux cas de corruption mais sans jamais parvenir au niveau atteint avec les gouvernements pr�c�dents. Il n�en reste pas moins que les islamistes ont tir� profit, grandement, de leur exp�rience au niveau des municipalit�s, mais il ne faut pas oublier que le Parti pour la Justice et le D�veloppement a utilis� aussi les municipalit�s pour pr�senter des services et cultiver une sorte d�all�geance chaque fois que les barri�res fiscales lui ont constitu� obstacle. Mal- gr� tout, la Turquie reste bien loin des standards de la bonne gouvernance adopt�s par les organisations internationales et les march�s financiers. MCM : mouvance islamiste en Turquie dispose de sa propre organisation patronale le M�SIAD. Quelles sont les caract�ristiques des entrepreneurs � islamistes �, si vous permettez l�expression ? Quels sont les rapports entre cette organisation et le TUSIAD, l�autre organisation patronale ? S.O : Ces deux unions qui sont en situation de concurrence, chacune constituant une alternative pour l�autre, diff�rent par leur mode d�organisation. Les patrons islamistes se sont regroup�s pour constituer une alternative aux entrepreneurs turcs du TUSIAD. Ils ont fond� le MUSIAD qui a pr�sent� � ses membres une assistance dans leurs activit�s � l�image d�un v�ritable groupe de pression. Il n�existe aucun contact, pratiquement, entre les deux unions patronales. MCM : Un autre ph�nom�ne retient, �galement, l�attention � propos de l��volution du mouvement islamiste en Turquie. C�est la relative stabilit� organique de ses appareils et de ses bases militantes qui parviennent, chaque fois, � ressusciter apr�s les changements de nom ou les passages forc�s � la clandestinit�. Alors, finalement, le parti APK, c�est un parti fasciste totalitaire ou un parti lib�ral d�mocratique ? S.O : Vous avez raison. Le parti islamiste a toujours tent� de r�appara�tre apr�s son interdiction et sa dissolution, ce qui indique bien que l�interdiction d�un parti et sa dissolution par ordonnance ne sert � rien pour effacer une r�alit� politique. Ce parti a toujours r�ussi � r�appara�tre car c�est un parti qui tire ses racines de la soci�t� turque sur laquelle il s�appuie. Il nous faut bien observer, dans le m�me moment, le changement qui affecte ce parti chaque fois qu�il r�appara�t sur la sc�ne apr�s une disparition. Comme je l�ai dis auparavant, s�il n�y avait pas eu d�intervention militaire � travers ce qui est appel� le � coup post-moderne � le 28 f�vrier 1997, il ne serait pas advenu au sein du mouvement islamiste cette coupure g�n�rationnelle, cette rupture id�o- logique par rapport aux dirigeants traditionnels du mouvement et leurs m�thodes d�action archa�ques. Quoiqu�il en soit, le Parti pour la Justice te le D�veloppement n�est ni un parti fasciste ni un parti totalitaire. Mais, en raison de l�absence de d�mocratie v�ritable ne son sein, il est difficile de la consid�rer comme un parti d�mocratique lib�ral, mais il reste un parti dynamique, probablement, l�organisation la plus dynamique dans le syst�me poli- tique turc. Il n�y a pas de doute qu�il est pleinement conscient des objectifs � atteindre et il est anim� du sens du service public. Sa base militante aussi est d�un dynamisme ph�nom�nal. En ce sens, le Parti pour la Justice te le D�veloppement pr�sente un potentiel pour �voluer en un parti lib�ral et d�mocratique plus ouvert � la participation politique. V- L�importance des facteurs g�ostrat�giques dans l�exp�rience turque : MCM : Quelle importance accordez-vous � la question des minorit�s, qu�il s�agisse des minorit�s kurdes et arm�niennes en Turquie ou des minorit�s turques dans les pays de l�espace turcophone ? Cette question constitue-t-elle, d�abord, un enjeu de politique interne, ensuite, un enjeu strat�gique ? S.O : La question des minorit�s n�a jamais cess�, tout naturellement, de gagner en importance en constituant un objet de vif d�bat en Turquie. Mais il nous faut distinguer, d�une part, entre les Arm�niens et les Kurdes et, d�autre part entre ces deux minorit�s et les autres minorit�s turques se trouvant � l��tranger. Les Arm�niens sont reconnus officiellement comme minorit� dans le trait� constitutif de la Turquie, le trait� de Lausanne. Le probl�me diff�re pour ce qui concerne les Kurdes. Les poli- tiques, parmi les nationalistes kurdes, ne sont pas eux-m�mes int�ress�s par l�obtention de ce statut de minorit�. La question arm�nienne remonte aux �v�nements de 1915 lorsque les Arm�niens ont �t� chass�s de l�Anatolie. Ces �v�nements avaient d�bouch�s sur des massacres horribles et une situation d�usure qui a dur� tant que pr�valaient les circonstances d�alors. La controverse qui existe aujourd�hui concerne l�appellation � appliquer � ces �v�nements de 1915, bref, � dire s�il s�agissait de massacres ou non. Cette controverse a conduit � adresser des accusations inacceptables contre les Arm�niens se trouvant en Turquie et � soumettre le pays lui-m�me � des pressions diplomatiques injustifi�es. Beaucoup de pays europ�ens , � l�image de la France qui a commis d�effroyables massacres en Alg�rie et dans d�autres pays qu�elle a colonis� ,ont fait adopter des r�solutions d�non�ant le g�nocide des Arm�niens par des turcs , en voulant m�me que le d�lit de ce g�nocide soit r�prim� par la loi. Il s�agit l� d�une bataille politique qui continuera d�empoisonner les relations de la Turquie avec ces pays. Le plus amusant, � cet �gard, c�est que de telles d�marches aboutissent � des r�sultats n�gatifs, car en Turquie le d�bat est bien plus ouvert et bien plus diversifi� que ne le pense beaucoup de personnes. Pour ce qui concerne les Kurdes, le probl�me concerne, pour la plupart, les questions de la vie courante. Le nationalisme turc qui �tait assimilationniste a �chou� dans l�assimilation des Kurdes. Beaucoup a �t� dit � propos du d�ni d�existence des Kurdes au point qu�il leur avait �t� interdit d�utiliser leur langue � un moment donn�. Actuellement la situation a �volu� mais il demeure difficile d�engager un d�bat rationnel du fait de l�action terroriste men�e par le PKK. Il y a l� une sorte de dialogue de sourds entre diff�rentes parties et la population, en g�n�ral, ne pourra s�int�resser convenablement � la question qu�apr�s la fin de la violence. Comme vous le voyez, c�est une question sensible, rendue encore plus complexes par l�apparition du Kurdistan sous forme d��tat ind�pendant, presque, au nord de l�Irak. Les forces d�mocratiques en Turquie qui veulent que la violence cesse et que les politiques kurdes la condamnent, critiquent aussi la violence de l��tat. Le processus d�adh�sion � l�Union Europ�enne qui draine des valeurs de citoyennet� � droits �gaux constitue un cadre parfait pour effectuer des valeurs de citoyennet� � droits �gaux constitue un cadre parfait pour effectuer des r�formes politiques. Quant � exercer des pressions sur la Turquie pour l�amener � reconna�tre les Kurdes entant que minorit� cela peut conduire � des r�sultats contraires. Pour ce qui concerne les Turcs � l��tranger et les r�publiques o� r�sident des populations turcophones, la m�me politique est appliqu�e. �videmment, les rapports avec les r�publiques concern�es sont importants, en particulier avec l�Azerba�djan qui partage avec la Turquie bien des int�r�ts �conomiques depuis l�effondrement de l�Union Sovi�tique. Mais ces relations sont li�es � des int�r�ts mat�riels pas � ces sentiments roman- tiques qui pr�valaient dans les ann�es quatre vingt dix. Pour ce qui concerne les minorit�s turques � l��tranger, la Turquie se pr�occupe toujours de leur procurer des conditions de vie dignes . Le seul probl�me qui se pose est celui des turkm�nes en Irak MCM : Le d�mant�lement du bloc de l�Est, la dis- location de l�empire sovi�tique et l��mergence de nouvelles R�publiques musulmanes asiatiques ont conduit � une r�surgence du panturquisme adoss� � un sentiment turcophone puissant. Il ne faut pas oublier, � cet �gard, l�ancien Turkestan Occidental, anciennement sous domination russe ni l�ancien Turkestan Oriental, le Sin-Kiang sous domination chinoise. Tout cela forme, en effet, une profondeur strat�gique exceptionnelle qui alimente et conforte le projet d�un regroupement d�Etats turcophones dont la Turquie serait le pivot central. Quel cr�dit faut-il accorder � de telles suppositions ? Quels rapports entre cet espace turcophone p�renne et les aspirations de la Turquie � acc�der au statut de puissance r�gionale ? S.O : Les relations dont vous parlez sont importantes mais elles ont �t� rompues depuis un si�cle te demi environ. Apr�s l�effondrement de l�Union Sovi�tique, il y a eu la chim�re de la constitution d�un monde turcophone o� la Turquie d�tiendrait la place de l�acteur central. Cela ne s�est pas produit pour autant puisque ces R�publiques n�ont pas �prouv� le besoin d�avoir � un grand fr�re � et ne l�ont pas souhait�. Ajout� � cela l�apparition des Russes � nouveau. N�anmoins, l�existence d�un regroupe- ment des populations d�origine turques avec l��tablissement de relations �conomiques fortes susciteront, fatalement, l�apparition d�un espace strat�gique dans lequel la Turquie disposera d�une influence. MCM : Il existe un contentieux historique entre la Turquie et les pays arabes qui rend ambigu le r�le de la Turquie dans l�espace proche-oriental. La r�volte contre l�empire Ottoman, discr�tement encourag�e par la Grande Bretagne est v�cue comme une trahison par les Musulmans de Turquie. R�ciproquement, les peuples arabes et musulmans observent avec beaucoup de r�serve, sinon de pr�vention, la la�cisation de la soci�t� turque sous la f�rule de Kemal ATATURK, avec point symbolique culminant, l�abandon de l�alphabet arabe. Les r�alit�s objectives li�es, notamment, � son positionnement g�ographique dotent la Turquie d�un statut ambigu ; elle constitue, aussi bien, une voie d�acc�s vers le monde arabo- musulman, qu�un rempart pour endiguer son avanc�e vers l�occident. Quelle est, selon vous, la lecture la plus appropri�e ? S.O : Le contentieux h�rit� entre les Turcs et les Arabes n�cessite, en effet, un diagnostic, selon une perspective historique lib�r�e�.. des nationalistes. Probablement que l�effondrement de l�empire ottoman apr�s la premi�re guerre mondiale �tait in�vitable, notamment apr�s la d�cision de participer � la guerre et que les sentiments nationalistes arabes soient apparus. Il y a eu une profonde inimiti� entre la Turquie et les pays arabes au cours de la guerre froide en raison du manque d�int�r�t turc pour les aspirations des pays arabes nouvellement ind�pendant et en raison de la reconnaissance d�Isra�l par ce pays. Quelques pays arabes, en particulier la Syrie , ont adopt� une politique d�hostilit� contre la Turquie en offrant refuge , par exemple , � Abdullah OCALAN , le leader du PKK , et en permettant m�me � son parti de disposer d�une base d�entra�nements dans la Bekaa . Il existe aujourd�hui une nouvelle conjoncture et il nous faut d�passer les difficult�s du pass�, nous avons commenc� � avancer en ce sens, de mon point de vue. Je pense que les formules d�excuses que le Pr�sident OZAL avait adress�es � l�Alg�rie en 1988 ont constitu�, selon moi, un tournant d�terminant. Alors que le monde se reconstruit aujourd�hui, il n�est plus gu�re possible � la Turquie de refuser au Proche- Orient de participer � la politique r�gionale d�autant que les pays arabes, eux-m�mes � appr�cier le r�le positif qu�elle peut accomplir. Il est souhaitable que la Turquie s�efforce de jouer le r�le de m�diateur dans cette r�gion � laquelle elle appartient. J�estime que ce r�le b�n�ficie de plus en plus du respect de tous. MCM : La Turquie a toujours pr�sent� un profil utile pour la strat�gie ext�rieure am�ricaine, notamment par rapport aux imp�ratifs op�rationnels du dispositif militaire de l�OTAN. Au d�part, le territoire turc �tait un lieu privil�gi� pour surveiller l�avanc�e de l�empire communiste vers � les mers chaudes �. L�importance de ce territoire s�est accrue encore plus depuis que les circuits d�approvisionnement en p�trole y transitent, n�cessairement .La Turquie, par ailleurs occupe une position strat�gique pour contr�ler l�eau dans la r�gion, v�ritable enjeu du futur. Apr�s le d�mant�lement de l�Union Sovi�tique, ces consid�rations sont, paradoxalement, encore plus pr�sentes. La Russie de Poutine est anim�e, en effet, par les m�mes ambitions que la Russie tsariste. L��quilibre instable qui caract�rise la situation au Proche -Orient consolide, en effet, la position strat�gique de la Turquie, poste avanc� de l�OTAN dans la r�gion .Cela donne � la Turquie, selon vous le statut de partenaire incontournable ou d�alli� strat�gique pour les USA pour le flanc sud de l�OTAN ? S.O : Vous avez raison de citer l�importance de la Turquie du point de vue du contexte g�ostrat�gique. Tant que la Turquie demeurera un associ� de l�occident sur le plan strat�gique, elle restera un membre irrempla�able au sein du pacte de l�OTAN. Je consid�re cependant que le nouveau cadre octroi � la Turquie une libert� de man�uvre plus grande par rapport � la p�riode de la guerre froide. Ajout� � cela que malgr� la concordance des int�r�ts strat�giques qui semblent r�gner parmi les membres du Pacte, la Turquie n�en a pas moins des int�r�ts strat�giques particulier qu�elle souhaite voir pris en compte , qu�il s�agisse de l�Irak ou d�ailleurs. R�cemment, le gouvernement et l�opinion publique ont manifest� en Turquie une grande inqui�tude, voire, de la col�re, contre l�Union Europ�enne et des USA. Le motif pour ce qui concerne l�Am�rique se rapporte � son refus d�agir contre la Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Pour ce qui concerne l�Union Europ�enne, la Turquie reproche � ses membres un comportement � double standard, un comportement cavalier � l�occasion des n�gociations d�adh�sion � cette Union. Cet �tat de fait a conduit, tout r�cemment une partie des citoyens et de l��lite strat�gique � tourner le regard vers la Russie, voire m�me l�Iran comme de nouveaux partenaires. Ce partenariat ne semble pas pouvoir �tre une �ventualit� probable, du point de vue de la logique strat�gique, mais n�en rev�t pas moins de l�importance pour deux raisons : premi�rement, la collaboration de la Turquie ne peut �tre assur� que si ses int�r�ts sont respect�s et reconnus ; deuxi�mement, la Turquie �uvrera pour trouver des alternatives et de nouvelles opportunit�s � la faveur des �volutions g�ostrat�giques et �conomiques nouvelles. MCM : Ce r�le sp�cifique de la Turquie dans le dispositif strat�gique am�ricain se traduit-il par des caract�ristiques particuli�res sur le plan de l�organisation de la d�fense nationale en Turquie ? S.O : La Turquie en tant que pays membre d l�OTAN s�adapte en fonction des exigences impos�es par cette alliance. Cependant, comme je l�ai d�j� sou- lign� l��volution de la situation au Moyen Orient, notamment la guerre en Irak a provoqu� le trouble, plus qu�avant, dans les relations de la Turquie � l�OTAN. C�est pourquoi, est-il pr�f�rable pour nous d�attendre la maturation des plans am�ricains relatifs � leur pr�sence en Irak avant de se prononcer sur les relations turco-am�ricaines, au plan de la d�finition de leurs int�r�ts strat�giques communs pour l�avenir. Jusqu�� pr�sent, la Turquie est toujours h�sitante � accepter les demandes am�ricaines relatives � la mer noire et oppos�e � une attaque contre l�Iran. D�un autre c�t�, toutefois, la coop�ration militaire entre les deux pays se poursuit. MCM : Et sur le plan du mod�le institutionnel ? S .O : Je ne saurais m�avancer. VI- Les avanc�es du syst�me d�mocratique en Turquie : MCM : Nous avons �voqu�, bri�vement, la question au d�but de cet entretien. Nul observateur impartial ne peut contester les avanc�es r�alis�es par le syst�me d�mocratique en Turquie. Ce sont ces avanc�es qui rendent pratiquement irr�versible la marche, � pas forc�s, de la Turquie vers la cons�cration du syst�me d�mocratique. C�est d�ailleurs, l� un avis que vous avez d�fendu dans la presse britannique et qui vous a vau bien des critiques. Vous maintenez votre appr�ciation ? S.O : Il n�y a rien qui puisse me pousser � changer d�avis. Les derni�res �lections sont confirm� la maturit� d�mocratique du corps �lectoral turc. Cinquante sept ann�es apr�s le d�roulement des premi�res �lections libres et transparentes, apr�s la formation d�une classe moyenne te l��mergence d�un corps �lectoral ind�pendant, nous assistons aujourd�hui � la consolidation de la d�mocratie en Turquie. Il en est fini, pour l��ternit� de l��re de la tutelle militaire et de la domination de la corporation des bureaucrates. Malgr� cela, nous avons devant nous un long chemin avant de parvenir � un r�gime d�mocratique et lib�ral parfait, un r�gime o� les lois r�gneraient sans contestation MCM : Abordons, si vous le permettez, le d�veloppement de l��conomie de march� en Turquie. Quelles sont les performances turques les plus notables dans ce domaine ? Ce d�veloppement rapide du capitalisme Turc ne comporte-t-il pas un revers social ? S.O : L��conomie de march� a compl�tement transform� l��conomie turque. 2001, tout particuli�rement, l��conomie turque s�est encore plus ouverte � l��conomie mondiale en s�int�grant compl�tement dans le march� international. Des privatisations sont intervenues et bien des propri�t�s publiques ont �t� vendues � des particuliers. Naturellement, l�int�gration non contr�l�e dans la mondialisation a suscit� un certain nombre de probl�mes et les perdants de l�op�ration ont manifest� leur m�contentement tout comme ont manifest� dans les rues les agriculteurs l�s�s. La d�sint�gration de l�agriculture turque doit fatalement conduire � l�extinction de la classe d�agriculteurs avec un exode rurale important dans les villes. Le co�t direct et indirect de cette transformation de la soci�t� turque ne peut �tre qu�exorbitant, naturellement. MCM : Un autre crit�re essentiel de la bonne sant� d�mocratique d�un pays, c�est le vent de libert� qui r�gne dans le paysage m�diatique. �voquez pour nous cette prodigieuse diversit� de paysage m�diatique en Turquie. Dites nous, �galement, si les puissances de l�argent alli�es � des mouvances d�termin�es (les militaires ou les islamistes) ne peuvent pas d�voyer cette libert� ? S.O : En effet, les moyens d�information en Turquie sont tr�s vari�s mais un noyau monopolise une part importante du march� m�diatique. Le v�ritable probl�me c�est l�antagonisme d�int�r�ts qui appara�tra, car les propri�taires de ces moyens d�information disposent d�int�r�ts ailleurs et exercent d�autres activit�s. Les derni�res �lections ont d�montr� que les grands moyens d�information n�ont pas su lire correctement les intentions de l�opinion publique. D�autre part, les nouveaux moyens d�information islamistes exercent comme une mission de contr�le sur nombre de questions, notamment celles qui concernent l�institution militaire, mais, ces moyens aussi, manquent de professionnalisme. M�me si la confiance dans les moyens d�information est limit�e en Turquie, certains �ditorialistes jouissent d�une grande notori�t� .Bref ,m�me si les journaux et les cha�nes de t�l�vision restent , potentiellement faibles malgr� un certain �quilibre et une diversit� certaine au niveau des sources d�information ,l�absence de promotion du m�tier de journaliste sur la base de r�gles professionnelles consensuelles interdit � ces moyens l�accomplissement du r�le qui en sets escompt�. MCM : Les sondages d�opinion qui se d�roulent en Turquie indiquent, de mani�re r�currente, que l�opinion publique dans ce pays est favorable � une adh�sion rapide au sein de l�Union Europ�enne. Citons, juste pour m�moire, les crit�res de Copenhague qui disposent que nul pays ne peut adh�rer � l�Union Europ�enne s�il n�est pas, d�abord, un Etat de droit. Cet attachement de la population turque � l�Union Europ�enne ce n�est pas un indicateur de la conscience d�mocratique des citoyens turcs ? L�adh�sion de la TURQUIE � l�Union Europ�enne, n�est ce pas, �galement, une garantie pour la cons�cration d�finitive du syst�me d�mocratique en Turquie ? S.O : Oui, beaucoup de ceux qui appuient l�adh�sion de la Turquie � l�Union Europ�enne que cette appartenance est un moyen de consacrer, d�finitivement, le syst�me d�mocratique dans le pays. En d�pit des difficult�s cr�es par l�Union Europ�enne et de ces positions peu encourageantes, 55% des citoyens se cramponnent � ce choix .Le d�fi aujourd�hui c�est la poursuite du programme de r�- formes m�me si certains �tats membres de l�Union Europ�enne, notamment la France, ne cessent de poser des emb�ches et de tenter de trouver les pr�textes pour se d�lier de l�engagement pris par cette union vis-�-vis de la Turquie. Ces agissements n�aident certainement pas l�Europe ni la Turquie. VII- L�avenir d�mocratique de la Turquie, force et faiblesses de l�exp�rience turque : MCM : Nous venons d�effectuer un instructif tour d�horizon � propos de l�exp�rience en cours dans votre pays. Est-il exact de consid�rer que la Turquie sert de terrain d�exp�rimentation, en quelque sorte, pour un mod�le institutionnel que les �tats- Unis d�Am�rique voudraient valider ? Une sorte de laboratoire o� s�exp�rimenteraient , en conditions r�elles, un mod�le de r�f�rence qui permettrait de � civiliser � le mouvement islamiste aussi bien que l�institution militaire dans une d�marche de co- habitation forc�e � avant d��tre accept�e - qui d�boucherait , in fine, sur le syst�me d�mocratique . S.O : Sans doute que les USA seraient ravis du succ�s de l�exp�rience turque. Mais en raison des conditions historiques sp�cifiques � la Turquie, il n�est pas possible d�appliquer cette exp�rience en tant que mod�le dans les autres pays musulmans m�me s�il est possible de s�en inspirer. Il n�existe pas d��tat islamique d�mocratique, la�c, capitaliste et alli� de l�occident comme c�est le cas de la Turquie. Il reste que certaines caract�ristiques particuli�res de l�exp�rience turque int�ressent, non pas seulement les USA et l�Europe seuls, mais tout le reste du monde. MCM : L��volution actuelle du mouvement islamiste en Turquie, � travers principalement le Parti de la Justice et du D�veloppement (AKP), ne semble-t-il pas s�orienter vers la cristallisation d�une variante islamiste de la mouvance � d�mocratechr�tienne � qui fut si pr�sente en Italie ? C�est cette �volution qui vous parait la plus probable ou bien le risque de transformation du Parti de la Justice et du D�veloppement en un parti pl�b�ien exigeant l�instauration d�un �tat th�ocratique ? S.O : Je ne vois aucune possibilit� pour le Parti de la Justice et du D�veloppement de transformer la Turquie en �tat islamique. Nul doute, la Turquie est confront� � des d�fis multiples. La dislocation du tissu social traditionnel, cons�cutivement � l�ex- tension du capitalisme te de la mondialisation est un fait av�r� qui peut provoquer encore plus de difficult�s politiques. Il n�en reste pas moins que le niveau d��volution atteint par la Turquie et qui est appel� � se poursuivre signifie l�impossibilit� que survienne l�hypoth�se que vous �voquez Ajout� � cela que les auteurs de toute tentative visant � transformer la Turquie en �tat th�ocratique provoqueraient, in�vitablement, une guerre civile. MCM : Au regard de l��tat des lieux en Turquie et du rapport de forces qui pr�vaut � l��chelle nationale et internationale, l�arm�e turque peut-elle, d�cemment, se risquer � intervenir par la force sur la sc�ne politique ? S.O : Je ne pense pas ! M�me si elle se risquait � cette alternative, elle ne pourra pas r�ussir comme ce fut le cas les fois pr�c�dentes. Le seul cas o� un coup de force r�ussirait, c�est celui o� il b�n�ficierait de l�appui des USA M�me dans ce cas, le coup de force ne pourrait durer longtemps car le pays et la soci�t� ont consid�rablement �volu� par rapport � la situation ant�rieure. MCM : Dans ce cas, en cas de n�cessit� imp�rieuse, quelles sont les voies de substitution au coup de force classique que pourrait emprunter l�institution militaire ? S.O : L�arm�e turque a publi� un m�morandum en ligne (��) . Je ne pense pas qu�il existe plusieurs choix. Aussi, la meilleure chose que puisse accomplir l�arm�e consiste � s�habituer aux r�gles de la d�mocratie en s�abstenant de penser � imposer sa tutelle sur la soci�t� en estimant qu�elle est indispensable. MCM : En d�finitive, qu�il s�agisse d�institutionnalisation du r�le de l�arm�e ou de � civilisation � du mouvement islamiste, le mod�le turc vous parait-il transposable � d�autres pays tent�s de s�en inspirer ? S.O : Je pense qu�il est plus correct de parler de taming et non de civilisation. La Turquie peut � et elle s�y applique, en effet,- constituer un mod�le mais il n�existe pas d�exp�rience qui soit susceptible d��tre appliquer � la lettre dans un contexte diff�rent. Bref, les r�gles de l�int�gration des mouvements islamistes dans l�action politique sont les suivantes : une �conomie qui ne soit pas bas�e sur les hydrocarbures, une soci�t� civile relativement forte, un r�gime politique pluraliste, propension � garantir la supr�matie de la loi et � trouver des m�canismes institutionnels de n�gociation pour une r�partition ordonn�e du pouvoir. En l�absence de d�centralisation de l�autorit�, notamment en mati�re �conomique, il est impossible d��branler la position des �lites gouvernantes. Voil�, de mon point de vue, ce que la Turquie a r�alis� conduisant aussi bien les islamistes que les entrepreneurs �conomiques la�cs � vouloir int�grer l�Union Europ�enne. MCM : Pensez-vous que le mod�le turc soit applicable � l�Alg�rie ? S.O : Le peu que je connaisse de l�Alg�rie me laisse imaginer que si votre mouvement islamiste �tait apparu dans le cadre d�un r�gime pluraliste et que s�il avait conquis sa l�gitimit� dans le cadre de ce r�gime pendant trente ans, il n�y a pas de doute que votre histoire aurait �t� diff�rente aujourd�hui. Malheureusement, vous ne disposez pas de cet environnement pluraliste qui permette au mouvement islamiste d�activer � travers des partis l�gaux comme c�est le cas en Turquie depuis 1973. Rappelez �vous que les islamistes ont fat partie du gouverne- ment pour la premi�re fois lors de la coalition form�e en 1974. Finalement, nous avons �t� favoris�s car l��conomie de notre pays n��tait pas bas�e sur les hydrocarbures ce qui nous a oblig� � adopter l��conomie de march� conduisant ainsi � la d�centralisation du pouvoir gr�ce aux richesses cr��es MCM : Terminons par une question qui, pour ressembler � une boutade, n�en comporte pas moins un questionnement essentiel. Ce passage oblig�, o� l�institution militaire joue un r�le d�terminant en Turquie, c�est une garantie pour la cons�cration du syst�me d�mocratique ou un alibi pour en diff�rer l�av�nement ? S.O : Sans verser dans la pol�mique � propos de cette question, je suis enclin � consid�rer qu�il s�agit bien d�un alibi. D�un cot�, aurait-il �t� possible au mouvement islamiste de d�couvrir l�Europe, la supr�matie de la loi, les principes d�mocratiques avec toutes les autres valeurs qui fondent un syst�me d�mocratique, si ce mouvement n�avait pas accept� de payer un prix �lev�, 1997, lorsqu�il a subi les pressions fortes de l�arm�e ? Bien sur que la r�ponse est non. Aussi, bien que je me sois exprim� contre le � coup post-moderne �, il me faut bien enregistrer ce que M. ARENK, l�ancien Pr�sident du parlement,
Prochain entretien Invit� : Sid Ahmed GHOZALI, ancien Chef du Gouvernement Th�me : Les hydrocarbures, facteur de d�veloppement national et enjeu de strat�gie internationale Date de parution: Jeudi 27 septembre 2007