Les Etats-Unis se sont directement impliqués dans le conflit en Irak pour la première fois depuis le retrait de leurs troupes en 2011, en bombardant hier des positions des jihadistes menaçant le Kurdistan irakien et des milliers de chrétiens et Yazidis en fuite. Deux chasseurs bombardiers américains ont largué des bombes de 250 kg sur une pièce d'artillerie mobile de l'Etat islamique (EI), qui avait visé des forces kurdes à Erbil, a annoncé le porte-parole du Pentagone, l'amiral John Kirby, expliquant que cela menaçait le personnel américain basé dans la capitale du Kurdistan. Le chef de l'armée irakienne, Babaker Zebari, a estimé que cet appui aérien allait permettre «d'énormes changements sur le terrain dans les prochaines heures». Les combattants de l'EI avaient encore marqué des points jeudi avec la prise de Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne d'Irak, suivie de celle du barrage de Mossoul, le plus grand du pays, qui contrôle l'alimentation en eau et en électricité de toute la région. Depuis dimanche dernier, des dizaines de milliers de personnes ont pris la fuite dans le nord du pays, face à l'avancée des jihadistes qui ne sont désormais qu'à une quarantaine de kilomètres d'Erbil, la capitale de la région autonome du Kurdistan, allié de Washington. Après la prise de Qaraqosh et d'autres zones autour de Mossoul, que l'EI contrôle depuis le 10 juin, le patriarche chaldéen Louis Sako a fait état de 100 000 chrétiens jetés sur les routes. La plupart sont partis vers le Kurdistan. Dimanche, les combattants de l'EI avaient déjà pris le contrôle de Sinjar, bastion de la minorité yazidie, une communauté kurdophone considérée par les jihadistes comme «adoratrice du diable», poussant à la fuite jusqu'à 200 000 civils selon l'ONU. Certains ont pu fuir au Kurdistan ou en Turquie, mais des milliers d'autres sont piégés dans les montagnes désertiques environnantes, où ils risquent autant de mourir de faim et de soif que de se faire massacrer par les jihadistes, réputés pour leur cruauté. Jeudi soir, le président américain Barack Obama avait autorisé des frappes militaires ciblées «si nécessaire pour aider les forces irakiennes qui se battent pour (...) protéger les civils pris au piège». Pour sa première mission, l'armée de l'air américaine a parachuté des vivres et de l'eau aux civils piégés dans les montagnes. Un habitant de Sinjar, réfugié avec sa famille dans une caverne dans la montagne, a cependant déclaré hier au téléphone qu'aucune aide ne lui était encore parvenue. «Rien n'est tombé de ce côté de la montagne. Nous avons besoin de toute l'aide possible, vivres et eau. Il y a beaucoup d'enfants ici», a-t-il souligné. Signe de l'inquiétude internationale, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est dit jeudi «scandalisé» par le sort des Yazidis et des chrétiens. Le pape François, qui a lancé un appel urgent à la communauté internationale pour «protéger» les populations en fuite, a décidé d'envoyer auprès d'elles le cardinal Fernando Filoni, ancien nonce en Irak. «Génocide» M. Obama a accusé l'EI de viser «la destruction systématique de la totalité (...) du peuple (yazidi), ce qui constituerait un génocide». Il a en outre prévenu les jihadistes qu'ils seraient visés par d'éventuelles frappes aériennes s'ils tentaient de marcher sur Erbil, expliquant que les Etats-Unis devaient défendre leur consulat dans cette ville. M. Obama, instigateur du retrait américain d'Irak, a cependant assuré qu'il n'allait pas «entraîner (le pays) dans une autre guerre». A Baghdad, l'intervention américaine a cependant suscité le scepticisme, dans la mesure où le Premier ministre Nouri al-Maliki réclamait ces frappes depuis le début, en juin, de l'offensive de l'EI, qui était déjà bien implanté en Syrie et contrôle désormais de vastes pans du territoire irakien. Obama «n'a rien fait pendant trois ans mais quelque chose arrive aux Kurdes et aux chrétiens et il commence à parler de terrorisme», a dénoncé Rashaad Khodhr Abbas, un fonctionnaire à la retraite. L'arrivée massive de réfugiés aux portes du Kurdistan augmente la pression sur cette région, déjà à court d'argent après le blocage par Baghdad, de sa part de revenus du pétrole. Ce territoire de cinq millions d'habitants a accueilli des centaines de milliers de déplacés depuis le début de l'offensive jihadiste le 9 juin. Mais les récents succès des jihadistes ont provoqué un début de panique à Erbil, jusqu'à présent l'une des rares zones d'Irak en sécurité. Jeudi soir, les peshmergas kurdes ont ainsi reconnu que l'EI contrôlait le barrage de Mossoul sur le Tigre. Situé à 50 km au nord de la ville, il fournit l'eau et l'électricité à une majeure partie de la région et permet l'irrigation de vastes zones de cultures. Les peshmergas, considérés comme les forces les plus efficaces d'Irak, avaient pris début juin le contrôle de plusieurs villes, après la débandade de l'armée face à l'avancée des jihadistes. Mais, à court de munitions et dispersés sur un front très étendu, ils ont dû battre en retraite face aux derniers assauts des insurgés. Les jihadistes se sont dits déterminés lundi à étendre leur emprise sur les territoires tenus par les peshmergas, une déclaration qui a entraîné l'intervention, dans un rare élan de solidarité, des Kurdes de Syrie et de Turquie.