Les Etats-Unis se sont directement impliqués dans le conflit en Irak pour la première fois depuis le retrait de leurs troupes en 2011 en bombardant vendredi des positions des jihadistes menaçant le Kurdistan irakien et des milliers de chrétiens et Yazidis en fuite. Deux chasseurs bombardiers américains ont largué vers 13H45 (10H45 GMT) des bombes de 250 kg sur une pièce d'artillerie mobile de l'Etat islamique (EI) qui avait visé des forces kurdes à Erbil, a annoncé le porte-parole du Pentagone, l'amiral John Kirby, expliquant que cela menaçait les personnels américains basés dans la capitale du Kurdistan. Le chef de l'armée irakienne, Babaker Zebari, a estimé que cet appui aérien allait permettre "d'énormes changements sur le terrain dans les prochaines heures". "Les officiers de l'armée irakienne, les peshmergas (kurdes) et des experts américains travaillent ensemble pour déterminer les cibles", a-t-il expliqué, évoquant également des frappes américaines dans la région de Sinjar, à l'ouest de Mossoul et des opérations prévues dans "des villes irakiennes contrôlées par l'EI". La France s'est de son côté dite "prête à prendre toute sa part" à la lutte contre l'EI. Et l'ONU a expliqué chercher à établir un "corridor humanitaire" dans le nord de l'Irak pour permettre d'évacuer les civils menacés. Les combattants de l'EI ont encore marqué des points jeudi avec la prise de Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne d'Irak, suivie de celle du barrage de Mossoul, le plus grand du pays, qui contrôle l'alimentation en eau et en électricité de toute la région. Depuis dimanche, des dizaines de milliers de personnes ont pris la fuite face à l'avancée des jihadistes, qui ne sont désormais qu'à une quarantaine de kilomètres d'Erbil, la capitale de la région autonome du Kurdistan, allié de Washington. Après la prise de Qaraqosh et d'autres zones autour de Mossoul, que l'EI contrôle depuis le 10 juin, le patriarche chaldéen Louis Sako a fait état de 100.000 chrétiens jetés sur les routes. La plupart sont partis vers le Kurdistan. Dimanche, la prise de Sinjar, bastion de la minorité kurdophone yazidie, considérée par les jihadistes comme "adoratrice du diable", avait déjà poussé à la fuite jusqu'à 200.000 civils selon l'ONU. Certains ont pu fuir au Kurdistan ou en Turquie, mais des milliers d'autres sont piégés dans les montagnes désertiques environnantes, où ils risquent autant de mourir de faim et de soif que de se faire massacrer par les jihadistes, réputés pour leur cruauté. 'Génocide' L'offensive de l'EI contre les Yazidis et les chrétiens "montre tous les signaux d'un génocide", a déclaré vendredi le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, en visite à Kaboul. Evoquant "une crise humanitaire qui prend aux tripes" et le risque de nouvelles violences meurtrières, le diplomate a expliqué que les Etats-Unis avaient "pris la décision qu'il fallait sauver ces vies". Jeudi soir, le président américain Barack Obama avait déjà évoqué un risque de génocide en autorisant des frappes militaires ciblées "pour protéger les civils pris au piège" ainsi que les personnels américains à Erbil et à Bagdad. Instigateur du retrait américain d'Irak, M. Obama a cependant assuré qu'il n'allait pas "entraîner (le pays) dans une autre guerre". L'aviation américaine a parachuté dans la nuit des vivres et de l'eau aux civils piégés dans les montagnes de Sinjar. Un habitant de la ville réfugié dans la montagne avec sa famille a cependant déclaré vendredi par téléphone qu'aucune aide ne lui était encore parvenue. "Rien n'est tombé de ce côté de la montagne. Nous avons besoin de toute l'aide possible, vivres et eau. Il y a beaucoup d'enfants ici", a-t-il souligné. Le Royaume-Uni a annoncé qu'il allait parachuter des vivres "au cours des prochaines 48 heures". Signe de l'inquiétude internationale, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est dit jeudi "scandalisé" par le sort des Yazidis et des chrétiens. Le pape François, qui a lancé un appel urgent à la communauté internationale pour "protéger" les populations en fuite, a envoyé auprès d'elles le cardinal Fernando Filoni, ancien nonce en Irak. Kurdistan menacé A Bagdad, l'intervention américaine a suscité un peu de scepticisme, dans la mesure où le Premier ministre Nouri al-Maliki réclamait ces frappes depuis le début en juin de l'offensive de l'EI, qui était déjà bien implanté en Syrie et contrôle désormais de vastes pan du territoire irakien. M. Obama "n'a rien fait pendant trois ans mais quelque chose arrive aux Kurdes et aux chrétiens et il commence à parler de terrorisme", a dénoncé Rashaad Khodhr Abbas, un fonctionnaire à la retraite. L'arrivée massive de réfugiés aux portes du Kurdistan augmente la pression sur cette région, déjà à court d'argent en raison d'un conflit avec Bagdad sur les revenus pétroliers. Ce territoire de cinq millions d'habitants a accueilli des centaines de milliers de déplacés depuis le début de l'offensive jihadiste le 9 juin. Mais les récents succès des jihadistes ont provoqué un début de panique à Erbil, jusqu'à présent l'une des rares zones d'Irak en sécurité. Le Royaume-Uni a appelé vendredi ses ressortissants à "quitter immédiatement" trois provinces kurdes d'Irak, dont celle d'Erbil. Les peshmergas, considérés comme les forces les plus efficaces d'Irak, avaient pris début juin le contrôle de plusieurs villes après la débandade de l'armée face à l'avancée des jihadistes. Mais, à court de munitions et dispersés sur un front très étendu, ils ont dû battre en retraite face aux derniers assauts des insurgés. Les jihadistes se sont dits déterminés lundi à étendre leur emprise sur les territoires tenus par les peshmergas, une déclaration qui a entraîné l'intervention, dans un rare élan de solidarité, des Kurdes de Syrie et de Turquie.