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“Nous rejetons le projet fédéral Kurde�
Le Dr Sobhi Saber, responsable du front des Turkmènes d’Irak à Kirkouk
Publié dans Liberté le 17 - 02 - 2004

Le Dr Sobhi Saber est pharmacien de profession et dirige le bureau du Front turkmène irakien à Kirkouk. Dans cet entretien, il exprime les vives inquiétudes de sa communauté quant au spectre de la sécession qui menace l’Irak.
Liberté : Peut-on avoir une estimation de la population turkmène en Irak ?
Dr Sobhi Saber : La population turkmène en Irak est estimée à environ 3,5, voire 4 millions de personnes. Elle est répartie sur 400 kilomètres, dans toutes les provinces du Nord, entre Khaniqine, Dakok, Kirkouk, Erbil, Mossoul, Taza, etc.
De quelle branche descendent les Turkmènes ?
Les Turkmènes sont les descendants de Gengis Khan. Ils sont originaires du centre de l’Asie. Leur langue est le turc et diffère seulement par le dialecte. Il faut savoir aussi que 95% des Turkmènes sont musulmans, le reste étant chrétiens.
Quelle est votre position à l’égard de l’occupation ?
Nous avons été heureux de l’intervention de la coalition en Irak car cela nous a affranchis du joug de Saddam Hussein. Nous avons eu notre lot de répression, de fosses communes comme tout le monde, et nous avons notre cortège de martyrs. Saddam était un dictateur féroce et nul ne pouvait fomenter une révolution contre lui. Hélas, ce que nous regrettons, c’est que lorsque les forces de la coalition sont entrées en Irak, les milices des autres communautés ont eu des comportements inacceptables à l’égard des Turkmènes et des Arabes.
Vous faites allusion aux Peshmergas kurdes ?
Oui.
Les Kurdes revendiquent un État autonome dans le cadre d’un Irak fédéral, et ils veulent annexer Kirkouk à leur territoire. Quelle est votre appréciation de la situation ?
Ils ont en effet un projet dans ce sens. Ce projet, nous le rejetons catégoriquement. Ni les Turkmènes ni les Arabes ne sont d’accord pour que Kirkouk soit annexée au Kurdistan rakien. D’ailleurs, Kirkouk est une ville turkmène à la base. La province de Kirkouk (anciennement Taâmim, ndlr) compte environ un million d’habitants. La plupart des agglomérations qui relèvent de cette province sont à majorité turkmène.
Que s’est-il exactement passé le 31 décembre dernier à Kirkouk ?
Tout a commencé par une marche pacifique populaire qui se dirigeait vers le siège des forces kurdes pour dénoncer leurs revendications séparatistes. C’était en réponse à une marche kurde qui a été organisée à l’occasion de la capture de Saddam Hussein, et durant laquelle ont été brandis des slogans appelant à l’annexion de Kirkouk au Kurdistan irakien. Les miliciens kurdes ont alors ouvert le feu sur les manifestants. Il y a eu 4 morts et 25 blessés parmi les Turkmènes.
À l’heure actuelle, Kirkouk ne fait pas partie de la zone kurde autonome, c’est bien cela…
Non. La zone autonome kurde ne comprend que les provinces de Souleimaniya, Erbil et Dahok.
Qui a la mainmise aujourd’hui sur le pétrole de Kirkouk ?
Ce sont les Américains qui disposent de notre pétrole. La population irakienne n’en tire aucun profit. Kirkouk ne jouit d’aucun dividende sur ses hydrocarbures.
Comment voyez-vous la Constitution future de l’Irak, et quelles sont vos revendications identitaires dans la prochaine Constitution ?
Nous revendiquons tout d’abord de citer expressément les Turkmènes dans la Constitution irakienne. Nous voulons que la Constitution garantisse nos droits et reconnaisse les Turkmènes comme la troisième plus importante communauté ethnique en Irak. Nous voulons aussi avoir des ministres dans l’Exécutif irakien au prorata de la population turkmène en Irak. Nous voulons au minimum trois à quatre ministres. Nous voulons également compter dans le corps diplomatique irakien, dans les mêmes proportions.
Donc, vous êtes contre un État fédéral ?
Sur le principe, nous ne sommes pas contre. Il existe plusieurs configurations de régime fédéral. Si on applique le régime fédéral pour les 18 provinces qui existent actuellement, nous n’avons pas d’objection là -dessus. Mais si on ne reconnaît le régime fédéral qu’au Kurdistan irakien en lui associant la ville de Kirkouk, nous rejetons catégoriquement cette configuration. Nous sommes pour l’unité de l’Irak et son intégrité territoriale. Nous voulons que le Nord revienne à l’Irak. L’instauration d’une fédération du Nord signifie une sécession de l’Irak. Nous sommes entièrement avec l’Irak unifié et revendiquons un gouvernement irakien unifié et une armée unifiée, débarrassée des Peshmergas et de toutes les milices armées. Nous sommes contre la division de l’Irak.
Avez-vous eu des discussions avec les Américains à ce sujet ?
Nous sommes en contact permanent avec eux. Le problème, c’est qu’ils penchent du côté des Kurdes. Mais après les incidents du 31 décembre dernier, je pense qu’ils ont revu leur politique. D’ailleurs, pas plus tard qu’aujourd’hui (mardi 6 janvier, ndlr), nous avons reçu une invitation de Paul Bremer qui veut rencontrer les partis présents à Kirkouk, et parmi eux le nôtre.
Qu’allez-vous lui dire ?
Nous allons d’abord parler de ces événements. Nous allons demander aux forces de la coalition d’assurer la sécurité à Kirkouk, quelles qu’en soient les conséquences, faute de quoi nous allons faire appel à une force multinationale ou une force issue des pays musulmans ou encore des pays arabes pour protéger les civils à Kirkouk. Nous allons dire aux Américains que s’ils ne sont pas capables d’assurer l’ordre ici et maintenant, il faudrait dans ce cas-là placer Kirkouk sous une administration internationale.
Les Turkmènes n’ont pas de milices armées comme les Kurdes ?
Non.
Craignez-vous qu’une guerre civile éclate entre les différentes communautés dans un proche avenir, au milieu de toute cette anarchie ?
Si la sécurité n’est pas assurée et si les Turkmènes ne sont pas protégés, une guerre civile n’est effectivement pas à exclure entre les trois communautés ; je veux dire que les Arabes et les Turkmènes vont se soulever contre les Kurdes.
Que pensez-vous du CIG ?
Nous souhaitons avoir au moins trois représentants au sein du CIG. En ce moment, nous avons un seul membre dans ce conseil ; une femme. Celle-ci n’est malheureusement pas à la hauteur de la responsabilité. Elle a été nommée sans qu’on soit consultés par des parties qu’on ignore.
Comptez-vous vous porter partie civile dans le procès de Saddam ?
Nous avons des juges d’une grande compétence, et nous voulons que nos magistrats soient associés au procès de Saddam. Il y a eu beaucoup de plaintes du peuple turkmène contre Saddam et nous allons œuvrer pour les faire aboutir.
Comment voyez-vous le jugement de Saddam ? Vous souhaitez qu’il soit jugé par les Irakiens ou bien par le TPI ou quelque autre instance internationale ?
Nous voulons qu’il soit jugé par des juges irakiens, choisis parmi les Arabes, les Turkmènes et les Kurdes, car toutes les communautés ont souffert de ses crimes.
Comment concevez-vous le transfert du pouvoir aux Irakiens ?
Il est clair que les Irakiens sont plus à même de gouverner l’Irak. Nous espérons donc que ce transfert se fasse dans les plus brefs délais. Plus l’occupation dure dans le temps, plus les problèmes se compliqueront.
M. B.
Demain :
Entretien avec Ramadhane Rachid, un responsable politique de l’UPK à Kirkouk.


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