Par Ahmed Halli [email protected] Il y a toujours une guerre pour en éclipser une autre, un massacre pour reléguer un autre massacre à l'arrière-plan, une ignominie au Kurdistan pour faire oublier l'ignominieuse guerre de Ghaza. On a mis de côté les 2 000 morts palestiniens, quitte à y revenir plus tard, pour s'intéresser aux guerres de conquête religieuse, menées en Irak par le bras armé de l'Islam politique. Du coup, les Occidentaux se découvrent de nouvelles victimes à protéger, celles de Ghaza étant par trop encombrantes, du fait de la place et de l'influence de leur bourreau, Israël. On oublie qu'il y a aussi des chrétiens en Palestine, y compris à Ghaza même si leurs voix sont de plus en plus inaudibles, étouffées qu'elles sont par les stentors islamistes dominants. Ainsi, après avoir superbement ignoré les souffrances des chrétiens d'Egypte, de Syrie, ne parlons pas du Liban, l'Occident se rebiffe. La France, fille aînée de l'église, et l'Europe judéo-chrétienne se mobilisent pour les Araméens d'Irak, et dans leur sillage pour les Yézidis kurdes. Une minorité, tolérée depuis des siècles parce que s'efforçant de prendre à l'Islam et au christianisme ce qui est susceptible de les protéger des imprécations de l'un et de l'autre. Quant au peuple kurde dans son ensemble, tardivement inscrit au programme de protection des minorités opprimées, le voilà promu fer de lance d'une intervention occidentale aussi suspecte que tardive. Après les avoir dispersés entre les quatre Etats du coin, dont elles ont dessiné les frontières au glaive, les grandes puissances rivalisent de générosité, pour armer les Kurdes. Et ce, pour affronter des milices islamistes auxquelles on a donné tout le temps, et l'argent des pétrodollars en prime, pour gagner du terrain et pour se renforcer. Les Kurdes devraient se méfier ! En face, «Da'ech», un nom qui sonne, en arabe, comme s'il était attribué à un épouvantail, est le représentant de l'Etat islamique, selon les vœux de tous les «ulémas», de Ryadh à Casablanca. «Da'ech», ou l'EIIL, pour les islamistes arabes sunnites, attentistes ou modérés, et sans avoir l'air d'y toucher, c'est l'embryon de leur «khalifat» providentiel, moins sûr que celui d'Erdogan, mais plus prometteur. Qu'importe si le khalife Baghdadi refuse d'aller combattre Israël, sous prétexte que faire la guerre pour les Palestiniens n'est pas un précepte du Coran. Qu'importe si le contre-feu allumé en Irak ne vient pas pour atténuer les effets du brasier entretenu par Israël aussi bien à Ghaza, qu'en Cisjordanie et à Jérusalem. «Da'ech» est une création israélienne, peut-on lire sur certains sites sociaux, et j'ajouterais tout comme le Hamas. En tout état de cause, le refus de «Da'ech» de reconnaître Jésus-Aïssa, pourtant cité nommément dans le Coran, et la volonté de persécuter son peuple, montrent certainement qu'il y a au moins un motif d'alliance avec Israël. Nonobstant tout le reste, de l'alliance quasi charnelle avec Washington à l'alliance objective et stratégique avec les satellites arabes, comme le Qatar et l'Arabie Saoudite. Toutefois, si le Qatar est toujours aussi en pointe dans le soutien aux «Djihadistes», en particulier ceux d'Irak, de Syrie, et de Libye, le royaume wahhabite n'est plus dans les mêmes dispositions. Débordée, et victime de sa propre idéologie, la monarchie ne se sent plus à l'abri de ce terrorisme qu'elle a couvé, et exporté aux quatre bouts de l'univers. Au début de ce mois, le roi Abdallah a eu des mots durs pour les théologiens du Wahhabisme, les accusant de «mutisme», et de «paresse», devant les menaces directes contre le pays. Une aubaine pour l'activiste féministe saoudienne, Nadine Labdayer, qui relance la polémique entretenue, sur le sujet et sur sa personne, à propos du rôle négatif des théologiens du royaume. Militante contre le voile, et contre la polygamie, Nadine a réussi l'exploit de se mettre à dos, et en même temps, les imams conservateurs, et les libéraux saoudiens. Il y a quelques années, elle avait déclenché un choc chez les premiers, avec une chronique sur le mode satirique, intitulée «Mes quatre maris et moi», publiée dans le quotidien Al-Misri-Alyoum. Quant aux libéraux, elle leur avait reproché de ne pas appliquer dans leur vie privée les principes qu'ils défendent publiquement, notamment pour ce qui est de la polygamie. Pour son hostilité à cette pratique, et pour une lecture délibérément littérale de sa chronique, elle avait été accusée de vouloir être la «Nawal Saadaoui» de la presqu'île arabe, ce qui n'est pas un mince compliment. Il y a quinze jours, Nadine Labdayer dénonçait dans le même journal l'instauration d'un climat de haine, et d'intolérance, basé sur l'appartenance religieuse. «Dites adieu à la nation arabe, elle vit ses derniers instants !» : sous ce titre alarmiste, elle annonçait un nouveau redécoupage du monde arabe sur des bases confessionnelles et tribales. Cette fois-ci, la féministe saoudienne a saisi l'occasion de régler ses comptes avec l'oligarchie religieuse de son pays, singulièrement silencieuse devant les excès des djihadistes. «Aucun de ces vénérables cheikhs ne s'est levé pour proclamer que "Dae'ch" s'est mise hors des lois divines, et qu'elle est condamnable, hormis quelques tentatives timides indignes de leur statut. Et ce, d'autant plus que ces spécialistes de la religion nous ont habitués à plus de combativité, s'agissant de questions parfaitement secondaires», affirme la féministe. Elle cible particulièrement l'influent cheikh Abdallah Al-Mani : «Je me souviens que le cheikh avait traité Nadine Labdayer de dévoyée, et d'égarée, en réponse à un article sur les droits de la femme. Qu'en est-il des égarements de "Dae'ch", de son idéologie, et de ses origines ?». Notant également que les références idéologiques dont se réclame «l'Etat islamique» de Mossoul sont les mêmes que celles en vigueur en Arabie Saoudite, Nadine Labdayer en appelle à la solution sécuritaire. Elle estime, en effet, que les ministères de l'Education, de l'Information et des Affaires islamiques sont noyautés par les tenants du terrorisme. Aussi, la solution pour elle serait de confier l'ensemble des éléments de la lutte contre le terrorisme au ministre de l'Intérieur, l'Emir Mohamed Ben Nayef, connu pour son hostilité aux «djihadistes».