Par Ahmed Halli [email protected] En 2012, lors de la dernière et meurtrière opération israélienne sur Ghaza, ils étaient encore là, hurlant à qui mieux mieux leur volonté de libérer la Palestine. Ils n'ont évidemment rien fait dans ce sens, si ce n'est regretter ardemment et à pleine voix qu'ils n'aient pas de frontières communes avec Israël. C'est une antienne que l'on entend depuis 1967, à savoir que si nous avions été à la place de l'Egypte, on aurait vu ce qu'on aurait vu. Il y en a même qui en seraient venus à déplorer que les négociateurs des accords d'Evian n'aient pas conditionné le cessez-le-feu à la création d'un Etat palestinien. Sujet qui n'était pas d'actualité du reste à cette époque-là puisqu'il ne s'agissait ni plus ni moins que de rejeter tous les sionistes, pour ne pas dire tous les juifs, à la mer. En 2012, nos islamistes avaient pourtant une occasion trop belle, puisque ce sont leurs semblables, les Frères musulmans qui dirigeaient l'Egypte à ce moment-là. C'est une constante chez les islamistes : parler de guerre pour ne jamais l'entreprendre, sauf dans la nécessité impérieuse d'éliminer les proches et voisins qui ne sont pas d'accord avec eux. Un bon comptable, vacciné contre la sinistrose, pourrait d'ailleurs faire valoir que durant ce calvaire du peuple de Ghaza, il y a eu beaucoup plus de morts musulmans, tués par d'autres musulmans, que de Palestiniens morts sous le feu israélien. En 2012, le président Morsi, élu avec la bénédiction d'Obama et les félicitations d'Israël, n'a pas envoyé son armée à la rescousse du peuple de Ghaza. En 2014, les islamistes d'Egypte et du Croissant stérile appellent à la guerre maintenant qu'ils n'ont pas les moyens techniques de la faire. Signe des temps : en Arabie Saoudite, seules des invocations s'élèvent des mosquées sollicitant la providence divine en faveur de Ghaza, sans s'attarder sur les détails et contre Israël. En revanche, en Egypte, des voix se font entendre, non pas pour aider le Hamas, mais au contraire pour rappeler tous les mauvais coups de l'organisation islamiste, et notamment les attentats terroristes dans le Sinaï. L'animatrice de la télévision satellitaire les Pharaons, Hayat Al-Dardiri, n'a pas hésité ainsi à demander à l'armée égyptienne de «bombarder» Ghaza et d'en finir avec les terroristes du Hamas. En revanche, le libérateur autoproclamé de la Palestine, le Hezbollah irano-libanais, se tient coi, et nuls cris de guerre ou explosions de roquettes ne sont venus perturber la sérénité des frontières nord d'Israël. Il est vrai qu'avec deux fers au feu, l'un au Liban et l'autre en Syrie, le Hezbollah ne peut se permettre d'ouvrir un troisième front, ne serait-ce qu'en matière de propagande et de démonstration de force. Et puis, comme le dit si bien notre voisin de l'Est, Ghannouchi, l'heure est à la patience et aux calculs. À la prochaine invasion de Ghaza ou du Liban, les islamistes seront peut-être au pouvoir en Egypte ou en Irak, et même sans doute en Syrie, mais ils seront trop occupés à exterminer leurs proches et voisins, pour attaquer Israël. Pour l'instant, l'urgence islamiste, que ce soit en Turquie ou en Tunisie, c'est de réduire puis de faire disparaître l'influence des musulmans laïques. Ils déploient d'ailleurs une telle énergie et un tel acharnement à pousser leurs concitoyens hors de l'Islam, qu'ils pourraient bien y arriver un jour, de façon à pérenniser le monologue intégriste. Mettre fin à toute opposition interne, c'est là au demeurant le second argument essentiel du calife de Mossoul, pour refuser de prêter main-forte au Hamas palestinien, le frère idéologique. Outre l'absence de référence explicite à cette guerre dans le Coran, le calife Al-Baghdadi brandit la nécessité de nettoyer d'abord autour de soi en se débarrassant des ennemis de l'intérieur. Il s'est d'ailleurs attelé à cette tâche prioritaire en procédant à l'expulsion des minorités chrétiennes de Mossoul, afin d'avoir les mains plus libres pour s'occuper d'adversaires potentiellement plus dangereux, les musulmans. Il s'agit, en fait, des musulmans qui ne se sentent pas engagés par l'application de la Charia et qui ne considèrent pas la laïcité comme un «rejeton» de l'Islam. Pour bien suivre Ghannouchi et les siens, mieux comprendre ce qu'ils nous préparent avec «patience», apprécions la manière dont «l'Etat islamique» gère les territoires qu'il contrôle en Syrie. D'ores et déjà, et comme en Irak, les islamistes sunnites suscitent la méfiance et l'hostilité d'ordres sunnites comme eux, à savoir les Kurdes qui ne veulent pas tomber sous la coupe du califat. C'est ainsi que des centaines de Kurdes de Turquie sont arrivés récemment au nom de la Syrie pour contrer la menace des milices islamistes sur les régions kurdes. Quant aux autres villes conquises par «l'Etat islamique», elles vivent quotidiennement les rigueurs et la loi d'airain des hordes intégristes. Le quotidien Al-Quds rapporte ainsi que les milices ont ouvert un camp d'entraînement militaire, baptisé du nom de Ben-Laden, pour des adolescents de moins de dix-huit ans. Aux femmes, ils ont imposé le port du «djilbab», ou du «niqab», décrétés tenues de rigueur, sans respect des coutumes vestimentaires locales. Ils ont créé, à cet effet, une police spéciale, chargée de faire respecter la mesure, et de faire la chasse aux récalcitrantes. Et comme ils excellent, en tous lieux par ailleurs, dans la violence extrême et l'horreur, les tenants de «l'Etat islamique» ont renoué avec la culture talibane de la lapidation. Sans donner de précisions précision sur la date des faits, un porte-parole a annoncé le meurtre par jets de pierres d'une jeune femme de 26 ans, convaincue d'avoir commis l'adultère. La suppliciée, prénommée Chemssa, a été lapidée de nuit, après la prière de l'icha, sur la place du marché de la ville de Tabkha, où les «talibans» avaient pris soin d'acheminer un chargement de pierres. Toujours selon ce parangon de vertu, Chemssa a été dénoncée par un voisin de quartier (j'ai connu nombre de cas de soupirants éconduits devenus délateurs), et elle aurait reconnu les faits. Pourtant, bien qu'il soit universellement reconnu que pour commettre l'adultère il faut être au moins deux, on ne dit rien du ou des partenaires de Chemssa. Tout ce que l'on sait, c'est qu'elle a été lapidée toute seule, et par les miliciens islamistes, puisque la population locale ne se serait pas associée au crime. Un aveu en guise de conclusion : émotionnellement, j'ai de la peine, en ce moment précis, à tenir la balance égale entre Chemssa la lapidée et Ghaza, la meurtrie.