Par Abdelkader Leklek Si ce n'était faire offense à la mémoire de générations de footballeurs qui ne sont plus de ce monde et faire injure à ceux et celles d'entre ces sportifs qui sont encore vivants, le sport en Algérie a depuis fort longtemps été exclu du foot. Il a déserté ses terrains et leur environnement. Il a été contraint au divorce par la violence d'avec ses clubs et leur gestion. Il a abdiqué devant le déchaînement et l'intensité de l'agressivité des supporters, puisque plusieurs fois il y eut mort d'homme dans les stades algériens. Le sport dans le foot n'y est plus ! Ceci est une réponse à mon interrogation de présentation. Par ailleurs, ce n'est également pas pour moraliser le monde. Folle prétention ! Mais affirmer qu'au-delà d'une équipe nationale à montage souvent poussif et toujours aléatoire, qui quoi que l'on allègue a fait un Mondial brésilien digne, il n'est de foot en Algérie que de violence, cela se vérifie. Qu'elles en sont alors les causes ? La pratique du foot sport est passée en Algérie en grillant tous les niveaux et leurs haltes évaluatives, pour débarquer par effraction dans le professionnalisme. Bien sûr, sans les technicités, sans les compétences, les expériences et encore le sérieux qui siéent. Le professionnalisme est dans le foot en Algérie à entendement mercantile et à perception patrimoniale. Il n'y a plus en Algérie de foot local entendu socialisation de gosses par le divertissement encadré par des adultes bénévoles, dans les quartiers, les villages et autres associations. Le foot à l'école institution, comme tout le sport en général, n'intéresse plus personne. Qui se souvient des championnats scolaires et universitaires dans toutes les disciplines ? Quant aux écoles de foot, ces pépinières qui alimentent les clubs en joueurs footeux, mais aussi de jeunes au fait des règles de l'éthique sportive et du fairplay. Qui des Algériens peut, aujourd'hui, en citer une de notoriété ? Le foot sport, c'est aussi l'esprit olympique, ce rapport social apaisé, avant d'être un métier à mirobolants revenus. Et comble de l'affront, on aura vu, ce qui est une première en Algérie, du moins publique, le sélectionneur national de foot décliner l'offre faite par les plus hautes autorités du pays, de rempiler, après des résultats somme toute appréciables. Cet indicateur de la vexation n'est à imputer ni au coach, qui préférera aller entraîner un club en Turquie, ni aux autorités du pays d'avoir tenté et raté leur offre. Les causes de ce bide, de ce flop sont à situer au sein même de l'ambiance opaque de la nébuleuse foot Algérie, où évolue une vénerie prête à tout pour participer à la curée. Elle s'accommode de scandales, où sont intentés des procès pour des matchs truqués, où sont mis en cause des joueurs, des dirigeants de clubs, mais également des arbitres. Et où des personnes qui n'ont rien à y faire, s'érigent en donneurs d'ordres à des joueurs censés constituer l'élite du foot, de quitter le stade après une défaite en Coupe d'Algérie. De ne pas se présenter pour recevoir le trophée du dauphin, d'ignorer les officiels venus remettre les coupes et les médailles. De ne pas respecter sportivement leurs adversaires, quand même leurs tombeurs, et enfin, de mépriser effrontément des millions d'Algériens qui suivaient ce match à la télé et montrer le bon exemple de sportivité et les belles manières, d'être au minimum, polis, devant des millions de gosses qui rêvent à bon droit de fouler la pelouse sous les maillots de grandes équipes et accéder à la célébrité par le foot sport, et par leur talent. C'est Albert Camus qui disait que «le stade de football, c'est le seul lieu où je me sente encore enfant». Quel gâchis ! Quand des mômes en Algérie n'ont de choix qu'entre l'école et la mosquée, que le foot dans les rues et les terrains vagues, sinon sur les playstation, au cyber du coin. Ainsi, quand des pays célèbrent des victoires footballistiques, nous tenons de cupides comptabilités sinon un décompte macabre, dans le même sport. Ce ne sont pas les mêmes performances, l'une est espoirs et espérances sportives, la nôtre est sinistre, funèbre et enfin mortelle. Ce qui vient de se passer au stade du 1er Novembre de Tizi-Ouzou, qualifié par tous d'abject, d'innommable, d'atroce et de dégoûtant, le décès du joueur vedette de la JSK, le Camerounais, feu Albert Ebossé ; et au-delà du malheur absurde et gratuit, qui a touché le monde du sport, à travers les dérives que draine le foot. Il y a l'éclaboussement de toute l'histoire du club mythique de la grande Kabylie. Ce club, comme tous ceux nés à la même époque, c'est-à-dire entre la Première et la Seconde Guerres mondiales, fut un acte de résistance aux affres de la colonisation de peuplement qu'avait subies l'Algérie durant 132 ans. Cette association sportive fut également à divers étapes de l'histoire de la région, le cœur battant au rythme duquel vivait la ville de Tizi-Ouzou et tout son hinterland. Et ceci n'est pas une singularité propre à Tizi, mais elle est universelle, sauf que la saveur de cette particularité n'est la même partout dans le monde. Quand l'équipe fanion d'une ville ou d'un village joue au foot-sport, les victoires, les défaites et les autres évènements font que naissent, s'épanouissent et se répandent la fraternité et la communion. Le plus triviale des références en la matière est fournie, par les 700 millions de téléspectateurs, qui avaient suivi la finale de la Coupe du monde de foot 2014. Ainsi le foot quoi qu'il advienne survivra à toutes les révolutions et à tous les changements sociétaux que connaîtra l'espèce humaine, la violence y compris. Sous tous les cieux, à travers tous les recoins de la terre, et dans toute la palette de tous les régimes politiques qui gouvernent à travers le monde et à toutes les latitudes on continuera à jouer au foot. Car en tout état de cause, c'est la vie qui l'emportera. Dans tous ces espaces, par-delà toutes les autres considérations, la perception du foot est beaucoup plus conviviale qu'autre chose. Oui le foot est avant et après tout, un jeu. C'est le philosophe francotunisien Mehdi Belhadj Kacem, un mordu de ce jeu qui trace en spéculant ce suivant parallèle pour marquer s'il en était, la différence de représentation entre la violence et la civilité. «Le Mondial de foot, s'interroge-t-il, est-il un équivalent contemporain des jeux du cirque — panem et circenses — du pain et des jeux ? Certains intellectuels le pensent, mais je ne partage pas leur avis. En fait, il convient de distinguer deux héritages. D'un côté, vous avez le modèle grec : les Jeux olympiques de l'antiquité étaient considérés comme l'un des beaux-arts. Selon Hegel, dans cette époque ils occupaient même une place plus élevée que la poésie, la tragédie ou la musique... De l'autre côté, vous avez le goût romain pour le cirque et les combats de gladiateurs : ceux-là ne recherchaient plus la perfection du geste, mais ils mettaient en scène la cruauté et la mort. Eh bien, même si cela peut sembler paradoxal, je soutiendrais que c'est dans l'art contemporain qu'on retrouve aujourd'hui l'écho lointain de la romanité : les artistes contemporains n'ont de cesse de montrer et de décortiquer le corps humain, ses organes, ses viscères, ses pulsions, de flirter avec la mise à mort... L'art contemporain est le lointain descendant des jeux du cirque. Quant à l'idéal grec des Jeux olympiques et du sport, c'est dans le football qu'il s'exprime». Un point de vue à cogiter. Mais en attendant, où en sommes-nous, en Algérie de ces représentations de confrontation ou bien de rapprochement ? C'est selon ; entre la fosse aux lions des Romains, d'un côté, et de l'autre la beauté du geste et la perfection des traits du discobole du sculpteur grec, Myron. Quand tous nos lieux publics se conjuguent au masculin pluriel, comme simple baromètre indicateur de conception du compromis du vivreensemble, que nous entretenons à partir de l'école, au sein des familles et également dans tout l'environnement humain. Partant de là, il est difficile de mettre la main sur quelque fil d'Ariane pour pouvoir commencer à démêler l'écheveau du foot Algérie et avoir un peu de visibilité, afin d'oser une réponse. Un jour au pays de Kemal Atatürk, cela se passait le 20 septembre 2011, lors du match de championnat de Turquie opposant l'équipe de Fenerbahçe à celle Manisaspor, toutes les tribunes ainsi que tous les gradins étaient pleins à craquer, mais uniquement de femmes et d'enfants de moins de 12 ans. Spectacle insolite, dans le monde de la masculinité phallocentrique, mais une exhibition à plus d'un titre, interpellante. Que s'est-il passé au pays de la moustache marqueuse de virilité ? Pourquoi cette résolution de la Fédération turque de football ? Parce que le mois de juillet 2011, les supporters de Fenerbahçe avaient envahi le terrain lors d'une rencontre amicale contre l'équipe ukrainienne du Shakhtar Donestk, et le match fut arrêté. Cet incident a été exploité par la Fédération turque de foot pour rappeler, selon elle, «aux hommes la beauté et les valeurs du football», précise-t-elle dans son communiqué d'annonce de l'évènement. Un autre exemple, plus proche de nous, culturellement disons. C'est Ali El-Kenz, qui raconte un de ses souvenirs lors d'une rencontre organisée en hommage à Djilali Liabès, lâchement assassiné par les terroristes algériens. Il relata cette anecdote quand ensemble ils étaient étudiants à l'école normale de Bouzaréah. Il disait que tous les étudiants allaient au restaurant de l'école normale en tenue débraillée. Mais il a fallu que l'internat de l'école fût mixte, qu'aucun des garçons n'osa s'y rendre dans un accoutrement incorrect, comme l'on disait en ce temps-là. Voudront ce que voudront insinuer ces deux exemples ; il y aura toujours un enseignement à tirer, pour ceux qui le veulent. Enfin les conséquences du fait social sont ainsi. Elles révolutionnent chez les uns des comportements et font chez les autres, que les leurs s'y adaptent, comme elles sont inopérantes sur une certaine frange de la population, qui souvent est forte de l'impact du nombre. Le sport, ce sont des jeux, des activités, des occupations, et aussi des métiers, qui sont des passerelles, au moins vers le respect de l'autre, soit-il l'adversaire sur le terrain, ou bien le supporter se trouvant dans les gradins ou les tribunes d'en face. Sauf que pour cela, il faudrait que les personnes dans un espace, dans leurs interactions avec les segments, qui font que dans une ville ou bien dans un village, on habite, on travaille et se divertit, aient acquis des facultés pour, et qui le veuillent également. Cependant face à tout fait social, il doit y avoir un ordre, représenté par une autorité, pour que «l'être-ensemble» soit profitable à tous. Oui mais il faut aussi que la relation entre cette autorité et ceux et celles auxquels elle s'adresse ne soit pas conflictuelle. Le stade de foot en Algérie est depuis 1988, l'arène de la contestation par excellence. Il n'y a qu'à scruter de plus près ce qui se chante, se scande, dans les tribunes pour être situé. Les injonctions théoriques, contraignant au respect de l'ordre, sont tournées en dérision dans les stades, encouragés par l'effet de foule, constituant un autre «être-ensemble», inatteignable lui, par cette norme contestée, en dehors du foot, dans l'espace public stade. Et l'expression de ce rejet normatif peut être aussi violente autant que puisse le permettre la bêtise humaine, qui n'est l'apanage d'aucune appartenance, d'aucune culture, d'aucune ethnie, d'aucune religion, histoire ou bien géographie. Des Algériens supporters du Real de Madrid, ou bien du FC Barcelone, sont légion, et sont en cette qualité, dans leur monde, impénétrables. Oui ils sont arrivés lors des fameux clasico à s'entretuer, etc. Ainsi taraudé jusqu'à n'en plus pouvoir, cet ordre institutionnel s'effiloche. Il est cependant, parce que la nature a horreur du vide, tantôt remplacé par un autre dont les caractères, les codes et autres rites, refoulent rejette et marginalisent tous ceux qui ne s'identifient pas à eux et encore au sens de soumission. Ensemble, dans leur monde de contestation, ils donnent leur opinion sur les problèmes sociaux qui les concernent, à leur façon. Ils se désocialisent. Ce qui est au final tout le contraire de ce qu'est le sport et sa pratique. Qu'est-ce qui fait que le supporter de foot dont l'équipe a perdu et à domicile, circonstances aggravantes, se croit dans son droit d'utiliser une violence létale, pour dire son mécontentement ? C'est cela le supportérisme extrême dont parlent certains sociologues, qui stigmatisent, pour certains d'entre eux, les hooligans, et les autres, les ultras. C'est bien que chez nous, les autorités en charge du sport aient décidé, le 1er septembre 2014, après le malheur du stade de Tizi-Ouzou, de mesures pour théoriquement empêcher que ne se reproduisent d'autres actes de violence dans les stades. Cela va de la finalisation de textes législatifs ou réglementaires, relatifs aux comités de supporters, à la Commission nationale exécutive de prévention et de lutte contre la violence, ou bien la création du fichier national des personnes interdites d'accès aux infrastructures sportives, de la systématisation de la vidéo surveillance et de la désignation, au sein des staffs de clubs, d'un responsable chargé de la sécurité. C'est une démarche, procédurale, de gestion d'un problème humain et son efficience dépendra de la ressource humaine, des moyens et des financements qu'on voudra bien y mettre et également de l'évaluation de ses résultats d'étape et finaux. Cependant et si les causes de ces problèmes étaient encore plus profondes, nécessitant d'autres clés pour leurs solutions des outils autres que matériels, enfin pour éviter de passer pour un moralisateur, ressassant des : «il n'y qu'à», bien installé dans ses certitudes, j'évoquerai, au moins pour le doute, la philosophe américaine, Martha Nussabaum, dont toute l'œuvre s'intéresse aux faits de sociétés, avec un fort penchant vers l'éthique, afin de proposer au lecteur, une réflexion. Dans une interview, publiée dans la revue française, Philosophie Magazine n°82, de septembre 2014, elle dit : «En chaque personne se joue un conflit entre la compassion et l'égoïsme narcissique, qui traverse chaque individu intérieurement, avant même d'opposer des groupes l'un à l'autre. J'ai beaucoup travaillé sur le dégoût : c'est parce que les individus sont incapables d'accepter leur faiblesse, leur mortalité, qu'ils projettent leur dégoût d'euxmêmes sur les autres. Une meilleure compréhension de nous-mêmes est donc nécessaire pour éviter de nous comporter ainsi avec les autres.» Alors commençons par mettre une pincée de sport dans le foot, à base d'une dose de paix, d'une autre d'éducation, de socialisation et de santé. Cela ne tarira certainement pas les sources de la violence, loin s'en faut. C'est peu aussi, mais c'est mieux que de discourir rigidement, sur les maux qui gangrènent et affublent le foot sport.