Le va-et-vient des responsables français de haut rang dans notre pays continue. Aujourd'hui, c'est au tour du général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées françaises, de fouler le sol algérien pour y séjourner du 13 au 15 septembre. Cette visite constitue-t-elle une énième tentative pour entraîner l'Algérie dans une intervention militaire en Libye ? Le MAE algérien, interrogé sur cette visite et sur une éventuelle intervention militaire, a eu cette réponse : «Aucune intervention militaire n'est prévue en Libye pour l'heure.» Tout est peut-être dans cette précision car l'on ne fera pas d'offense au MAE algérien de ne pas avoir intentionnellement ajouté cette précision temporelle. Le communiqué émis jeudi 11 septembre par l'ambassade de France en Algérie tout en annonçant la visite du chef de l'état-major du 13 au 15 septembre, informe qu'il sera reçu par le GCA Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense, chef d'état-major de l'armée, et par Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, et se rendra ensuite «en visite dans la 4e Région militaire, à Biskra». Quant à l'objet de cette visite, la partie française précise «qu'elle sera l'occasion de poursuivre l'étroite concertation entre la France et l'Algérie sur toutes les questions régionales et la nécessité de lutter ensemble contre le danger commun que représente le terrorisme pour l'ensemble de la région». Cela ne dit pas grand-chose ni sur le motif réel de cette visite ni sur le pourquoi du déplacement dans la 4e Région militaire ni encore ce qu'il y fera et qui il rencontrera ? Tout aussi tautologique est la déclaration de Ramtane Lamamra sur le cadre de cette visite, «une visite ordinaire» qui s'inscrit dans le cadre de «concertations algéro-françaises sur de nombreux dossiers dont celui concernant la Libye dans le cadre de l'action de concertation menée par l'Algérie avec nombre de pays, en tant que pays pivot dans la région». «Ordinaire», cette visite ne l'est certainement pas, quoi qu'en dise notre MAE. Elle intervient dans un contexte des plus chaotiques dans la région et pas seulement en Libye. Elle intervient aussi, alors que la France a modifié notablement sa stratégie dans la région. En juillet dernier, alors que des militaires algériens prenaient part au défilé du 14 Juillet en France, Pierre de Villers, le patron des armées celui qui nous rend visite aujourd'hui, déclarait au micro de BFM TV : «L'opération Serval a été un grand succès. Nous avons arrêté la colonne de djihadistes qui se dirigeait vers Bamako. Ensuite nous sommes montés vers le nord. Nous les avons empêchés de s'organiser et maintenant nous attaquons une nouvelle phase de cette opération», rebaptisée Barkhane. Et là, de Villiers précise : «Dans cette nouvelle phase nous serons à peu près 3 000 hommes d'ici la fin de l'année sur l'ensemble de la région depuis le nord du Mali jusqu'au nord du Tchad. Nous avons une approche plus régionale avec un vrai partenariat élargi avec les pays africains concernés, en particulier avec les pays de ce qu'on appelle le G5 Sahel dans la bande sahélo-saharienne». Et d'expliquer pourquoi cet élargissement : «Parce que les groupes terroristes armés profitent de leur mobilité, de leur connaissance du terrain et des frontières entre les différents pays pour s'y réfugier. Nous allons mener des opérations conjointement avec les différents pays pour qu'ils ne puissent plus contrôler certaines régions et pour que nous puissions, au-delà des frontières, avoir une vision de la bande sahélo-saharienne. C'est une opération de longue durée...» Tout ce développement est en contradiction avec le fait de proclamer que l'opération Serval a été une réussite. Elargir le champ d'action et demeurer plus durablement. C'est donc la nouvelle stratégie française d'intervention en Afrique. Et se faisant plus précis quant au terrain-cible dans la région, il faut frapper, selon l'Hexagone, la Libye dont la situation sécuritaire est fortement dégradée. Le Sud libyen, selon le ministre français de la Défense, Yves Le Drian, est le terrain «où des groupes terroristes viennent s'approvisionner y compris en armes et se réorganiser». Le pays, nul ne l'ignore, est devenu une base arrière pour les terroristes, un centre d'approvisionnement en armes, d'entraînement djihadiste et passoire pour l'émigration interafricaine et en direction de l'Europe. «Nous devons agir en Libye, à la fois porte de l'Europe et du Sahara, et mobiliser la communauté internationale», a martelé Le Drian qui a tenté cette semaine d'en convaincre ses homologues européens. Mais cet appel ne vient pas seulement de la France qui s'aperçoit (un peu tard ?) que le « risque terroriste est plus important qu'il ne l'était du temps de Kadafi ». On apprend que Moncef Marzouki, le président tunisien , et Idriss Deby, chef d'Etat tchadien, auraient appelé au secours la France. Abdelfattah Al Sissi ne serait pas en reste : il aurait demandé à l'Algérie et à la Tunisie d'agir. L'Algérie est naturellement aussi inquiète de la tournure des événements dans la région et du chaos dans un pays limitrophe dont elle partage une frontière de près de mille kilomètres. La déstabilisation est à ses portes et parfois pénètre même son territoire. Tout l'intérêt du pays est que la sécurité revienne dans la région, mais pas en s'impliquant dans une intervention armée dont elle mesure les éventuelles conséquences. «Aucune intervention militaire n'est prévue en Libye pour l'heure mais il est question actuellement de réunir les Libyens, à travers un dialogue national, une réconciliation nationale et la consolidation des institutions démocratiques.» Un peu comme le tente, depuis des mois, notre diplomatie pour régler le problème malien. Une première remarque s'impose : Ramtane Lamamra, en affirmant aussi clairement «qu'aucune intervention militaire n'est prévue en Libye», semble avoir des garanties que la France va-t-en-guerre est revenue sur sa décision d'intervenir militairement et qu'une autre alternative a été trouvée. La deuxième remarque est ce voyage insolite du chef d'état-major français à Biskra dont une des lectures possibles est la tenue, peut-être, d'une réunion dans cette ville, avec des protagonistes libyens, prélude à des négociations futures pour arriver à terme à stabiliser le pays. Une lecture moins optimiste nous conduirait à nous attarder sur cette précision «pour l'heure» du MAE algérien qui pourrait signifier que pour l'instant, il n'y aura pas d'intervention armée mais que rien ne dit que cette intervention n'aura pas lieu et le déplacement à Biskra serait alors l'occasion de passer en revue la nature du dispositif éventuel à mettre en œuvre si la situation venait à s'embourber davantage.