Par Hassane Zerrouky Depuis le début de ce qu'on appelle l'insurrection syrienne, Washington rêvait d'en découdre avec le régime de Bachar. Les Américains attendaient ce moment. Mais les années passaient, et le conflit perdurait. L'opposition syrienne dominée par les Frères musulmans et soutenue par les pétromonarchies arabes et surtout par la France ( seul pays à la reconnaître officiellement sur les conseils sans doute de Bernard Henri Lévy), a fini par ne plus être visible. Washington qui escomptait une réédition du scénario libyen, semblait se résigner à l'acceptation d'une solution politique basée sur un compromis entre le régime syrien et ses opposants. Mais voilà, l'avènement de l'Etat islamique ou Daesh, qui a pris le contrôle de 40% du territoire irakien et commet des atrocités contre les chiites et les minorités chrétienne et yazidi, promettant de s'emparer de Baghdad, a rebattu les cartes au Moyen-Orient, fournissant l'occasion aux Etats-Unis de prendre la tête d'une coalition internationale pour combattre l'EI en Irak mais aussi en Syrie, et ce, sans garantir un retour aux frontières d'avant les guerres civiles syrienne et irakienne. A l'origine, Daech, soutenu et armé par les pétromonarchies du Golfe, mais aussi par la Turquie dont une partie du territoire sert de base arrière aux djihadistes, a été créé pour lutter à la fois contre le régime irakien dominé par les chiites alliés à l'Iran et contre le régime de Bachar al-Assad. Mais à partir du moment où Daech s'est écarté du cadre fixé par ses parrains arabes et turcs, d'abord en tentant de prendre le contrôle de la totalité de la mouvance islamiste syrienne et arabe, ensuite en décidant de s'affranchir de la tutelle des pays du Golfe en instaurant un Etat à cheval sur l'Irak et la Syrie, avec pour but d'étendre son califat à l'ensemble du Moyen-Orient, il était clair que ses sponsors saoudiens, émiratis et qataris n'allaient pas le laisser faire. Et dans cette perspective, seuls les Etats-Unis ont les moyens militaires de le contenir. Reste - on va le voir ci-dessous - que le but de la Maison blanche et de ses alliés n'est pas l'Etat islamique (EI) mais bel et bien le régime syrien. En effet, quelques jours avant la tenue lundi de la conférence de Paris pour la sécurité en Irak, Barack Obama a demandé au Congrès (la Chambre des représentants) d'adopter un plan autorisant le Pentagone à équiper et entraîner, sans autre précision, les insurgés syriens dit «modérés» afin qu'ils assurent l'offensive sur le terrain contre l'EI. Ainsi s'explique le fait que les Etats-Unis aient décidé de limiter leurs frappes aux seuls djihadistes de l'EI, et d'épargner le Front al Nosra (branche syrienne d'Al Qaïda) et les djihadistes du Front islamique dont Ahrar Cham est le fer de lance. Or, ces deux mouvements et d'autres, dont le projet d'instauration d'une théocratie politico-religieuse exclusiviste est assumé sans détour, instituant la chariâa dans les territoires qu'ils contrôlent, ne sont-ils pas coupables de crimes et d'exécutions sommaires de soldats et de civils ? Le fait donc de les épargner est-il le résultat d'un deal conclu entre les pays du Golfe qui les parrainent et les Etats-Unis ? En intervenant militairement en Syrie, Paris et Washington escomptent-ils faire d'une pierre deux coups, éliminer l'EI et le régime syrien ? Et, si c'est le cas, pour quel résultat et au profit de qui ? Certainement pas au profit des forces du changement démocratique en Syrie qui, dans maintes déclarations, se sont exprimées à la fois pour une solution politique de la crise impliquant le départ de Bachar al Assad et la fin de son régime dictatorial, et contre une solution de type militaire porteuse d'une fragmentation à terme de la Syrie et, partant, des Etats nationaux (à ne pas confondre avec les régimes en place), solution génératrice d'un chaos dans tout le Moyen-Orient. Pour conclure, cet interventionnisme militaire au Moyen-Orient s'inscrit dans une logique atlantiste, de domination et de soumission des peuples aux intérêts occidentaux, avec en toile de fond l'objectif de redessiner la carte du Moyen-Orient. Et ce, avec la complicité active des islamistes et de leurs parrains moyen-orientaux.