Par Hassane Zerrouky Le coup est venu de là où personne ne l'attendait. La Grande-Bretagne, allié indéfectible des Etats-Unis, ne prendra pas part à une intervention militaire en Syrie. La Chambre des Communes (Parlement britannique) a rejeté «la motion sur le principe» d'une intervention militaire en Syrie que le Premier ministre David Cameron avait présentée à la Chambre des communes par 285 voix contre 272. «Il est tout à fait clair ce soir, alors que la Chambre n'a pas adopté cette motion, que le Parlement britannique, reflétant l'opinion du peuple britannique, ne veut pas d'une action militaire britannique : j'ai reçu le message, et le gouvernement agira en conséquence», a-t-il déclaré. Quelques jours auparavant, au nom de la solidarité internationaliste sociale-démocrate – le PS français et les travaillistes britanniques sont deux poids lourds de l'Internationale socialiste — le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius avait tenté vainement de convaincre Ed Milliband, le chef du Parti travailliste britannique, de voter en faveur de la motion présentée par David Cameron. Washington a également tenté de peser sur le vote de la Chambre des Communes en utilisant ses réseaux britanniques. La décision britannique de se désengager d'une intervention militaire conduite par les Etats-Unis contre la Syrie était attendue. Les parlementaires ne voulaient pas aller à l'encontre d'une majorité de Britanniques échaudés par le précédent irakien et les mensonges de l'ancien Premier ministre Tony Blair, et hostiles à une attaque contre la Syrie. Selon un sondage YouGov publié jeudi, seuls 22% de Britanniques y sont favorables contre 51% qui y sont défavorables. Les médias britanniques n'étant pas en reste. «Does Obama know he's fighting on al-Qa'ida's side (Est-ce que Obama sait qu'il se bat du côté d'Al-Qaïda)», s'interrogeait le célèbre journaliste anglais Robert Fisk dans The Independent du 27 août. Des propos relayés sur les réseaux sociaux et qui ont fait le tour du Net. Embarrassé par la défection de son allié britannique – une première dans l'histoire des rapports entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis que l'opinion britannique surnomme «la fille aînée de l'Angleterre», – Barack Obama, jusque-là prudent avant de céder au lobby va-t-en-guerre américain, se trouve dans une posture embarrassante. Car en plus de l'allié traditionnel britannique, le Canada a décidé que ses soldats resteraient à la maison ! L'Allemagne réticente à cette guerre ne sera pas isolée comme cela a été le cas lors de l'intervention de l'Otan contre la Libye. Sans surprise, le Brésil et la majorité des pays d'Amérique latine sont hostiles à toute guerre contre la Syrie. Non par sympathie pour le régime de Bachar al-Assad mais parce que chacun sait qu'en ajoutant une guerre à la guerre déjà en cours on ne réglera pas le problème. Sont encore présents dans tous les esprits l'exemple irakien – plus d'un million de morts et un pays qui a implosé et qui est pratiquement en situation de guerre civile – l'Afghanistan où après être massivement intervenu pour éradiquer les talibans, Washington et ses alliés vont se retirer sans gloire avec armes et bagages en laissant un pays livré à son sort, enfin la Libye, aujourd'hui ingouvernable, devenue un arsenal à ciel ouvert où tous les djihadistes viennent faire leurs emplettes et sanctuaire des djihadistes de la région. La Syrie ne retrouvera ni le chemin de la paix ni celui de la stabilité si jamais Washington décide de frapper ce pays. La décision de Londres ne changera pas la décision de Paris, décidé, dixit le président français, «à punir ceux qui ont pris la décision infâme de gazer des innocents», prévenant que «le droit international (...) ne peut être un prétexte pour laisser perpétrer des massacres» ! Rien de nouveau sinon que la France a dès le début de la révolte syrienne en mars 2011 exclu toute solution politique et réitéré son choix pour une solution militaire dès l'arrivée de François Hollande au pouvoir. Mais contrairement à la Grande-Bretagne, qui vient de faire montre encore une fois de la vitalité de sa démocratie parlementaire, la France de François Hollande ne sollicitera pas l'aval des parlementaires français. Fidèle à une tradition datant de la guerre d'Algérie, pas question que les élus du peuple puissent se prononcer pour ou contre une intervention de leur pays : «Le Parlement sera informé», a jugé le soldat Hollande ! Pour quel but et quel résultat sinon celui de faire croire aux Français que la France, puissance moyenne, a son mot à dire sur la scène internationale. Cette morale invoquée par François Hollande est dénoncée par Haytam Manâa, président du Comité de coordination nationale pour le changement démocratique (CCNCD, opposition syrienne) et opposant de longue date au régime de Bachar qui dit ceci : «Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont poussé les parties à se radicaliser. Ils n'ont pas empêché le départ de djihadistes vers la Syrie et ont attendu très longtemps avant d'évoquer ce phénomène. Où est la démocratie dans tout ce projet qui vise la destruction de la Syrie ? Et pensez-vous que ce soit la morale qui les guide ?» Avant d'ajouter : «C'est un coup monté. On sait que les armes chimiques ont déjà été utilisées par Al Qaïda. Or, l'Armée syrienne libre et les groupes liés à Al Qaïda mènent en commun 80% de leurs opérations au nord. Il y a un mois, Ahmad Jarba (chef de l'opposition syrienne et homme des Saoudiens) prétendait qu'il allait changer le rapport de force sur le terrain. Or, c'est l'inverse qui s'est produit, l'armée loyaliste a repris du terrain. Seule une intervention directe pourrait donc aider les rebelles à s'en sortir.» Dans cette guerre par procuration – l'Occident et ses alliés arabes soutenant les islamistes et la Russie et l'Iran soutenant le régime syrien – qui échappe par conséquent au peuple syrien pris en otage par les différents protagonistes, Bachar al-Assad porte une grave responsabilité pour au moins deux raisons : la première est d'avoir fait le choix de la force brutale en réprimant de manière sanglante des manifestations populaires qui ne demandaient au départ que la démocratie, les libertés et la fin du monopole politique du parti Baath, et la seconde pour avoir fourni le bâton avec lequel l'Occident va sans doute le frapper quand il a déclaré il y a plus d'une année qu'il n'hésiterait pas à utiliser l'arme chimique en cas d'invasion occidentale. Obama avait alors saisi la balle au bond affirmant qu'il s'agirait là d'une ligne rouge. Eh bien, on y est. A moins d'un soudain retournement, la solution politique pour laquelle a lutté Haytam Mannâa et ses amis de la gauche syrienne s'éloigne tandis que la guerre, avec ses terribles conséquences pour cette région du monde où la question palestinienne va être de nouveau reléguée aux calendes grecques, est là aux portes de Damas. Est-il encore temps de l'arrêter ?