L'arrivée d'un second opérateur public de téléphonie mobile, avec le rachat par l'Etat de 51% de Djezzy, ne devra pas poser de problèmes si les règles concurrentielles, les règles du jeu sont respectées. Chérif Bennaceur - Alger (Le Soir) Rachetée à 51% par l'Etat auprès de son propriétaire Vimpelcom, la société de téléphonie mobile Orascom Télécom Algérie (OTA-Djezzy) et qui compte quelque 17 millions d'abonnés, acquiert un statut d'opérateur public. En effet, le Fonds national d'investissement (FNI) a convenu en avril dernier avec la holding russo-norvégienne l'acquisition de 51% du capital de Djezzy, pour un montant de l'ordre de 2,64 milliards de dollars, en attendant la finalisation de l'ensemble de la procédure. Ce qui porte, ce faisant, le nombre d'intervenants sur le marché domestique du mobile à deux opérateurs publics, Mobilis et Djezzy et un opérateur privé (Ooredoo, filiale de la holding qatarie des télécommunications Ooredoo). Et cela, même si le management de Djezzy relève encore de Vimpelcom, l'Etat algérien sera néanmoins bien présent au sein du conseil d'administration de la société. Quelle concurrence ? Or, un marché dominé par deux opérateurs publics, dont l'un est détenu à 100% par l'Etat (Algérie Télécom-Mobilis) et le second à 51%, serait-il un marché normal, concurrentiel ? L'étatisation de Djezzy ne constitue-t-elle pas ainsi une atteinte aux règles de la concurrence ? «Avoir deux ou plusieurs opérateurs publics ne devrait pas constituer en soi une gêne», observe le président de l'Association algérienne des fournisseurs de services Internet (AAFSI), le Dr Ali Kahlane. Selon cet expert des technologies de l'information et de la communication, le fait que des opérateurs de statut public opèrent sur un même marché peut être constaté dans plusieurs pays. Cela étant, c'est «la forme de la concurrence qui va être différente», considère-t-il. Marqué jusque-là par une concurrence de type «stratégique» opposant notamment l'opérateur public Mobilis et l'opérateur privé Ooredoo, le marché domestique pourrait évoluer vers une pratique concurrentielle «moins féroce» en particulier entre les deux opérateurs publics. Il s'agirait d'une «concurrence réfléchie, davantage commerciale que stratégique» en termes de politiques tarifaires, d'offres promotionnelles et offres de services, observe Ali Kahlane, dans la mesure où il s'agira de stimuler l'attrait de la clientèle de manière originale. «Sûrement», acquiesce l'expert et consultant IT, Younès Grar, interrogé également sur la perspective d'avoir deux opérateurs de même statut juridique. Selon ce spécialiste, la dominance publique ne pose pas problème «si les règles du jeu sont claires et sont respectées, appliquées par tout le monde». Normale, la présence de deux opérateurs publics le serait, considère-t-il donc. A charge cependant que la transparence prévale, que la concurrence, la politique marketing et commerciale ne pâtissent pas de certains errements, notamment les interférences, les injonctions externes, l'absence de la culture d'entreprise et la prégnance de l'administratif et autres contingences sociales sur l'activité économique. En d'autres termes, le rôle des représentants de l'Etat au sein du conseil d'administration des deux opérateurs publics, essentiellement Djezzy , ne devrait pas impacter négativement sur le fonctionnement de l'entreprise. A contrario d'agir au détriment de la dynamique commerciale, les gestionnaires publics devraient veiller à l'intérêt de l'entreprise dite publique même si l'Etat en est propriétaire. La dominance publique ne devrait pas durer Cela étant, la dominance du statut public ne devrait pas perdurer longtemps. Détenant 51% des parts de Djezzy, l'Etat via le FNI pourrait envisager de se retirer de la société, au profit d'opérateurs privés nationaux et dans le respect de la règle 49/51 régissant l'investissement étranger. Un retrait «au fur et à mesure», relèvera Ali Kahlane et qui permettrait le retour à la situation antérieure au rachat de Djezzy et consoliderait la participation privée dans le marché du mobile. Or, une telle perspective avait été déjà envisagée lors du lancement du processus avant que les pouvoirs publics ne décident d'acquérir directement (via le FNI) la majorité du capital de Djezzy, répondant à des considérants politiques. Comme ce retrait pourrait s'expliquer par la survenance de «problèmes» entrepreneuriaux, observe Younès Grar. Ainsi, les deux partenaires (le FNI et Vimpelcom) pourraient envisager de céder leurs parts, selon certaines procédures et dans le respect de la règle 49/51, à des opérateurs privés. Des repreneurs, au demeurant, de droit algérien, considère-t-on. Or, supputée ici et là, la cession des parts du FNI à un opérateur leader du marché français reste loin d'être évidente, conformément à la règle en vigueur. Et cela même si le lancement de la téléphonie mobile de quatrième génération (4G), annoncé par la ministre de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication pour les prochains mois et qui concerne les trois opérateurs nationaux, pourrait être ouvert de manière conditionnée à l'intérêt étranger. Quid de la 4G mobile ? Concernant justement la 4G, l'expert Ali Kahlane estime que son lancement ne pourrait s'opérer aussi aisément. Et ce dans la mesure où les équipements consentis par les trois opérateurs mobiles pour la téléphonie mobile de troisième génération (3G), lancée dès décembre 2013, ne sont pas encore bien amortis. Mais aussi, le retour sur investissement attendu par les trois opérateurs et à même d'assurer de «la visibilité» n'est pas évident. Exprimant un avis différent, le professionnel Younès Grar estime que le lancement de la 4G est possible. Et ce, en arguant que les opérateurs actuels sont en mesure d'offrir ces services innovants et que les équipements actuels peuvent être optimisés et se déployer pour la 4G. Mais à la condition express d'accélérer le processus global (rédaction des cahiers des charges, lancement de l'appel d'offres, réception des offres, évaluation et sélection des attributaires...). Voire, il s'agira d'éviter les atermoiements et les lenteurs qui ont marqué l'opération 3G... La 3G enregistre déjà un boom Cela étant, cette opération qui a été lancée en décembre 2013 suscite déjà un fort engouement, dans la mesure où l'Algérie comptera quelque 3 millions d'abonnés 3G pour les trois opérateurs concernés d'ici la fin de l'année, assurera Younès Grar. Un résultat positif, atteint en moins d'une année et venant a contrario des prévisions officielles, notamment celles du ministère sectoriel et de l'Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT) qui considéraient qu'il faudrait quelques années (de 3 à 5 ans) pour atteindre ce nombre de 3 millions d'abonnés. Or, et en dépit des quelques insuffisances, la forte expansion de la 3G notamment chez les abonnés de Djezzy, l'attrait croissant des Algériens pour les TIC et l'offre régulière et diversifiée de nouveaux services et applications ont stimulé, boosté le marché domestique de la téléphonie mobile et de l'Internet comme ils ont permis de consolider la situation financière des trois opérateurs. Le marché du mobile se porte très bien Un marché qui se développe très bien et qui se portera mieux», un marché «prometteur», considère Younès Grar, optimiste. A charge néanmoins que ce marché «soit bien régulé» et que les règles de la concurrence saine s'appliquent. Abordant la situation de la téléphonie mobile qui a été confortée par la régularisation de la situation de Djezzy, le président de l'AAFSI note l'expansion du marché des smartphones, tablettes et autres appareils mobiles permettant l'accès à Internet grâce à la 3G. Ainsi, le nombre d'internautes a crû de 40%, soit une vingtaine de millions de personnes selon Ali Kahlane qui constate également que le nombre de «connectés» a augmenté à 3,5 millions de personnes. Une expansion que le lancement de la téléphonie fixe de quatrième génération (4G -LTE) et qui a suscité l'engouement de 6 000 entreprises et quelques particuliers a également favorisée. Et ce, même si les conditions de commercialisation de cette 4G «hybride» doivent être revues, estime le président de l'AAFSI, dans la mesure où elles sont limitées en termes de débit et ne sont pas «viables» à terme. Notons également que Mobilis a vu son parc abonnés augmenter de 18%, avec près de 224 000 abonnés tandis que Ooredoo a bénéficié d'une augmentation de 430 000 nouveaux abonnés entre la fin 2013 et le premier trimestre 2014, selon une estimation d'une association internationale. Quant à Djezzy, il a enregistré dès juillet dernier l'arrivée de 60 000 nouveaux abonnés, selon la même source.