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L'Etat Islamique : un des multiples avatars du projet du Grand Moyen-Orient des néo-conservateurs américains Le GMO analysé à travers des cas concrets (2e partie)
Le GMO, dans l'esprit des néo-conservateurs américains, auxquels l'ensemble du monde occidental s'est joint — en qualité de sous-traitant — ne s'arrête pas à ce que nous appelons classiquement le Moyen-Orient : pour les idéologues américains, il comprend les 22 pays membres de la Ligue arabe et cinq autres pays musulmans non arabes (Iran, Pakistan, Afghanistan, Bangladesh et Turquie). Le GMO comprend aussi Israël, auquel les néo-conservateurs avaient fixé la mission fondamentale d'être la tête de pont du monde occidental dans la région, et de par sa suprématie militaire indéniable, de gardien vigilant des intérêts américains. Certains ont poussé plus loin la géographie du GMO pour l'étendre aux pays du Sahel qui présentent les mêmes caractéristiques que les pays du Proche, Moyen et Extrême Orient musulman : immensité géographique, richesses du sous-sol, religion musulmane majoritaire et régimes politiques non démocratiques. Officiellement, il s'agissait d'amener progressivement tous les Etats de la région à adopter — volontairement — des réformes sociopolitiques pour démocratiser leurs régimes et rejoindre ainsi le «monde démocratique libre». Il s'agissait aussi de créer une véritable zone de coopération dans tous les domaines entre les membres de cette zone et le monde occidental. Le projet de GME ou GMO fut formellement adopté, sous le nom de «Partenariat pour le progrès et un avenir commun avec le Moyen-Orient élargi et l'Afrique du Nord», lors du sommet du G8 à Sea-Island, en Georgie, aux Etats-Unis, en juin 2004, par tous les dirigeants du G8, et seulement six pays appartenant au GMO (Afghanistan, Bahreïn, Yémen, Jordanie, Turquie, et... l'Algérie). Dans la majorité des cas, les Etats concernés avaient rejeté le projet GMO. Certains de manière virulente (Libye, Egypte, Syrie...) mais la majorité ne fit que traîner les pieds. Les pays composant cette majorité ne voulaient pas, ou ne pouvaient pas, s'opposer frontalement à l'Administration américaine. Ils se mirent donc en position d'attente pour mieux voir venir et pour prendre la bonne décision, au bon moment. En fait, les pouvoirs en place dans la région ne pouvaient pas accepter d'abandonner ainsi toutes les positions acquises et les avantages que leur donnait leur situation de domination absolue de leurs pays par un clan, une famille, un parti/Etat, etc. La démocratie de type occidental ne pouvait, en réalité, arranger aucun des despotes à la tête des Etats de la région, y compris tous ceux, et ils étaient nombreux, qui étaient des alliés indéfectibles de l'Oncle Sam (égypte, Arabie Saoudite, émirats du Golfe, Maroc, etc.). Pour faire traîner son adoption et son application, les Etats réticents avaient donc accusé le projet, directement ou par sous-entendus, d'être le fer de lance de l'ingérence impérialiste américaine et de ne servir que les intérêts du quatuor de tête de néoconservateurs américains : Bush, Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz et... Israël. Le projet GMO doit, en fait, être analysé comme une tentative de dépecer les Etats trop importants et trop «puissants» de la région, pour en faire une constellation de petits Etats, construits sur des bases ethniques et/ou religieuses, qui n'auraient entre eux que des relations de méfiance et/ou de belligérance. Pour les néo-conservateurs américains, il n'était pas question de construire un espace géopolitique pacifique et harmonieux. Le virus de la division et des intérêts contradictoires devait être implanté durablement et surtout entretenu. Pour cela, tous les moyens sont bons : y compris faire jouer les nombreuses forces de division qui traversaient toutes les sociétés concernées. Officiellement le projet est rapidement tombé en désuétude, vu le manque d'empressement de la majorité des Etats concernés, et suite surtout aux conséquences tragiques de la guerre d'Irak. Mais aujourd'hui encore, ses effets continuent. L'Administration Obama, pourtant idéologiquement très éloignée des néoconservateurs, tire avantage de l'application du plan qui a transformé profondément la géopolitique de la région, comme le montre l'exemple des «Printemps arabes». Quelle que soit la nature — spontanée ou provoquée — des évènements, ce qui s'est passé en Tunisie (premier domino qui a fait tomber les autres) mais surtout en Egypte, en Libye, au Yémen, et maintenant en Syrie, est en droite ligne du projet GMO et en est une conséquence presque directe. L'implosion programmée de l'Irak Après la guerre en Afghanistan, déclenchée suite aux attentats du 11 septembre 2001, l'Irak fut attaqué à son tour, unilatéralement par les Américains et leurs alliés en 2003. Le puissant Etat qu'il était a été totalement détruit et son unité territoriale n'est aujourd'hui plus garantie. Le pays se trouve en état de guerre civile avec l'exacerbation de l'antagonisme chiite/sunnite, alimenté par les actes terroristes d'abord d'Al Qaïda dans la Péninsule arabique (moribonde depuis la mort de son chef El Zarkaoui) puis de l'EIIL d'Aboubakr El Baghdadi qui mène une guerre d'invasion et d'expansion, qu'il veut à l'image des «foutouhate» du premier Etat islamique. Jusqu'en 2013, l'Irak a fonctionné sous un statut bizarre d'Etat central qui n'avait presque aucun pouvoir en dehors de Baghdad. Pouvoir aux mains d'un autocrate chiite (Nouri El Maliki) qui au lieu de s'atteler à construire un Etat viable, multiconfessionnel et multiculturel a passé le plus clair de son temps à combattre et marginaliser la minorité sunnite et se confronter aux Kurdes qui avaient déjà pris leur distance avec le pouvoir central de Baghdad. On comprend pourquoi son armée a décampé face aux hordes de Daech qui ont pu s'emparer sans peine de près d'un tiers du territoire irakien. Dès la chute de Saddam Hussein, les Américains ont réussi à sécuriser les régions pétrolières d'Irak — cause principale de l'invasion américano-occidentale de 2003. C'est le cas de la région «pro- américaine» du Kurdistan, devenu un territoire pratiquement indépendant du gouvernement central. C'est aussi le cas, bien que différemment, de la région de Bassora qui est moins sécurisée (nombreux attentats de djihadistes), mais qui est restée en totalité entre les mains des sociétés pétrolières occidentales. La guerre menée par la coalition internationale contre Daech en Irak et en Syrie aboutira certainement à la défaite de ce dernier (même s'il faudra pour cela envoyer des troupes au sol pour soutenir, armer et former l'armée irakienne, les peshmergas irakiens, les Kurdes de Syrie et, bien entendu, l'Armée libre syrienne). Mais le mal est déjà fait. Un retour en arrière est impossible. Le scénario yougoslave est en marche. L'Irak retrouvera peut-être un jour une stabilité politique et sécuritaire, mais elle sera toujours aléatoire. Il ne sera jamais plus un Etat unitaire puissant, comme il l'avait été sous Saddam Hussein. L'avenir et la stabilité du pays ne sont donc pas du tout roses. Ce qui peut encore lui arriver de mieux, c'est de se transformer en une fédération de trois Etats (un Etat chiite, un Etat sunnite et un Etat kurde). Mais ce n'est pas encore gagné. Pour un temps encore très long, l'Irak payera le prix cher voulu par les néoconservateurs américains et leur avatar : le GMO. Les» printemps arabes» et leurs conséquences sur les Etats de la région Ce n'est pas ici la place pour philosopher sur le caractère spontané ou provoqué des évènements qui ont conduit aux «printemps arabes». Il nous suffit d'observer ce que les Etats qui sont passés sous le filtre des «printemps arabes» sont devenus, pour comprendre que les objectifs initiaux de GMO sont loin d'avoir été abandonnés par les tenants de l'asservissement total de la région aux seuls intérêts de l'Occident, en général, et des Etats- Unis, en particulier. En dehors de l'Irak qui constitue un véritable cas d'école, les cas les plus significatifs sont, bien entendu, la Libye de Mouammar El Kadhafi, le Yémen d'Ali Abdallah Saleh (et de son remplaçant, Abd Rab Mansour Hadi), et aujourd'hui, la Syrie des Assad. Mais avant cela, il serait peut-être intéressant de traiter des cas de la Tunisie et de l'Egypte, les deux Etats précurseurs en matière de «printemps». Contrairement à l'Irak et à la Libye, la Tunisie et l'égypte ne présentaient pas le caractère «d'Etat hostile» vis-à-vis des Etats-Unis. Tous les deux étaient bien intégrés dans le dispositif global mis en place par les Américains pour ne jamais attenter aux intérêts géostratégiques occidentaux dans la région. Que ce soit avec Zine El Abidine Ben Ali ou avec Hosni Moubarak, il n'y avait pas de danger immédiat qui pouvait remettre en cause le statu quo en place dans la région, totalement dédié à la sauvegarde des intérêts stratégiques américains. Les égyptiens avaient signé des accords de «paix» avec Israël sous la houlette américaine et les respectaient à la lettre. Y compris en participant au scandale absolu du blocage de la bande de Gaza par Israël et en fermant le seul passage (Rafah) permettant au peuple gazaoui de s'approvisionner en denrées et produits de toutes sortes. L'égypte — ainsi d'ailleurs que la Tunisie — ne constituait donc pas une priorité du GMO. Mais c'était compter sans l'irruption des masses populaires, fatiguées par les effets des régimes dictatoriaux en place et criant haut et fort la fameuse formule «DEGAGE !» ou son équivalent arabe «IR'HAL !». Il semble que les Américains (l'Administration Obama, qui avait pris la relève des néo-conservateurs et, qui sans le dire, continuait leur stratégie hégémonique), ne pouvant s'opposer au mouvement de fond qui venait d'éclater, ont laissé faire et cherché à le récupérer. C'était le moment pour eux d'expérimenter une autre stratégie qui, tout en répondant aux revendications populaires de ces pays, continuerait de sauvegarder leurs intérêts. Tester des régimes islamistes au pouvoir. L'islamisme n'a en fait jamais été l'ennemi de l'Occident : pour s'en convaincre, il suffit de voir comment les Etats-Unis se sont toujours accommodé des régimes saoudiens et de ceux du Golfe qui, pourtant, appliquent rigoureusement la doctrine wahhabite. Le seul islamisme que les Etats-Unis considèrent comme ennemi mortel, c'est le djihadisme. Celui qui avait été à l'origine des attentats du 11 septembre 2001. L'expérience aidant, l'Administration américaine a compris que l'islamisme non djihadiste était fréquentable et pouvait très bien servir ses intérêts de la même manière, sinon mieux, que les dictatures en place. Les Américains sont profondément persuadés que le parti tunisien d'Ennahda et le mouvement égyptien des Frères musulmans, même hégémoniques après les élections qui les ont portés au pouvoir, ne fonderont pas des Etats hostiles. Les Frères musulmans égyptiens, par exemple, malgré leurs rodomontades et leurs déclarations enflammées contre le sionisme, s'accommodent très bien des accords passés avec Israël et ne sont pas près de les dénoncer et de remettre leur pays en état de conflit avec l'Etat hébreu. Ce ne sera que si les choses évoluent négativement pour les Américains, que la machine à broyer se remettra en marche. Même avec Barack Obama comme président. Les Frères musulmans égyptiens se sont comportés en piètres politiques : ils voulaient tout et tout de suite ; un peu à la manière des islamistes turcs de Necmettin Erbakan (du parti Refah) qui avaient pris le pouvoir par un vote du Parlement en décembre 1995 et voulaient «tout, maintenant». C'est-à-dire détenir tous les pouvoirs, y compris pour instaurer la charia contre le dogme kémaliste de la laïcité. La réponse de l'armée ne s'est pas fait attendre : elle mit la pression sur Erbakan et le poussa à la démission le 30 juin 1997, après seulement 18 mois de pouvoir. Elle fit aussi interdire (par la justice) son parti, le Refah. ` En égypte aussi, c'est l'armée, sous la conduite du maréchal Abdelfatah al-Sissi, qui fit un coup d'Etat au président élu Mohamed Morsi, le mit en prison et organisa de nouvelles élections qui portèrent le chef militaire à la présidence. Tout cela sous l'œil amical, bien que vigilant, des Etats-Unis d'Amérique. Ni Morsi ni al-Sissi ne sont des ennemis des Etats-Unis ; chacun d'eux s'est engagé à respecter les accords passés avec Israël. Si Barack Obama a laissé faire al-Sissi, c'est qu'il avait jugé que celui-ci représentait mieux la modernité et n'était pas prisonnier d'une idéologie islamiste qui pouvait, un jour ou l'autre, devenir dangereuse pour son allié principal dans la région, à savoir Israël. R. G. Demain, 3e partie : «Les cas libyen, yéménite, syrien et iranien»