Par Kamel Bouchama, auteur Il n'y a pas eu de passage à vide dans notre Histoire. II n'y a jamais eu de répit. Chaque siècle et chaque période, qu'a connus l'Algérie, ont eu leur part d'événements et leurs hommes. C'est à travers ce climat que notre peuple, depuis Massinissa jusqu'à Larbi Ben M'hidi et tant d'autres, en passant par l'Emir Abdelkader, a été habitué à combattre en permanence. II l'a fait, hélas, par nécessité, parce qu'il était contraint de se défendre contre des invasions multiples et, plus tard, contre cette colonisation oppressive du régime français. Il l'a fait parce qu'il voulait sauvegarder son unité, protéger son identité et réaliser l'ébauche d'une nation libre de développer sa civilisation autonome. Faisons la rétrospective de notre Histoire ancienne Parler uniquement du 1er Novembre dans cet écrit, sans évoquer le combat du peuple algérien depuis l'avènement des temps jusqu'à la récente lutte armée qui nous a permis de recouvrer notre souveraineté nationale, c'est débiter des «moments» pourtant forts, avec une certaine monotonie. Ne pas faire état de cette riche expérience d'un long passé, c'est conter l'Histoire d'un peuple qui a été confronté à son destin avec beaucoup de désinvolture... jusqu'à ce qu'elle paraisse aux yeux des jeunes une Histoire sans saveur, sans âme et, peut-être, sans «ressources». C'est pour cela qu'en ce 60e anniversaire de ce jour mémorable de novembre 1954, il est indispensable, pour comprendre la nécessité et la légitimité de cette décision des «22», confirmée par les «Six», de faire la rétrospective de notre combat – pendant des siècles – pour la défense de nos valeurs et la libération de notre pays des affres de l'avilissement. Il faut dire à nos enfants que des jeunes, toujours des jeunes – qui ont été quelquefois souillés et malmenés par le temps et les hommes qui n'ont pas su transmettre leur message et raconter leur courage – ont été à l'avant-garde de toutes les initiatives et à la pointe du combat pour les constantes qui ont rythmé notre Histoire, dont le goût de l'indépendance, de l'unité et la soif de justice sociale. Ces jeunes, dont l'ardeur et la foi n'ont pu être entamées, ont toujours utilisé leur intelligence et leur habileté dans l'immensité de notre territoire, comme une influence souvent décisive. Massinissa et ensuite Jugurtha ont montré leurs véritables capacités de guerriers et de grands chefs du temps où notre pays subissait plusieurs invasions ainsi que les lois des nouveaux arrivants. Ils leur ont opposé une longue et farouche résistance, traduction fidèle de leur refus à l'envahisseur. Vinrent après les Takfarinas et Mazippa qui, pétris d'une audace singulière, menèrent le pays, comme leurs aînés, vers de grands succès guerriers. Alors, ce n'est pas tant la durée du colonialisme, ni même sa violence, qui ont fait réagir ce peuple de combattants, c'est plutôt son amour inné de la liberté et sa fierté d'appartenir à cette race ethniquement pure qui ne lui permettaient pas d'accepter si facilement des étrangers chez lui et qui l'engageaient à lutter constamment pour sa souveraineté et son indépendance. Plus de quatre siècles de colonisation n'ont rien changé en lui, même si l'Empire romain «a imposé aux peuples domptés, non seulement son joug mais encore sa langue», comme le confirmait Saint-Augustin, notre Berbère de Thagaste (Souk-Ahras). Effectivement, cette force n'a rien changé dans notre pays. Elle n'a absolument rien changé, puisque quand l'armature romaine devait craquer sous le poids des insurrections répétées, il est apparu au colonisateur, comme l'écrivait C. A. Julien : «Combien la romanisation était superficielle et son extension limitée et que les Berbères, même romanisés, ne furent plus des collaborateurs mais des sujets qui aspirèrent à secouer la tutelle du maître.» Ainsi, «le péril berbère», comme l'appelaient injustement les Romains, allait en s'amplifiant chaque fois qu'il y eut des visées expansionnistes à l'encontre de notre pays et de jeunes chefs — nous revenons bien-sûr à eux — portèrent l'offensive jusqu'a la victoire. Déjà maîtres en ce temps des Maurétanies tingitane, césarienne et sétifienne, ainsi que de la Numidie méridionale, ils partirent dans le Sud, sous la conduite d'Antalas, exercer leur influence et vaincre les Vandales dans leur dernier retranchement. Un peu plus tard, d'autres Berbères de Tripolitaine, des grandes tribus des Nafoussa, se soulevèrent pour donner le coup de grâce à ceux qui restaient parmi les colonisateurs. C'est dire que notre Histoire a été, pendant des siècles, une perpétuelle riposte contre l'hégémonie étrangère. Même du temps des Byzantins et de leur «politique» qui feignait de faire disparaître les traces des Vandales, en œuvrant pour la restitution des églises aux catholiques et les terres à leurs véritables propriétaires, c'est-à-dire aux authentiques enfants du pays, nos populations n'ont jamais cru en cela et ont combattu la violence et la spoliation qui accompagnèrent le soi-disant rétablissement de l'ordre. Plus tard, ce fut la coalition de toutes les tribus contre les Byzantins, une guerre où Berbères sédentaires et nomades s'étaient regroupés et unis pour asséner des coups sérieux aux ennemis dans la plupart des régions où ces derniers montraient des velléités belliqueuses, jusqu'à ce que l'Islam pénètre cette région du Maghreb, non sans réticences, mais en tout cas plus rapidement et sans grand heurt comme ce fut le cas du christianisme. Car, contrairement à l'Eglise qui fut persécutée par les Romains et plus encore par les Vandales, ensuite dévoyée par les Byzantins à cause de leurs nombreuses querelles religieuses, l'Islam n'a pas dépêché de monarques aux idées hégémoniques comme l'a fait l'empereur Justinien. L'Islam s'est adressé aux puissantes tribus des Sanhadja, Koutama, Masmouda, Zenata et Nafoussa par le biais de chefs pieux qui ont lancé des campagnes de conviction dans un langage bienveillant. La conquête musulmane, comme le disait Blasco Ibanez, «n'était pas une invasion qui s'imposait par les armes, c'était une société nouvelle qui poussait de tous côtés ses vigoureuses racines...» Avec l'avènement de l'Islam, notre pays ressemblait à une mosaïque où fleurissaient les dynasties et les royaumes, abritant un peuple farouchement imbu de sa personnalité et jaloux de son unité et de son indépendance. Notre pays, puissant à l'époque, se reconnaissait dans la dynastie des Rostomides (776-909 apr. J.-C) qui ont choisi Tagdempt, à côté de Tihert (Tiaret), la capitale des Banou Rostom au VIIIe siècle et, par voie de conséquence, selon la chronologie de l'Histoire, capitale du premier Etat musulman du Maghreb. Cette même ville sera choisie ensuite, des siècles après, pour être la capitale militaire, politique, économique et culturelle de l'Etat de l'Emir Abdelkader de 1836 à 1841. Notre pays se reconnaissait également dans les dynasties des Fatimides (908-972), des Zirides (972-1148) et dans celle des Hamadites (1107-1152), cette dernière a constitué le premier Etat berbère de l'Afrique musulmane, ensuite dans les non moins célèbres dynasties des Almoravides (1052-1147) et des Almohades (1121-1235) et, plus tard, dans celles des Hafsides (1230-1574), Zianides (1235-1556) et Merinides (1258-1465). Il faut dire également aux jeunes que sous le règne des Fatimides, nos Algériens ne sont pas partis au Caire pour la conquérir et en faire une place fortifiée pour des visées hégémoniques dans la région. Ils sont partis, fièrement, pour construire El Qahira, Le Caire, cette belle capitale du monde arabe et musulman, ensuite El Azhar qui demeure, jusqu'a nos jours, l'un des fleurons qui témoigne du grand dynamisme culturel et religieux de cette époque et, on ne le dira pas assez, de nos ancêtres. II faut leur dire encore ce qu'étaient ces derniers, ce qu'étaient leurs grands chefs comme Abderrahmane Ibn Rustom, Bologhine Ibn Ziri Ibn Menad, Abdellah Ibn Yacine, Yusuf Ibn Tachfine, El Mahdi Ibn Tumert, Abdelmoumen Ibn Ali El-Koumi et autres Yaghmoracen, Ibn Ziane. Il faut leur enseigner la valeur et les constantes de tous ces chefs qui, malgré des difficultés qui ont souvent bouleversé leurs structures et leur règne, s'étaient distingués d'une façon particulière en créant l'unité politique dans tout le Maghreb d'une manière effective et en permettant a l'Islam d'être pratiqué dans son contexte de sérénité, loin des conflits spirituels que provoquaient d'autres écoles et dont l'essence n'était autre que la course pour le pouvoir temporel. Cependant, après le charme et la magnificence de ces dynasties, l'autorité et l'influence de ces royaumes, vint le déclin qui était la résultante d'une période de tourments à cause de beaucoup de rivalités et de déchirements entre les gouvernants, une situation qui fut, bien entendu, exploitée par l'extérieur. Cette désagrégation des pouvoirs, après que les tenants des différents régimes aient consommé cet acquis précieux : l'unité du pays, encouragea les offensives étrangères et, en quelques années, l'Espagne s'était rendue maîtresse des principaux points du littoral sur lesquels elle pouvait s'appuyer pour conquérir l'Algérie. Cela est intervenu après la chute de Grenade en 1492. Mais comme toujours, et malgré la faiblesse conjoncturelle qui caractérisait ce qui restait de nos splendides royaumes, nos populations s'étaient lancées dans une résistance contre le nouvel occupant, sans se soucier des visées colonialistes des Turcs, visées enrobées de cette aide, pour le moins pernicieuse. Ces mêmes Turcs qui avaient, au départ, le statut d'alliés et même... d'amis, parce qu'ils ont brillé en secourant les musulmans d'Andalousie, et devaient soutenir la riposte de nos combattants contre les incursions étrangères, devinrent malheureusement les maîtres d'Alger et de certaines villes du littoral. C'est ainsi que la mort de Arroudj, Kheir Eddine, l'un des frères Barberousse, lia le sort de notre pays à l'Empire ottoman, à l'époque du Sultan Selim 1er, qui le nomme Berlerbey à Alger. Là aussi, les différentes formes de gestion du pouvoir n'ont pas satisfait nos populations qui se sentaient oppressées par le poids des impôts et blessées par le favoritisme entretenu par les Turcs. Ainsi, plusieurs soulèvements ont eu lieu. Les causes résident dans le fait que les représentants de l'Empire de Constantinople s'étaient ligués avec des commerçants juifs et européens dans le but de s'imposer au niveau de l'économie algérienne. II est certain que l'Algérien refusait cette forme de colonisation et encore plus, cette autre plus abjecte, qui essayait de conquérir le pays par la force, comme l'attaque de Charles Quint qui a été repoussée héroïquement. Ce dernier y laissa des plumes : 37 000 soldats à la tête d'une armada de 516 bateaux, aidés par les chevaliers de Malte, ont dû se souvenir de ce fameux 3 novembre 1541 où des Algériens, plus aguerris que jamais, ont donné une leçon de résistance et de courage à celui qui pensait prendre Alger si facilement. Cette victoire éclatante n'a pas endormi le peuple qui, de refus en refus, contre les tenants du régime ottoman, a fini par consolider l'union salutaire entre Berbères et Arabes. Ainsi, l'autorité des Deys ne s'étendit qu'au sixième de l'Algérie actuelle. Les historiens confirmaient cela en écrivant : «Le gouvernement turc, quelle que fût son habileté, ne réussit jamais à tenir le pays.» Bien plus tard, pendant la décadence des Ottomans à Alger, la France, endettée auprès de la Régence et subtilement conseillée par le consul Deval, eut recours à un subterfuge pour sauver son prestige et se créer un alibi pour d'éventuelles expéditions contre l'Algérie. Il y a eu ce «fameux coup d'éventail du 30 avril 1827». En réalité, elle voulait, selon son programme expansionniste, prendre une autre colonie dans le Continent africain, une colonie plus riche. Nous avons à l'esprit cet article du «Courrier anglais» du 26 juin 1830 et qui confirme aisément nos dires : «Les Français vont acquérir un Etat qui offre des ressources considérables... Peut-être n'y a-t-il pas un endroit mieux choisi pour débarrasser la France de la partie mécontente de sa population...» En réalité, l'idée de conquérir l'Algérie venait de si loin, du temps de Napoléon Bonaparte, en 1782, lorsqu'il avait pris l'île de Malte. Et depuis, commençait le plan de conquête jusqu'au 16 juin 1827 où le blocus sur les côtes algériennes a été décidé par la France au moment où la quasi-totalité de la flotte algérienne se trouvait en Grèce. Le premier débarquement de troupes françaises eut lieu à Sidi Fredj, le 19 juin 1830, le deuxième le 5 juillet, quelques jours après, avec 40 000 hommes, pour laver soi-disant cet affront de l'éventail. La France voyait ainsi la punition. Mais une farouche résistance lui a fait subir des pertes considérables, le cinquième de ses troupes. Mais est-ce le «coup d'éventail» qui nous a imposé cette oppression ? Cependant, si par la suite le résultat en fut autrement – c'est-à-dire l'occupation du pays –, c'est parce que la France a utilisé, plus que les envahisseurs que nous avions connus avant elle, des procédés autrement plus barbares que n'ont jamais vécu les Algériens depuis leur existence. Ses attaques étaient beaucoup plus sauvages que ne l'ont été celles de l'escadre anglaise de Lord Exmouth, celles de l'amiral Van Cappelen qui lança à partir du port d'Alger 34 000 obus (1816) ou celles de l'amiral Neal. De plus, la France avait trahi les accords qu'elle avait signés avec les beys d'Oran et de Tunis et fomenté des complots contre le bey de Constantine. Cela entrait en droite ligne dans sa stratégie pour occuper rapidement les régions qui lui étaient difficiles. Elle avait ensuite trahi le traité qu'elle avait signé avec l'Emir Abdelkader, celui de la Tafna du 3 juin 1838 et son armée, qui n'avait rien à envier aux hordes vandales et mongoles, n'a épargné ni son trésor ni sa riche bibliothèque. Abdelkader Ibn Mahieddine qui fut proclamé émir très jeune, à 23 ans, comme le fut – responsable – bien plus tard, Mohamed Belouizdad à la tête de l'OS, a su démontrer des capacités de grand guerrier et de grand stratège dans les fameuses batailles qu'il a livrées avec ses soldats contre les envahisseurs. Elles étaient nombreuses ces confrontations où les généraux français ne savaient plus où donner de la tête et perdaient le contrôle de leurs troupes. L'Emir répondait toujours avec détermination à toutes les attaques, et ce n'est pas l'Histoire, falsifiée et remodelée dans certaines officines, qui démontrera le contraire ou atténuera le nationalisme par lequel avait brillé notre héros national. Même ses ennemis reconnaissaient en lui la force de caractère, l'intelligence et surtout l'autorité qu'il exerçait sur l'ensemble des tribus. Le général Drouet d'Erlon ne reconnaissait-il pas cette détermination chez les Algériens, sous l'autorité de l'Emir : «Les Arabes ne consentiraient jamais à vivre sous le joug des chrétiens : si la France voulait les y maintenir par la force, ce serait entre elle et eux des guerres interminables.» D'autres généraux, Clauzel, Trézel et consorts..., célèbres par leur comportement odieux, ont été frappés de stupéfaction et d'admiration devant l'ingéniosité et la virtuosité de l'Emir, depuis le début de la résistance jusqu'à «l'événement» où hélas, il fut contraint d'abdiquer devant la sauvagerie, la traîtrise et le mal incommensurable qu'endurait le peuple algérien, pendant ces quelques années de guerre. Effectivement, le peuple a subi des affres que d'aucuns ne pouvaient supporter. Le 6 avril 1832, le général Rovigo dirigeait une opération, pire un génocide, où 12 000 Algériens ont connu une fin atroce. Lui-même, cet officier supérieur, décrivait ces monstruosités en se targuant de revenir d'une opération punitive avec des trophées de guerre : des têtes tranchées et accrochées sur des lances, des membres arrachés, des mains de femmes coupées et encore ornées de bijoux... Tout cela a été exposé à la rue Bab Azzoun ! Le général Savory, ancien préfet de police de Napoléon 1er, recommandait à ses soldats, dans un style lapidaire : «Des têtes !» Un autre, le colonel de Montagnac disait avec beaucoup de mépris et de cynisme : «Selon moi, toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être pris, saccagé sans distinction d'âge ni de sexe : l'herbe ne doit plus pousser où l'armée française a mis le pied.» Quant au maréchal Saint-Arnaud, ce sanguinaire qui n'avait rien à envier à Tamerlan, le barbare, il écrivait en ces termes à son frère : «Les beaux orangers que mon vandalisme va abattre. Que ne puis-je t'envoyer cette forêt-là à Noisy. Ta femme serait bien heureuse. Je brûle aujourd'hui les propriétés et les villages de Bensalem et de Belkacem Oukaci... Tu peux dire à Rousset que j'ai beaucoup détruit et brûlé. II a raison de me traiter de Goth et de Vandale.» De cela l'Histoire de France n'en dit mot, mais notre peuple se souvient. Après l'Emir vinrent différentes insurrections Pour répondre à cette barbarie, nos combattants se distinguaient loyalement dans des combats contre les soldats de l'armée française. Indépendamment des batailles de la Macta et de Mazagran, d'autres ont opposé nos vaillants soldats aux envahisseurs à Larbaâ Nath-Irathen, à Boufarik, à Mostaganem et dans les environs d'Oran en janvier 1840, à Miliana contre le maréchal Vallée et le général Bugeaud en février de la même année. Constantine résista longtemps et Ahmed Bey donna l'exemple par son courage. «Sachez que la mort sous les remparts de Constantine vaut mieux que la vie sous l'autorité française», répondaient les jeunes combattants au commandement des forces coloniales qui leur demandait la reddition. Blida et Médéa ont résisté sous le poids de l'horreur du sinistre Clauzel. Icheridene, en Kabylie, a défié le maréchal Randon, en 1857, sous la bannière de l'héroïne Fatma n'Soumer qui, par sa bravoure et sa dignité, a donné de grandes leçons à cette armée d'envahisseurs aux méthodes répressives. Cela n'a pas suffi bien sûr, pour convaincre les Français de la justesse de notre cause car, en 1860, deux cent mille colons dépossédèrent les Algériens des meilleures terres et s'installèrent de force, à leur place, et en 1864, la France opposa cent mille hommes au soulèvement des Ouled Sidi Cheikh, dans le Sud oranais. Le peuple algérien, conscient du danger qu'il encourait, après que tant de généraux, experts en barbarie, ont démontré ce dont ils étaient capables, s'était organisé d'est en ouest, à partir de 1871, pour généraliser le combat et faire subir de grandes pertes au colonisateur. Cette évolution, au plan militaire, n'a pas manqué de mettre en valeur la conscience politique qui allait se concrétiser en organisant des jeunes et des moins jeunes, dans des formations locales et déboucher ensuite sur ce que nous pouvons appeler les prémices d'un mouvement national pour la libération du pays. D'ailleurs, un officier français ne disait-il pas devant la commission parlementaire qui enquêtait sur les «dépassements» de l'armée coloniale : «Le sentiment national, dont ce serait une erreur de croire qu'il a disparu en Algérie, suffit à expliquer la révolte»?... Cheikh Ahaddad (El Haddad) eut cette résolution pour mener le soulèvement de 1871. Il prit le maquis. Le 15 mars 1871, toujours respectueux des formes, le bachagha El Mokrani, celui qui avait déjà soutenu la révolte du cheikh Bouakaz, un proche de son père, en 1864-1865, écrivait au général Augeraud et au capitaine Olivier pour leur redire qu'il n'obéira pas à la France et les informer : «Je m'apprête à vous combattre, que chacun aujourd'hui prenne son fusil.» Il fait couper les poteaux du télégraphe, la conduite d'alimentation d'eau et déploie environ 15 000 hommes autour de Bordj-Bou-Arréridj. Le même jour, l'offensive était également lancée par les Hachem, dirigés par Ahmed Boumezrag, le frère du bachagha. El Mokrani se réfugie dans les montagnes et s'allie à cheikh Ahaddad, à la tête de 100 000 hommes qui viennent d'entrer dans la guerre sainte en une quinzaine de points entre Alger et Collo. Le 8 avril, cheikh Ahaddad lançait à Seddouk son appel au «djihad» et toutes les tribus de la Mitidja à Skikda répondirent à son appel. Tous les postes français en Kabylie étaient attaqués. Des groupes de partisans marchèrent sur Batna et Sétif. En fait, c'était une révolution armée doublée d'une révolution politique. En son temps, la zaouïa Er-Rahmania s'était chargée de balayer le pays de l'Est au Centre – de Tébessa, Souk-Ahras jusqu'à la Mitidja – et d'installer des noyaux de jeunes dans chaque région qui s'occuperaient de la lutte et de la formation politique. Malek El-Berkani, ce héros des Beni-Menaceur, en fit de même dans toute l'étendue du Titteri. II mourut en pleine bataille, à Cherchell, le 13 juillet 1871, non sans avoir fait subir de grandes pertes à l'ennemi. En 1871, l'Algérie, selon Mahfoud Keddache, connut l'insurrection la plus longue et la plus généralisée de toutes celles qui eurent lieu avant la guerre de Libération de 1954. L'insurrection commença avec l'attaque de Souk-Ahras par les partisans de la tribu des Hanencha dirigés par cheikh Keblouti (janvier 1871). Ce fut ensuite le soulèvement de la tribu des Ouled Aïdoun dans le Sud constantinois (février 1871) puis celui des Nememcha et des Ouled Abed, répondant à l'appel de Mahieddine, fils de Abdelkader, venu de Syrie via la Tunisie, aidé par Nacer Benchohra, le révolutionnaire de Laghouat qui le fait rentrer au pays par Oued Souf, pour prendre la direction de l'insurrection et qui dans son appel lu dans toutes les Djemaâs affirmait : «Le moment de votre délivrance est imminent.» Tébessa fut assiégée. Au Sud, les Chaâmba, entraînés par Bouchoucha, s'emparèrent de Ouargla (mars 1871). Les Beni Menaceur, dans la région de Cherchell, engagèrent des batailles contre l'armée française et menacèrent la voie ferrée Alger-Oran. Les Ouled Sidi Cheikh reprenaient la lutte dans le Sud oranais. Plus de 350 combats furent livrés par les patriotes algériens sur un territoire qui allait dans le Constantinois, de la Kabylie jusqu'à Touggourt et Ouargla, dans l'Algérois, de la Mitidja à Cherchell, et dans l'Oranie, il s'étendait sur toute la région saharienne. Les jeunes adhéraient en masse pour repousser le colon... La guerre ne s'était donc par arrêtée, car malgré le relatif échec militaire de cette première grande révolution – celle d'El Mokrani –, Bouamama, un autre héros, soulevait, à son tour, toute la région ouest du pays. Le peuple refusait d'abdiquer et, comme les combattants de Constantine, du temps d'Ahmed Bey, les jeunes de Bouamama, de Ouled Sidi Cheikh, de Ouled Naïl, des Chaâmbas, de Aïn-Salah, décidaient de ne pas lâcher prise et de mourir en héros pour libérer leur patrie. Ainsi, les insurrections – en fait le mouvement national armé – n'ont pas donné de répit à la France. Des grandes batailles jusqu'aux flambées isolées qui venaient pour braver «l'ordre» du colonialisme (celles de Benzelmat des Aurès, Ghomri d'Akbou et tant d'autres), l'Algérie n'a cessé de démontrer l'opposition et la colère de ses jeunes, de ses paysans et de ses travailleurs, en somme, de tout son peuple, un peuple courageux et digne à la fois. 1911. Plus de 200 familles (soit un total de 3 000 personnes environ) ont quitté le pays en même temps, dans un mouvement collectif. A leur tête, le non moins célèbre et vénéré cheikh Benyellès, patron de la confrérie Derqaouia. Elles se sont dirigées vers la Syrie. Certains historiens français ont dit de cette forte émigration de 1911 qu'elle a produit l'effet d'une grave épidémie et d'une épouvante inqualifiable et que la France n'a jamais eu à vivre des moments pareils en Algérie. Egalement en 1911, les jeunes Algériens ne voulaient pas participer à la guerre italo-turque, comme ils ne voulaient pas participer à la colonisation d'un autre pays frère, le Maroc, en 1912, cette colonisation qui est intervenue pendant la fin du règne du sultan Abdelhamid II. 1914. Début de la Première Guerre mondiale. Les jeunes Algériens ne voulaient pas répondre aux convocations de l'armée française. Ces jeunes ont dit non au colonialisme et expliqué, par ce refus, que ce grave conflit, entre plusieurs nations, ne les concernait pas. A cette date apparaissait le premier mouvement de la jeunesse qui servait d'aiguillon et qui s'appelait «Jeunes Algériens». C'était du temps de la «Nahda», ce mouvement de pensée qui a secoué les structures sclérosées du Machreq, depuis le début du XIXe siècle, et qui prônait la renaissance arabe et musulmane par l'acquisition de la science moderne et le retour aux sources de la foi des anciens. 1916. Une autre révolution dans les Aurès. C'était toujours les mêmes jeunes qui refusaient de servir de chair à canon pendant la Première Guerre mondiale. A cette même date également, les troupes françaises étaient obligées de sortir de Djanet à cause des lourdes pertes qu'elles avaient subies. Mais elles retourneront deux années après, bien sûr, pour exhiber leur force avec d'autres méthodes, autrement plus «sophistiquées», démontrant ainsi leur sordide hégémonie. K. B.