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LE DEVELOPPEMENT ET LE BARIL DE PETROLE
Répondre à un besoin ou à un désir ?
Publié dans Le Soir d'Algérie le 11 - 11 - 2014

La baisse du prix du baril de pétrole depuis juin 2014 fait craindre le pire à ce jour beaucoup plus aux analystes qu'aux producteurs, et préoccupe ces derniers, notamment ceux dont l'économie, et même la survie, dépend des recettes de leur mono-exportation, à l'image de l'Algérie, de l'Iran et du Venezuela.
Au-delà des deux dernières décennies, les paramètres fondamentaux étaient l'offre et la demande, le poids et l'action de l'OPEP, et de temps à autre un bouleversement géopolitique régional à conséquence conjoncturelle (guerre, grève, etc.). De nos jours, les experts sont partagés entre :
- une période de baisse conjoncturelle due au contexte économique mondial marqué par une récession presque générale, baisse de la consommation, compétition avec les énergies renouvelables et le charbon, gros efforts d'économie d'énergie dans les pays développés ;
- une période de baisse qui peut se prolonger sur une année ou plus pour les mêmes raisons en l'absence de reprise économique en Europe surtout et l'entrée prochaine sur les marchés de l'énergie de nouveaux acteurs-producteurs de pétrole ou de gaz naturel.
Il s'agit entre autres des productions provenant d'Afrique de l'Ouest, des zones polaires, et bien sûr du cas où les hydrocarbures non conventionnels modifieraient de façon significative la carte de répartition des ressources et des capacités de production, et par conséquent, la carte des échanges à l'échelle mondiale avec la naissance de ces nouveaux acteurs ;
- une période de baisse conjoncturelle pour toutes les raisons précédentes à la base, mais aussi et surtout des bouleversements liés à des objectifs géopolitiques et géostratégiques. On peut citer parmi eux les négociations sur le nucléaire iranien qui durent depuis des années avec un énorme embargo sur l'Iran ainsi que l'éternelle confrontation Moyen-Orient - Iran, la confrontation Venezuela - Etats-Unis qui en est au 3e mandat présidentiel des deux pays, la crise ukrainienne et la confrontation Europe - Etats-Unis contre Russie. Dans chacune de ces situations, l'objectif des embargos est d'affaiblir celui dont l'économie dépend lourdement des hydrocarbures. On constate par ailleurs qu'on ne parle plus beaucoup d'offre et de demande, dans la mesure où presque tous les producteurs produisent un maximum techniquement supportable par leurs capacités. Il en est de même pour la consommation qui augmente de façon globale du fait de la demande croissante aussi bien des pays émergents que des pays producteurs eux-mêmes du fait de leurs efforts internes en matière d'investissements de développement hors hydrocarbures. Les Etats-Unis sont en train de s'auto-suffire, la demande européenne a reculé ces dernières années, mais la demande et la consommation ne cessent d'augmenter en Asie, en Inde, au Brésil, en Russie, et même au Moyen-Orient. On peut aussi citer le cas de l'Algérie dont le taux d'accroissement en consommation énergétique est énorme même s'il ne représente qu'un petit producteur et consommateur. On peut alors se poser deux questions majeures :
- Jusqu'à quand peut durer cette situation baissière ?
- A quel niveau de prix peut baisser le baril ?
Il est certes difficile de répondre à la première question, du fait du nombre d'inconnues à résoudre, et de l'interaction entre elles, mais on peut au moins dire que les paramètres géopolitiques et géostratégiques sont la clef principale en ce moment. Tant qu'il n'y a pas de stabilité et de paix, la reprise économique sera difficile dans un monde aussi globalisé que celui du XXIe siècle. La consommation énergétique peut se stabiliser et reprendre légèrement à court terme grâce aux pays émergents surtout. La situation actuelle peut durer encore des mois ou une année, mais il est vraiment difficile d'en prévoir la durée. Le plus important pour le moment est de tenter d'en prévoir plutôt les conséquences :
- Le baril peut-il atteindre un niveau en dessous du besoin minimal des pays fortement exposés (Algérie, Iran, Venezuela, Irak, Nigeria, Russie), et peut-être même en dessous de son coût de production ? Ce sera alors un baril de misère et de chaos pour les uns et une aubaine pour d'autres, mais aussi un énorme gaspillage au détriment du développement durable ;
- Le baril peut-il aussi atteindre un niveau supérieur au grand bénéfice des pays producteurs, encore faut-il qu'ils sachent quoi faire de leurs recettes exceptionnelles ? Mais ce sera là aussi un baril qui aggravera la récession mondiale dont dépend aussi l'économie des pays producteurs de façon directe ou indirecte, sans compter la compétition avec les énergies renouvelables et les technologies d'économie d'énergie à moyen et long terme. On peut à mon avis tenter une réponse à ces craintes sur le prix à travers une simple analyse «géoéconomique» de la répartition des réserves et capacités de production, des investissements et coûts de production, et des besoins financiers des pays producteurs. Il suffit de superposer plusieurs cartes comportant la répartition des réserves en hydrocarbures conventionnels et non conventionnels, les capacités de production, les consommations, la dépendance des économies régionales ou locales des importations pour certains et de l'exportation pour d'autres. On constate ce qui suit :
- Les plus grandes réserves de pétrole et de gaz naturel découvertes à ce jour sont localisées dans les mêmes régions pétrolières depuis plusieurs décennies. Seules quelques nouvelles provinces pétrolières ou gazières ont été mises en évidence, notamment en offshore.
- Dans le détail, une simple analyse historique montre que ces réserves ont très peu évolué durant la dernière décennie, et le plus souvent à travers des révisions et non des découvertes significatives qui deviennent de plus en plus rares. Ces réserves sont aussi concentrées au niveau de chaque région dans un ou deux pays, rarement trois (pays entre parenthèses dans le tableau ci-dessus). On constate cependant que la carte des réserves mondiales est en train de se modifier essentiellement par la mise en valeur de trois catégories de ressources : d'abord celles déjà connues en place dans les gisements en cours d'exploitation grace à une amélioration continue des taux de récupération, les ressources renfermées dans des gisements de petite taille complexes et difficiles aussi bien à découvrir qu'à exploiter (zones géologiques complexes et offshore profond), et enfin les hydrocarbures non conventionnels.
C'est ainsi qu'il est prévu pour cette dernière catégorie selon BP que les 4 pays les plus intéressés par la production de pétrole non conventionnel atteignent 4 millions de barils par jour en 2030 :
Il est aussi probable qu'en plus de l'Algérie, d'autres pays renfermant cette catégorie de ressources les développent, et feront parvenir la production mondiale à 6 ou 8 millions de barils par jour en pétrole non conventionnel.
Cette capacité de production ne pourrait à mon avis que remplacer la chute de production des gisements actuels en déclin.
- Cette évolution est un signe à lier à un début de réduction des ressources conventionnelles exploitables, dont le volume augmentera à l'avenir beaucoup plus grâce au développement des technologies de récupération aussi bien pour les hydrocarbures conventionnels que non conventionnels. Cela entraînera par conséquent très rapidement au recours à des investissements de plus en plus importants en vue d'assurer une offre capable de couvrir une consommation énergétique en croissance régulière surtout par les pays émergents.
Il est prévu que la demande mondiale passe de 90 millions de barils/jour en 2013 à 160 millions de barils/jour en 2040, si le modèle de consommation actuel se maintient et bien sûr si la reprise économique est présente.
Mais cela ne signifie pas que le pétrole conservera sa place dans la consommation énergétique primaire puisque sa part va chuter à l'horizon 2035 à 26%, au bénéfice du gaz et du charbon qui participeront au même niveau, tandis que les autres sources d'énergie fourniront le reste (réf : BP-outlook 2014).
Il faudra certainement aussi revoir cette projection du fait des considérations climatiques et du développement des énergies renouvelables.
Un signal très fort vient d'ailleurs d'être annoncé par l'Union européenne qui s'engage à économiser 27% de sa consommation énergétique et à couvrir 27% de ses autres besoins en énergies renouvelables à l'horizon de 2030. Les Etats-Unis, eux aussi, prévoient le recours à 23% d'énergies renouvelables au même horizon.
- Cette évolution sera aussi à mon avis identique pour les réserves de gaz naturel dont les réserves et les capacités de production augmenteront surtout à travers l'exploitation du gaz non conventionnel. Le gaz naturel deviendra cependant la principale ressource énergétique au-delà de 2030. Dans le cas précis du gaz naturel conventionnel au Moyen-Orient et en Afrique, on constate que durant les 5 dernières années, les réserves en gaz par exemple ont stagné ou baissé dans la plupart des pays africains (en dehors des nouveaux venus de l'Afrique de l'Ouest), et même certains pays du Moyen-Orient comme le Qatar et les Emirats.
Seuls l'Irak, l'Iran, l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, le Yémen et la Libye ont déclaré des réserves en hausse, mais cela est essentiellement dû à des révisions et non à de nouvelles découvertes (réf : Apicorp-V.7/12-déc. 2012).
- La dépendance des hydrocarbures de l'économie de la majeure partie des pays producteurs en dehors des pays de l'OCDE et d'Asie les amènera en principe à défendre d'abord le prix du baril avant les volumes à exporter, parce que ces derniers ne pourront pas augmenter leur production de façon significative sur le moyen et le long termes pour plusieurs raisons.
Une offre supérieure à la demande aura un effet négatif sur les prix, nécessitera d'importants investissements en amont, alors que les plus gros pays consommateurs auront de plus en plus recours aux énergies renouvelables et à l'économie d'énergie.
- Certains analystes avancent par ailleurs le poids de la taxe carbone, dont l'évolution pourrait faire reculer non seulement la consommation d'hydrocarbures, mais aussi leur prix.
Il est vrai que la transition énergétique est une réalité qui est en train de faire son chemin, mais pour le moment elle progresse essentiellement dans les pays développés, alors que les pays émergents et non développés continuent non seulement à surexploiter, mais aussi à surconsommer toutes leurs ressources naturelles.
Les inégalités en matière de développement entre les trois mondes actuels (développés, émergents et non développés), l'aspiration des uns à rattraper les autres et par conséquent des besoins aussi bien financiers qu'énergétiques énormes, contribueront encore pendant au moins deux décennies à l'accroissement de la production et de la consommation énergétique grâce aux hydrocarbures.
A moyen terme, la confrontation aura lieu surtout entre le nucléaire et le charbon, le gaz étant de son côté appelé à assurer une transition en douceur aux lieu et place du pétrole dont les réserves ne sont pas infinies, et dont la valeur ne baissera que quand il n'y en aura plus.
Pour toutes ces raisons, y compris de nombreuses autres inconnues d'ordre géopolitique surtout, il est peu probable que le baril de pétrole revienne à son cours du début de ce siècle (40 $), ou puisse chuter en dessous de 70 à 80 $, sauf de façon conjoncturelle et durant de courtes périodes. Il ne pourra pas non plus se hisser au-delà de 120 $ à moyen terme parce que la reprise économique ne semble pas être pour demain d'après la majorité des analystes.
Au-delà, il serait vraiment difficile et hasardeux d'en prévoir le prix.
Dans ses dernières prévisions, l'EIA a prévu trois scénarios possibles :
- Un scénario pessimiste à 75 $ : à mon avis il n'est possible que de façon conjoncturelle sur le très court terme en cas d'agravation de la crise économique actuelle ou pour des raisons géopolitiques aussi graves.
- Un cas de référence entre 90 $ actuellement pouvant mener à 160 $ vers 2040 : c'est le plus réaliste sur la base de tout ce qui précède.
- Un scénario catastrophe entre 90 $ actuellement pouvant mener à 240 $ à long terme : il est peu probable à mon avis.
Mais pour finir, je dirai que l'essentiel n'est pas le prix, mais ce qu'on veut faire du prix : «Répondre à un besoin réaliste ou à un désir ?» comme aiment le dire les écologistes.
A. A.
* Ancien PDG de Sonatrach.
Ancien ministre des Ressources en eau.


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