Il se dégage en résumé des diagnostics sur l'économie algérienne, notamment ceux effectués dans le cadre de la récente campagne pour le rendez-vous du 17 avril, mais surtout des écrits antérieurs parus dans les médias, deux questions qui me semblent majeures : l'emploi qualifiant et la sécurité alimentaire. Si rien n'est fondamentalement effectué dans les toutes prochaines années les diagnostics sur ces deux questions économiques majeures vont s'aggraver. Notre modèle de croissance «entier et extraverti» serait-il à bout de souffle ? Rappelons que ce modèle de croissance repose presque exclusivement sur les recettes encaissées d'exportations de pétrole et de gaz, dont certains prédisent l'épuisement des puits dans les deux ou trois prochaines décennies. D'autres prévisions moins pessimistes existent sur les «réserves» pétrolières et gazières, ou de nouvelles découvertes toujours possibles de gisements gaziers ou pétroliers. Mais à la limite, cela ne change rien au raisonnement stratégique : si on perpétue les mêmes errements, c'est-à-dire, pour reprendre l'expression du professeur Maurice Bye, si on ne sait toujours pas bien «semer le pétrole», si on n'a pas appris à tirer un bien meilleur profit économique, social, culturel de ce don de la nature, pour la majorité des Algériens de plusieurs générations, si on ne se contente pas de juste encaisser des «royalties», tout en puisant sans précaution dans les puits ! L'une des plus graves conséquences de la façon dont cette rente pétrolière a été gérée est l'effondrement actuel de l'économie agricole, plus précisément de la fonction nourricière de l'agriculture. La production nationale est devenue au fil des ans un appoint aux importations, au lieu que ce soit l'inverse. Bien pire, les importations inconsidérées des produits agricoles, importations facilitées par l'aisance des recettes pétrolières, notamment les semences et le bétail, ont eu des effets destructeurs du patrimoine génétique du pays, considéré dans le temps comme l'un des plus riches et des plus diversifiés de la Méditerranée. La voie salutaire, en cette priorité de la sécurité alimentaire qui prendra, certes, du temps, doit passer par la réhabilitation des 20 à 30 zones de production de l'agriculture traditionnelle, actuellement plus ou moins abandonnées, de notre immense territoire. Agricultures diversifiées : des côtes, des montagnes, des hautes plaines, des oasis. C'est cette agriculture locale dans ces 20 à 30 zones qu'il faut réhabiliter en la modernisant, en s'appuyant sur le savoir-faire de nos paysans, ou de jeunes à inciter «au retour au travail de la terre», avec des nouveaux savoir-faire et métiers de l'agriculture, appuyés par un encadrement technique et organisationnel adéquat, à la hauteur des enjeux. Chaque zone doit viser sa propre autosuffisance alimentaire et dégager progressivement des surplus pour couvrir au mieux les besoins de tout le pays. C'est la leçon qui est tirée au niveau mondial des programmes de lutte contre la faim, après les outrances et les échecs des politiques de l'industrialisation de la production agricole mondiale («révolution dite verte» à coup d'engrais et de pesticides néfastes pour l'environnement). Il est recommandé de revenir, en la modernisant «raisonnablement», à «l'agriculture paysanne». Gouverner, a-t-on dit, c'est choisir. Certains, les prédateurs et les paresseux, veulent coûte que coûte choisir de pérenniser chez nous ce «modèle de croissance extraverti et rentier», qui a été si dévastateur dans bien des domaines, avec les promesses d'exploitation dans le Sahara des gisements de gaz de schiste, dont on nous apprend, pour nous allécher, que le sous-sol algérien recèle de grandes potentialités, parmi les plus élevées du monde. Et l'on nous rassure sur les expérimentions des technologies connues pour extraire ces ressources en gaz piégées dans des roches profondes, qui sont interdites dans beaucoup de pays, à cause de leur dangerosité. Notamment leur impact désastreux sur la ressource naturelle la plus précieuse, l'eau. Ces technologies seraient tolérables dans le Sahara ! Le Sahara est, pourtant, en proie au stress hydrique le plus sévère au monde. Mais c'est vrai aussi qu'il est si peu peuplé ! Quoi qu'il en soit, ce débat autour de la dangerosité de l'exploitation du gaz de schiste mérite d'être sérieusement organisé comme un débat national hautement stratégique, éclairé par nos chercheurs et spécialistes de beaucoup de disciplines en sciences physiques et en sciences humaines, et non juste laissé aux conclusions de «spécialistes» sectoriels, pétroliers ou gaziers. Au nom du principe élémentaire qu'on ne peut «être juge et partie». L'autre très grave, et sans aucun doute la plus grave conséquence de ce modèle «rentier et extraverti» porte sur la valorisation de notre «capital humain». Le peu de valorisation de la ressource humaine —voir les classements internationaux sur le «développement humain» qui nous situent depuis longtemps, à la traîne. Le grand paradoxe est que la «rente» aura atteint, avec un baril de pétrole à 100/110 dollars, 60 à 70 milliards de dollars de recettes des exportations par an, et une réserve monétaire en devises équivalent à 3 ou 4 ans d'importations tous azimuts, alors que nos universités et centres de recherche végètent misérablement. Il n'est pas étonnant qu'avec cette mauvaise gouvernance des ressources naturelles guidée surtout par la recherche du profit financier immédiat, la ressource humaine soit bien négligée. Certes le nombre des universités et des centres d'éducation est important (bientôt 1,5 million d'étudiants) mais ne débouche que sur un chômage massif des jeunes, diplômés ou non. C'est une réalité que les statistiques conventionnelles reflètent très mal. Pourquoi ce paradoxe apparent ? Par illustration le «taux de chômage» qui «a été ramené, nous dit-on, de 20,25% à 9% !» en quelques années, est un résultat en trompe-l'œil, parce que ces statistiques agrègent les occupations des activités de ce fourre-tout du secteur dit informel, lequel abrite la grande majorité de «la population dite active» (voir définition plus bas)(1), avec les emplois de l'économie productive. Ce «taux de chômage» ramené en quelques décennies à un taux apparemment acceptable, aurait été par ailleurs obtenu grâce à ce qu'on appelle le «traitement social du chômage». Un «traitement social» est par définition provisoire, et/ou touchant une partie de «la population active», celle que la croissance économique globale n'arrive pas à toucher directement, aisément. Il ne saurait tenir lieu d'une politique nationale active de l'emploi. C'est un traitement conjoncturel, en attendant que la croissance économique crée des vrais emplois en quantité suffisante. Est-ce le cas chez nous ? Non ! Parce que notre modèle de croissance tiré essentiellement par les activités d'extraction-exportation des hydrocarbures est très peu directement créateur d'emplois. Le taux de croissance économique n'a pas ici d'impact direct sur la création d'emplois. Si ces activités minières d'extraction des hydrocarbures contribuent à 97/98% des exportations et à 40/50% du PIB, elles ne contribuent qu'à 2 à 3% de l'emploi global. D'un autre côté, la panoplie des instruments de ce «traitement social» (Ansej, Cnac, etc.) sur le modèle expérimenté dans certains pays développés, malgré toute sa «générosité» (subventions budgétaires), n'est pas une solution durable, soutenable. C'est bien évident, compte tenu de l'ampleur de la demande des jeunes générations qui arrivent annuellement à l'âge(2) du travail, le plus souvent sans aucune formation professionnelle (autour de 1 million par an, actuellement, nombre en croissance encore très rapide les prochaines années voire les prochaines décennies, du fait structurel de la «pyramide démographique», ou de la jeunesse de la population !). Par ailleurs, la manière avec laquelle ce dispositif du traitement du chômage est réellement mis en œuvre, comporte de nombreuses déviances bien connues qui font réclamer, un bilan, lequel se fait bien attendre. Mais il faut surtout s'interroger sur l'efficacité du choix d'un tel système de traitement du chômage, eu égard aux structures actuelles de la démographie et de l'économie algérienne ; mais aussi à ses potentialités de développement. Si toutefois on veut réellement le développement, c'est-à-dire se dégager un peu des pratiques du «courtermisme» ; et qu'on dispose d'un plan à long terme crédible pour le cibler effectivement et le concrétiser par étapes. Durant la «transition» qui s'ouvre en Algérie, les gens de bonne volonté, c'est-à-dire ceux qui sont surtout motivés par l'intérêt général, sinon «des hommes nouveaux», auront à cœur de concevoir puis de mettre en œuvre des politiques susceptibles d'inverser ces tendances qui nous conduisent dans le mur : le tout-pétrole et les comportements passifs de rentier, fortement incitatifs eux-mêmes de la prédation qui fait des ravages dans notre corps social. «Les hommes nouveaux» qu'est-ce à dire ? C'est une réminiscence de l'histoire de Rome : des hommes nouveaux, des homini novæ, étaient attendus à chaque grande crise ; ils surgissaient précisément de la crise elle-même, en étant capables de la résoudre. Une transition pour aller où ? Un «vétéran»(3) comme moi, ne peut qu'esquisser ici, à très grands traits, ces solutions de «sortie de crise». Car il ne suffit pas de dresser des constats, beaucoup le font régulièrement. Il convient aussi de faire œuvre d'imagination pour indiquer les pistes à suivre, souhaitables mais praticables, pour nous éviter le pire, c'est-à-dire encore les effets néfastes de la «dictature du statu quo». La première piste qui s'impose est celle de choisir de consacrer le maximum possible de ressources pour l'investir dans le «capital humain». Cette haute priorité se dégage de la leçon qu'on peut tirer de 50 ans de tentatives de développement, ou de gestion économique globale du pays, depuis l'indépendance. L'émergence de la capacité nationale de réaliser une économie moderne et performante n'a pas émergée suffisamment, à hauteur de l'ampleur des défis et besoins de la construction d'une économie et d'une société moderne, d'un vaste pays, le plus grand du continent, et d'une population de bientôt 50 millions à l'horizon 2030, à s'insérer dans une économie internationale qui se «globalise» ; économie universelle qui se globalise qualifiée «d'économie de la connaissance». Précisément par ce que le «capital humain» y joue un rôle autant sinon plus que le «capital matériel» ou le «capital argent». Lisons encore les statistiques pour illustrer ce fait de la faible capacité nationale de réaliser. Le «taux de participation» de la population active au PIB est, selon l'ONS, de 39/40% en 2013, à comparer aux 65/70% atteint dans les pays développés. C'est un indicateur qui nous permet globalement de mesurer cette capacité nationale de réaliser. En réalité ce taux de participation des «actifs» à la création de la richesse économique du pays est très biaisé chez nous, par ce que ce taux de 40% englobe les «actifs» de l'informel, lesquels pour la plupart s'activent pour survivre dans ce secteur informel, plus qu'ils ne créent de réelle valeur ajoutée économique. C'est sans doute juste 10 à 15%, des actifs, grand maximum, qui contribue peu ou prou, à créer de la valeur ajoutée économique, selon mon estimation (très pifométrique) et selon ma lecture propre des statistiques conventionnelles. Ce taux de participation réelle à la création de la richesse économique est beaucoup trop faible. Il ne faut pas non plus se tromper sur le fait qu'une très faible minorité, au sein de cet immense «secteur informel», qui abrite chez nous la grande majorité de la «population dite active», dégage des profits monétaires, qui peuvent même être très impressionnants. Cette observation ne doit pas faire illusion. «Faire de l'argent» (make money) ne doit pas être confondu avec une politique de développement. Malgré les apparences, il ne s'agit pas ici de morale, mais d'un raisonnement stratégique. Il convient d'élargir considérablement les acteurs, les femmes et les hommes, qui contribuent réellement à la création des richesses économiques. Dépasser très sensiblement ce faible «taux de participation» de 10 à 15% — en chiffres absolus que j'estime autour de 1 million pour une population active totale de 12 millions en 2013 et de près de 40 millions de la population totale. Ces acteurs réels de l'économie moderne qui soient à même par leur travail et leur créativité propres, de créer des richesses économiques et de démultiplier durablement les emplois. C'est une dynamique autocentrée de développement, interne au pays, qui doit le permettre, et qu'il faut chercher à obtenir, pour qu'elle puisse être durable, socialement utile, économiquement efficace. C'est une «élite professionnelle», en nombre suffisant pour atteindre une économie d'échelle, un palier, afin d'avoir des effets significatifs, qu'il convient de promouvoir sérieusement, avec volontarisme, afin de démultiplier la richesse économique du pays ; en effet, il faut insister sur cette «économie d'échelle», car un individu seul ne peut enrichir l'assemblée... dit le proverbe». Ou, autre proverbe, une hirondelle seule ne fait pas le printemps. Comment élargir les créateurs de richesses économiques en nombre suffisant ? Au lendemain de l'indépendance, nous pensions que c'était déjà une bien lourde tâche de scolariser toutes les filles et les garçons, pour qu'en plus, il faille envoyer leurs parents à l'«école du soir». Ce fut une erreur stratégique ! Parce que nous étions, triste héritage de «la nuit coloniale», un peuple composé en majorité de jeunes hommes et femmes analphabètes à 95%, avec très peu de formation professionnelle ! Et ce sont ces jeunes adultes qui ont géré le pays pendant des décennies, jusqu' à des survivants encore aujourd'hui à la tâche. Sans doute que ce très faible niveau moyen éducatif et culturel du pays, cette faiblesse de la valorisation du «capital humain» a beaucoup contribué aux déboires de l'Algérie. Il convient de ne pas renouveler cette erreur stratégique du point de départ. Nous en avons aujourd'hui les moyens financiers. Durant cette «transition» qui s'ouvre, il convient, pour inverser les mauvaises tendances, largement constatées par beaucoup de segments de l'opinion, de réfléchir et de mettre en œuvre un vaste «programme de formation continue». Un minimum de formation professionnelle et culturelle, devrait pouvoir être offert à chacun, au profit prioritaire de la grande cohorte des jeunes qui sortent chaque année des écoles sans diplômes et sans formation, pour limiter et rattraper les dégâts d'«une école en faillite» qui se solde par un grand gaspillage de la ressource humaine. On estime en effet à plus de 800 000 par an, ces «neurs» (en anglais), c'est-à-dire des jeunes qui ne sont «ni à l'école ni à l'emploi». Ce programme de la «formation continue» qui serait ouvert à tout «actif», pour peu qu'il le veuille sérieusement, serait à notre sens une bonne façon de «semer le pétrole». Un bon «retour sur investissement» pour le pays, comme disent les capitalistes. Il y a urgence de commencer par récupérer cette masse d'oisifs de notre jeunesse, «jetés à la rue» chaque année, par milliers. Les former professionnellement par l'apprentissage ou d'autres moyens éducatifs, pour leur donner une chance d'être employés dans une économie productive, économie nouvelle qui reste à promouvoir sur une échelle adéquate, à laquelle ils pourraient progressivement, à leur tour, contribuer ; pour l'immédiat cette formation de rattrapage doit leur permettre d'être «employables» par des entreprises existantes ou de les préparer à initier par eux-mêmes des microentreprises économiques ; ou tout au moins de leur permettre de s'épanouir dans des activités socialement et culturellement utiles dans d'autres structures, type associations culturelles, sportives ou d'intérêt général comme le service civil. Ce programme de «formation continue» financé par l'Etat visant à toucher le plus grand nombre, doit pouvoir répandre aussi l'esprit citoyen ; afin de responsabiliser tout un chacun, apprendre à chaque Algérien de savoir se prendre en charge lui-même. Commencer à inverser la très forte tendance actuelle, qui mine toute la société, à tout attendre de l'Etat, et tout de suite ! L'autre piste concerne «l'élite professionnelle». Certes «l'économie de marché» à laquelle, en principe, on adhère depuis les réformes de 1990, voudrait que spontanément se dégage cette élite, ou «les entrepreneurs». Libéré de toutes entraves, le «marché» ferait émerger en nombre, les entrepreneurs ! Hélas, comme perçu plus haut, en prenant cet indicateur de «taux de participation de 40% de la population active (statistique de l'ONS) ramené ici par nous, à juste 10/15% de contributeurs réels à la richesse économique du pays – en gros correspondant aux activités hors-secteur informel — est beaucoup trop faible ! Ce fait, peut aussi être corroboré par les entrepreneurs actuels eux-mêmes, aussi bien étrangers que nationaux, qui déclarent et justifient souvent leur frilosité en matière d'investissements, entre autres causes, par cette grande pénurie des femmes et des hommes suffisamment formés et expérimentés. On importe même des ouvriers dans des chantiers de TP. Il semble donc qu'une politique volontariste soit indispensable pour promouvoir cette «élite professionnelle» à la hauteur quantitative des besoins de l'économie moderne, et de nos légitimes ambitions de développement. C'est à l'université, aux centres de formations, qu'il convient d'apporter cette réponse. Or, ces institutions de formation doivent d'abord faire leur propre révolution, pour qu'elles ne soient plus accusées d'être juste «des usines à chômeurs» ou des «garderies» ! Il est impératif aussi que l'université algérienne, ses instituts de recherche, s'impliquent dans la création de la richesse économique. Pas seulement d'ambitionner de former des beaux esprits ! Ce qui n'est pas en soi, loin s'en faut, un but négligeable ! Mais pour faire face à nos défis de développement, il faut révolutionner l'université à commencer par y chasser le charlatanisme souvent dénoncé en son sein. En visant des performances sanctionnées par les classements internationaux type «Shanghai». Notamment parmi les performances à atteindre, il convient d'établir de sérieuses liaisons entre enseignement-formation-emploi (type «incubateurs, ou pépinières d'entrepreneurs») lesquelles doivent être rapidement mises en place ou devenir beaucoup plus efficientes, et sur des échelles qui répondent à l'ampleur des buts visés. Ainsi, la «formation continue», «la révolution de notre université et de notre système de formation» nous paraissent les pistes les plus solides pour nous sortir de l'économie «extravertie et rentière» ; cette dernière tourne le dos dans les faits à la valorisation du «capital humain». A la seule «richesse des Nations» qui vaille ! Dans le même temps de cette «transition» qui s'ouvre ces prochaines années, souvent appelée au niveau international «transition énergétique» ; c'est-à-dire,une économie universelle nouvelle fondée sur des énergies non fossiles ou encore «d'après-pétrole», doit permettre de jeter les bases de notre propre industrialisation. Comment concevoir une nouvelle industrialisation du pays ? Après un départ conséquent mais dévoyé, les deux premières décennies postindépendance (voir notre «Les transformations économiques au 20e anniversaire» Enal Alger 1982) l'industrie algérienne est actuellement bien faible et déclinante dans le PIB. Moins de 4%, résultat de plusieurs facteurs dont «un discours à la mode» sur «la désindustrialisation» ou période «post-industrielle», discours qui s'adresse en fait au monde déjà développé, et à ses crises propres, mais qui ne correspond ni à notre histoire d'ex-colonisés, ni à nos besoins en emplois qualifiants et ambitions de développement, ni à nos structures économiques très sous- développées. Discours sur la «désindustrialisation» que souvent on a parfois repris chez nous, par mimétisme,ou peut-être pour cacher des intérêts catégoriels non avouables («l'import-import» étouffant le producteur) ! On tente ces derniers temps de réhabiliter cette base industrielle née des premiers plans (1 000 entreprises achevées en 1982) et sur laquelle devait s'amorcer «l'industrialisation en profondeur» du pays. «En profondeur», c'est-à-dire une industrialisation qui devait toucher d'une façon «intégrée» et entraînante toutes les activités productives, agriculture, industrie et les services et infrastructures liés à cette modernisation et promotion de l'économie productive. Les conditions actuelles de l'industrialisation dans le monde sont maintenant bien différentes, notamment la «globalisation» de la production mondiale de biens et de services, qui font que les entreprises parmi les plus puissantes qui tirent le plus fortement la croissance mondiale,«délocalisent» leurs usines et leurs produits. Un des critères d'ailleurs des lieux choisis de «délocalisation» tient à la disponibilité de ressources humaines qualifiées ; un des critères les plus incitatifs des IDE (investissements directs des étrangers) à investir ou à se délocaliser dans tel ou tel pays, poussant même plus loin la «déterritorialisation» de la production industrielle, un même produit industriel, pouvant souvent être fabriqué dans ses diverses composantes à différents endroits géographiques de la planète. C'est une première donnée qui doit faire réfléchir nos acteurs et nos stratèges industriels. L'évolution de la globalisation dans laquelle notre économie et son développement sont inévitablement plongés, mondialisation qui se présente pour nous avec de nouvelles contraintes, notamment dans ses brutales fluctuations (exemple : la brutale augmentation des produits agricoles sur les marchés mondiaux fortement «financiarisés», l'hiver 2010-2011, préludes et cause sérieuse, on l'oublie trop, des explosions sociales dans toute notre région Sud Méditerranée y inclus l'Algérie ! Sans évoquer la terrible chute du prix du baril de pétrole en 1987 !). Mais cette «mondialisation» offre aussi de nouvelles opportunités de «nous inscrire dans les grands courants de la science et de la technologie universelle», selon les propres termes de la Stratégie globale du développement de l'Algérie de février 1966. A la condition, encore une fois, que le pays soit «attractif» pour les multinationales, c'est-à-dire, précisément, un pays où la ressource humaine qualifiée soit suffisamment disponible. Un des axes majeurs qui structure dorénavant l'économie mondiale et qui suscite d'une façon acharnée les grandes compétitions des Etats et des grands groupes industriels, est sans aucun doute l'énergie. La course au contrôle des sources d'énergie Bien des tensions vécues actuellement dans notre propre région s'expliquent sans doute par cette course au contrôle de l'énergie. Producteur d'énergies fossiles, pétrole et gaz, et aussi potentiellement d'énergie non fossile, principalement le soleil, nous avons théoriquement des cartes stratégiques pour nous défendre dans une «mondialisation» qui n'a jamais été tendre avec les plus faibles. A condition que les producteurs de matières premières se regroupent face à ceux qui dominent cette «mondialisation». A l'instar de ce qu'a pu faire l'Opep durant une période. En effet, citons par illustration de ce rappel historique, qu'en 1974, pour la première fois dans l'histoire des relations économiques internationales, disons pour simplifier entre le «Nord» et le «Sud», des producteurs de matières premières ont eu leur mot à dire dans la fixation des prix de ces matières premières !Les différentes formes de la mondialisation de la production des biens et des services poussent à des regroupements de grands groupes industriels, mais aussi à des régionalisations (groupements économiques de pays) souvent sous la forme d'«associations de libre-échange». Mais comme le soulignait un prix Nobel de l'économie, Maurice Allais, que l'on ne peut, certes, pas accuser de «gauchisme» ou de «tiers-mondisme attardé» : associer le «Nord» industrialisé et le «Sud» encore le plus souvent sous-développé, est en fait, proposer un partenariat «entre le pot de terre et le pot de fer» ! On nous suggère souvent de passer par ces regroupements régionaux autour de zones commerciales de «libre- échange», type «Grand Moyen-Orient», projet cher à la première puissance économique mondiale. Mais notre approche, proposée ici, qui est bien différente, même si elle est beaucoup plus compliquée à mettre en œuvre, serait de réunir nos pays voisins de l'Est, l'Ouest, le Sud, autour de projets communs de valorisation des matières premières (pétrole, gaz, uranium, soleil etc.). C'est la voie la plus sérieuse, même bien ardue, de rompre avec «la division internationale du travail» du schéma d'exploitation, type «pacte colonial», qui entendait maintenir les pays du «Sud», les producteurs de matières premières, sans industrialisation. Les considérer juste comme des marchés de consommation pour y déverser la pacotille industrielle du «Nord», et y puiser, au besoin, la main- d'œuvre excédentaire de ces pays, que leurs économies non industrialisées ou non modernisées ne peuvent faire travailler. Poussant aux solutions d'exil de désespoir à la recherche du travail, beaucoup de jeunes de nos pays (harraga). Cette «division internationale du travail» est, si on y regarde de près,toujours bien actuelle en ce début du XXIe siècle ! Elle engendre, comme perçu plus haut des «économies extraverties et rentières» au Sud détenteur de mines et autres matières premières indispensables à l'industrie moderne, laissant donc l'essentiel de la «richesse des nations», c'est-à-dire la valorisation du «capital humain» par le travail qualifié, se faire uniquement au profit du Nord ; aux acheteurs de ces matières premières qui transforment chez eux, les matières brutes puisées chez nous,en produits à forte valeur-ajoutée, et emplois qualifiés. Il appartient durant cette «transition» qui s'ouvre, à nos élites du Maghreb et du Sahel de faire mûrir et concrétiser cette voie de salut, pour pouvoir promouvoir réellement le développement de la région. Après tant d'années de désunions et de tentatives isolées, par les pratiques dominantes dans les faits du «chacun pour soi», pour tenter de s'en sortir, d'édifier au travers de projets communs de valorisation des matières premières, des économies performantes en particulier dans ces deux domaines prioritaires : de l'emploi qualifiant et de la sécurité alimentaire. M. O. 1. Population active sens BIT : l'ONS estime par enquête régulière cette «population active». C'est un concept qui englobe toute personne apte au travail professionnel (excluant les femmes au foyer, les malades, les appelés au service militaire), apte à travailler de l'âge de 16 à 59 ans, et qui est occupée effectivement ou qui est au moment de l'enquête, à la recherche d'un travail. Ce concept statistique de population «active» englobe donc les occupés mais aussi les chômeurs. 2. Âge de travailler : légalement fixé selon les pays, en général à 15/16 ans, excluant donc le travail des enfants, interdit ou protégé par des conventions du Bureau international du travail. 3. Ancien planificateur et secrétaire général du Plan, 1963-1984 ; ancien haut fonctionnaire du BIT 1985-1997. Consultant international en économie du développement.