Une douzaine de films courts ont été projetés à la salle El Mouggar dans le cadre de la compétition officielle des 5es Journées cinématographiques d'Alger qui se sont clôturées mercredi. Cette séance de projections a été dédiée à la jeune génération de cinéastes algériens dont la plupart font leurs premiers pas dans le cinéma. Cela se voit d'ailleurs sur la grande majorité de ces films auxquels il manque une véritable démarche tant au niveau de l'écriture scénaristique que celui de la mise en scène et de la direction d'acteurs. Les courts métrages présentés à El-Mouggar varient entre fictions et mini-documentaires ou portraits. Elias Djemil dans Au rythme du temps traite de la nouvelle scène artistique algérienne : ces groupes musicaux qui pullulent depuis quelques années et marquent une certaine rupture avec les répertoires dominants jusqu'alors. Le réalisateur interviewe plusieurs de ces artistes mais aussi les producteurs qui les ont révélés. A travers une mise en scène inspirée, un montage énergique et entraînant, Elias questionne cette génération survoltée et révoltée qui exprime, par du reggae, du funk, de la fusion et de la world music, un état d'esprit méconnu : celui d'une jeunesse dissemblable aux clichés inlassablement véhiculés sur elle. Un film assez surchargé du point de vue scénaristique mais dont la conception artistique est assez intéressante puisqu'elle demeure souple, mouvante et bien rythmée, à l'image des musiques qui accompagnent les témoignages. Banc public du chanteur Djamel Allam, Olivier d'or du dernier Festival du film amazigh, s'inscrit dans un tout autre registre. C'est un court métrage muet, ponctué par plusieurs morceaux musicaux connus, qui pose un regard à la fois enjoué et critique sur la société algérienne. Volontairement caricatural, le film se veut une allégorie burlesque de l'approche sociétale du corps féminin : une femme portant des lunettes noires est assise sur un banc à la brise de mer de Béjaïa. Une panoplie de personnages défilent alors devant elle pour l'impressionner : un pêcheur, un footballeur, un rasta, un guitariste, un intellectuel, un homme d'affaires parvenu, une femme en hayek, une autre en djilbab, etc. Tous se font rabrouer, l'un après l'autre, par l'attitude indifférente de la demoiselle qui s'avèrera par la suite... aveugle. Un film sans prétention, divertissant et assez original malgré quelques faux raccords et une mise en scène basique. Parmi les rares courts métrages qui ont proposé un langage cinématographique élaboré figure sans doute Ce chemin devant moi du rappeur français Hamé avec un casting de haute voltige : Réda Kateb, Rayhanna Obermeyer et Slimane Dazi. Nous sommes dans une banlieue ordinaire probablement pendant les émeutes sanglantes de 2005. Réda Kateb est le fils mal-aimé d'une mère acariâtre qui lui préfère le cadet, un adolescent assez volage. Lorsqu'au soir, des affrontements entre jeunes et policiers éclatent, l'ainé, fou d'inquiétude, sort chercher son frère et traverse ainsi une banlieue en feu où il voit des flics persécuter des ados... Une esthétique noire se dégage de l'ensemble du film qui, sans faire dans le sensationnel du style La haine, inoubliable chef-d'œuvre de Mathieu Kassovitz, ni dans les clichés persistants collés au thème de la banlieue, réussit à peindre une saisissante aquarelle psychologique, rehaussée par une interprétation magistrale et une mise en scène tout en nuances et en mouvements. Retour à Alger avec Mahé, la fureur de vivre, un portrait d'un homme atypique signé par le réalisateur Houssam Boukhari. Mahé est un médecin à la retraite, visiblement septuagénaire, décidé à s'offrir une «deuxième vie» où les maîtres-mots sont : la fête, la joie et l'insouciance. Un personnage attachant et plein de reliefs qui donne au court métrage toute sa vivacité et son énergie, d'autant plus que le réalisateur fait preuve d'une fantaisie rafraîchissante en alternant des plans sur Mahé et des scènes du film La fureur de vivre, puisque notre sympathique épicurien se compare volontiers à James Dean ! Enfin, citons également Passage à niveau, un petit bijou de cinéma signé Anis Djaâd dont c'est le deuxième court métrage après Le hublot. C'est l'histoire d'un vieux garde-barrière campé par l'excellent Rachid Benallal qui, entre sa petite piaule dépouillée et le vieux chemin de fer, vit en reclus mélancolique dont l'interprétation de l'acteur incarnera une multitude d'états d'âme sans avoir besoin des moindres paroles, ou très peu. Avec un sens du rythme qui fait tant défaut à la filmographie algérienne contemporaine, Anis Djaâd écrit et filme ce personnage énigmatique et profondément humain de sorte à y miroiter tous ses questionnements, mais aussi ses désenchantements sur la société algérienne. Sublimé par une mise en scène sobre et un intimisme pudique mais bouleversant de la caméra tantôt se rapprochant, tantôt s'éloignant des émotions de son héros, Rachid Benallal devient une allégorie transcendante qui dépasse de loin son personnage intrinsèque et s'envole jusqu'à des stratosphères philosophiques pouvant s'apparenter aussi bien au mysticisme qu'au cynisme. Passage à niveau, de par son esthétique quasi rimbaldienne et son langage en demi-teinte, est sans doute la meilleure révélation de cette année 2014.