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Moulay Chentouf, coordinateur du Bureau National du Parti pour la Laïcité et la Démocratie (PLD) :
«Le FFS et le RCD commettent des erreurs gravissimes»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 24 - 11 - 2014


Entretien réalisé par Mokhtar Ferdi
Le Soir d'Algérie : Comment appréciez-vous la situation du pays en ce mois de novembre où l'Algérie fête le soixantième anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale ?
Moulay Chentouf : Cet anniversaire n'est malheureusement pas fêté dans la liesse populaire. Notre peuple, modèle de courage et d'héroïsme dans sa lutte de libération, est aujourd'hui un peuple sous tutelle, broyé par un système qui l'écrase. Au lieu d'inscrire l'Algérie dans la perspective d'un développement réel et d'associer la société à l'effort de construction du pays, le système a marginalisé les compétences nationales et englouti des sommes considérables dans des opérations commerciales d'importation dont le seul objectif est d'assurer la paix sociale.
L'Algérie ainsi, est devenue progressivement un déversoir de marchandises. Le pays se retrouve aujourd'hui dans une telle dépendance qu'il importe l'essentiel de ce qu'il consomme au quotidien
En fait, l'Algérie est plombée de plus en plus par un système qui l'enferme dans des choix contraires aux intérêts de la nation et où l'opacité institutionnelle, la corruption et l'économie informelle l'ont conduit au délitement de l'Etat. L'Algérie est aujourd'hui incapable à faire émerger une économie productive, créatrice de richesses, basée sur des normes de fonctionnement modernes et des critères de rationalité.
Le pouvoir actuel a cédé à la facilité du carnet de chèques et cassé les ressorts par lesquels le pays aurait pu se construire. Il a acculé l'Algérie à une impasse historique par la conduite chaotique des affaires publiques, la ruine de son agriculture et la destruction de son industrie. Fragilisé par une économie totalement extravertie et sans valeur ajoutée, le pays est vulnérable de tous les points de vue et son avenir incertain. A chaque instant, il est à la merci de l'effondrement sans qu'il n'ait la possibilité de rebondir car le pays n'existe pour une large part que par la grâce des recettes tirées des hydrocarbures. Il suffirait d'ailleurs que le prix du baril continue à chuter pour que l'Algérie revive dans le meilleur des cas le scénario catastrophe du milieu des années 1980.
Nos jeunes veulent un autre avenir, pas celui de la rente qui met en jachère leurs projets pour le restant de leurs jours, mais celui qui les met en capacité de rêver, qui interpelle leur intelligence, sollicite leurs initiatives et les associe à l'élan d'une nation entière pour dessiner de leurs propres mains leur destin. Ils ne veulent plus être biberonnés mais édifier une société moderne, démocratique sociale et laïque, où ils seront des citoyens à part entière.
Nos moins jeunes, ayant vécu les souffrances de la guerre, savent mieux que quiconque ce qu'il a fallu consentir de sacrifices pour que l'Algérie arrache l'indépendance dans le respect de son intégrité territoriale. Aujourd'hui, le risque d'implosion du pays les tourmente et n'ont qu'un vœu : quitter ce monde dans une Algérie unie et réconciliée avec son peuple.
Les anciens membres du Parti communiste algérien d'origine européenne sont plus que des «amis de l'Algérie». Ce ne sont pas des étrangers mais des nationaux qui n'ont pas à être discriminés en refusant de les considérer pleinement comme des citoyens algériens.
Mais comment se fait-il que le PLD soit absent de la scène politique ?
Je ne sais pas quelle est la signification réelle que vous donnez à l'absence du PLD, mais permettez-moi de vous rappeler le contexte pour répondre objectivement à votre question.
A partir du moment où l'accessibilité aux médias lourds est totalement verrouillée par le pouvoir et que l'épée de Damoclès des poursuites judiciaires pèse sur la tête des journalistes, il va de soi que le PLD ne peut espérer qu'une place anecdotique au sein des médias algériens. Les partis du pouvoir et leur cour quant à eux ont tous les privilèges pour s'y tailler la part du lion. C'est pourquoi l'audience d'un parti ne se mesure pas à la fréquence de ses passages à la télévision ou bien au nombre d'articles qui lui sont consacrés dans la presse ? Loin s'en faut !
Venons-en maintenant au fond des choses et en particulier au contenu de ce qui est commenté ces dernières semaines par les médias. Un tapage médiatique est fait sur les «grosses cylindrées» de l'échiquier politique qui se retrouvent en «conférences» pour construire soi-disant «une alternative au pouvoir actuel» mais qu'en est-il vraiment ?
En réalité, la vie politique en Algérie est biaisée : les partis politiques ne sont pas la traduction d'un scrutin démocratique mais le résultat d'arrangements concoctés au sommet et leur existence dépend essentiellement de la tirelire du pouvoir. Leur fonction unique est de rouler pour l'agenda du pouvoir et donner l'illusion d'une vie politique démocratique mais qui y croit ? Nous sommes dans la gesticulation politicienne. La pluralité des sigles n'est pas dans ce cas une richesse et la frénésie qui s'est emparée de la classe politique n'est que factice. Comment est-il possible à une classe politique aliénée au pouvoir de créer les conditions de son départ quand celle-ci est sa caisse de résonance et qu'elle agit au doigt et à l'œil du prince ?
Pourquoi le PLD n'est pas encore un parti agréé ?
Votre question prend tout son sens lorsqu'elle est posée dans le cadre d'un Etat démocratique respectueux des lois. Voyez-vous, ce pouvoir ne respecte même pas ses propres lois et peut y compris frapper d'interdiction toute organisation politique déjà légalisée qui oserait rompre le «contrat» d'allégeance. L'Algérie n'est pas un Etat de droit et au-delà, elle se débat dans la crise la plus grave de son histoire. Le dépassement de cette crise, à notre sens, passe par la dissolution de toutes les institutions du pays y compris celle du syndicat maison «UGTA» et de la classe politique et à partir de là, la question de l'agrément devient pour nous sans objet.
Mais comme je viens de vous le dire, en dernier ressort, le pouvoir ne reconnaît que les partis qui émargent sur ses ardoises si bien que «l'opposition» est en fait une opposition cooptée. Le PLD tient à son autonomie politique et nous estimons qu'il est de notre devoir de dire à notre peuple les choses telles qu'elles sont. Nous payons très cher cet exercice de vérité mais il ne peut se faire que si le PLD a les mains libres.
Une grande première se produit en Algérie : le dialogue s'est instauré entre partis islamistes et démocrates. Ne pensez-vous pas que cette convergence est une garantie pour produire une alternative crédible au pouvoir actuel et sortir de la crise ?
Pour répondre rapidement à votre question, je suis tenté de vous dire que la démarche que l'on propose aujourd'hui est une recette éculée mais qu'elle n'a jamais abouti et ne pourra jamais aboutir. On nous ressort un Sant'Egidio réchauffé mais qui se déroule cette fois-ci sous nos yeux à Alger. Déjà, d'un point de vue tactique, cette démarche est suicidaire. Comment peut-on peser sur le rapport de force national quand les démocrates se présentent en rivaux sur la scène politique ??!!
Par ailleurs, il ne s'agit pas de changer de pouvoir mais de refonder les bases sur lesquelles doit se reconstruire ce pouvoir. Le FFS et le RCD commettent deux erreurs gravissimes : premièrement, ils sous-estiment le danger islamiste et celui du système ; deuxièmement, ils pensent à tort représenter à eux seuls toute la mouvance démocratique. Peut-on dire raisonnablement aujourd'hui que l'islamisme est en déclin ? Evidemment au plan militaire, celui-ci n'a pas en Algérie les capacités de nuisance des années 1990 mais la situation sécuritaire est très fragile et peut basculer de nouveau dans le rouge vu les attaques quotidiennes contre les forces de sécurité et le dernier assassinat spectaculaire de l'otage français. Par ailleurs, à nos frontières, l'important arsenal libyen est tombé entre les mains d'Al-Qaïda et au Moyen-Orient une nouvelle menace est née : l'«Etat islamique». Ce qui a radicalement reconfiguré le rapport de force dans la région sinon comment expliquer l'implication militaire de la France au Mali et la révision à la hausse de l'engagement américain en Irak ? Conjoncturellement, on pourrait croire que les islamistes sont en perte de vitesse parce que leur représentation politique dans les institutions officielles du pays est en recul. Mais ne nous leurrons pas, l'organisation des islamistes a devant elle de beaux jours. Elle tire sa puissance du relais gigantesque des mosquées, du vivier de l'Ecole qui fabrique des cohortes de jeunes formatés au discours obscurantiste, de l'économie informelle dont elle détient l'essentiel des leviers sans oublier l'aide financière de l'Arabie Saoudite, la Turquie, le Qatar, etc.
La deuxième erreur est la conséquence directe de la première. C'est pourquoi ces partis démocrates, le FFS et le RCD, veulent faire cavalier seul en tournant le dos aux autres démocrates. Ils ne sont pas dans la dynamique du rassemblement patriotique et démocratique mais dans l'idée de constituer une alliance contre-nature pour renverser le rapport de force actuel à leur profit. Ils pensent ainsi pouvoir s'extraire du piège du couple infernal système/islamisme en s'alliant avec l'un de ces deux protagonistes mais l'expérience démontre que le système et l'islamisme ne laisseront aucun espace à leur allié respectif et les écraseront sans vergogne. Le camp des démocrates a besoin d'être consolidé plus que jamais par les voies du dialogue et de la concertation. Faisons en sorte que le débat s'instaure d'abord et avant tout entre tous les courants de la grande famille démocratique et républicaine. Rapprochons nos points de vue loin de tout sectarisme en scellant nos points de convergence dans un pacte républicain. Ce n'est qu'à partir du moment où une feuille de route commune aura été élaborée que la mouvance démocratique devra alors passer à la vitesse supérieure en mobilisant la société et en entamant des discussions politiques avec les autres parties.
Le Forum des citoyens pour la deuxième République (FCDR), à l'aide de quelques pionniers de la société civile, a pris l'initiative de baliser la voie à une telle convergence. Faisons en sorte de renforcer ce premier cadre rassembleur des démocrates, ou d'en créer un autre vers lequel devraient converger toutes les forces éprises de liberté et de dignité pour bâtir ensemble une transition républicaine et démocratique dont le pays a tant besoin.
Que propose alors le PLD pour résoudre la crise ?
Il nous faut tirer les leçons de ces deux dernières décennies qui ont été marquées par une violence islamiste sans précédent. L'Algérie a failli basculer dans une dictature théocratique mais des courants anti-islamistes au sein du système, soutenus par les pôles les plus avancés de la société, ont éloigné le spectre de son désastre. Pour autant, la situation politique aujourd'hui demeure très grave : la vacance du pouvoir continue au sommet de l'Etat, le pays est travaillé par des forces centrifuges internes et externes dont la résultante générale risque de conduire à son éclatement, certains partis démocrates aveuglés par des considérations politiciennes frayent désormais dans les eaux troubles de l'islamisme politique ou ont vendu leur âme au pouvoir.
Un système qui transforme tout ce qu'il touche en champ de ruines doit disparaître. C'est pourquoi, il y a urgence à s'en émanciper en s'engageant pacifiquement sur la voie d'une transition républicaine avec l'ensemble des forces patriotiques. A cet effet, nous avons avancé un certain nombre de propositions de sortie de crise dont l'essentiel consiste à mettre un terme au système actuel en prononçant la caducité de toutes ses institutions (APC, APW, APN,...), classe politique comprise, et en proclamant une nouvelle République qui consacre la séparation du politique et du religieux et l'égalité en droit des femmes et des hommes. L'armée a un rôle primordial à y jouer. Elle doit être le garant du caractère pacifique de la transition et de son issue démocratique comme n'a jamais cessé de le demander le PAGS, bien avant l'arrêt du processus électoral de 1991, Ettahadi, le MDS de feu Hachemi Chérif, et aujourd'hui le PLD.


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