Le regretté Boualem Oussedik nous a quittés le 27 novembre 2013 à l'âge de 85 ans et rejoint sa dernière demeure à El Alia. «L'intello, le poète combattant, le journaliste-maquisard, la plume de Bouzegza, de Zbarbar, de Tiberguent, a quitté, en une froide et pluvieuse journée de novembre, sa famille et ses amis.» Il s'en est allé rejoindre ses nombreux compagnons et frères maquisards de l'«époque héroïque» dont chacun retrace une page glorieuse de la Révolution de novembre 1954 : Ali Lounici, Si M'hamed, Si Sadek, Ouamrane, son ami Frantz Fanon, ses cousins Omar Oussedik, Mourad, Tahar, Sadek et tant d'autres. Rappeler, aujourd'hui, le souvenir de Boualem Oussedik c'est retracer le parcours héroïque d'un officier de l'ALN dont le nom de guerre était Boualem Taibi. C'est perpétuer l'engagement que portait ce patriote à l'Algérie dans son cœur et son corps jusqu'à son dernier souffle. En ce premier anniversaire de sa disparition, l'hommage qui lui est rendu est également l'expression mémorielle inaliénable et inoubliable de notre reconnaissance et de notre gratitude pour nos vaillants martyrs et tous les hommes qui ont choisi de servir sincèrement leur patrie. Boualem Oussedik fait partie de ces héros ordinaires qui représentent ce qu'il y a de remarquable dans notre culture ancestrale, dans notre société : l'humilité, la sincérité, le courage, la solidarité, et le respect des autres. En ce premier anniversaire de sa mort, joignons à notre recueillement, à notre émotion, le rappel d'une partie du chemin de cet homme hors du commun. Au milieu de tant d'ombres de glorieux Martyrs ! De sœurs et frères d'armes, de Patriotes ! De familiers et d'ami(e))s de divers horizons, n'attendez pas qu'il vous soit restitué tel que vous avez pu le connaître : sa silhouette longue et racée, son front soucieux qu'illumine un doux regard, ses longs et lisses cheveux qui faisaient penser beaucoup plus à un héros romantique qu'à un guerrier, tout à tour ironique ou cordial, un homme qui aimait plaisanter mais par moment brusque, entraîné qu'il était par sa vivacité. Tel fut cet esprit brillant qui ne laissait jamais indifférents tous ceux qui l'ont approché. Homme du devoir exigeant, éveilleur d'esprit, militant rigoureux et désintéressé, ami fidèle et discret, généreux et disponible : tel a toujours été Boualem Oussedik. Nul ne peut oublier ses qualités de cœur. Cela lui vaudra et lui vaut toujours estime et respect de tous ceux qui l'ont connu. L'histoire de Boualem Oussedik commence à Sidi Namane, à quelques kilomètres de Tizi-Ouzou, où il est né le 29-09-1929. Homme de valeur et infatigable militant, il rejoint les rangs des combattants de la liberté, bien avant l'Appel de l'UGEMA du 19 mai 1956. Etudiant brillant et titulaire de plusieurs diplômes, il participe activement à la lutte de libération au sein de la Zone autonome d'Alger. Certains étudiants furent très tôt en contact avec l'organisation du FLN. À partir de mars 1955, Abane Ramdane constitue à Alger une sorte de «brain-trust» de la révolution. Il fait appel à certains étudiants déjà engagés dans la lutte. L'on retrouve Boualem Oussedik, Mohamed Rachid Amara, homme de confiance de Abane, Mohammed Benyahia, président de la Section UGEMA d'Alger, Allaoua Benbatouche, Lamine Khène et Saïd Hermouche. Responsable de la Zone autonome d'Alger, Ben M'hidi s'appuie sur les groupes Action et le réseau Bombes. Boualem Oussedik, puis Taleb Abderrahmane furent des membres importants de ce réseau, le premier comme animateur politique du groupe de chimistes communistes, dont Daniel Timsilt, le second en tant que technicien des explosifs. Activement recherché par les services de sécurité français auxquels il réussit à échapper, Boualem quitte l'université à vingt-deux ans, pour rejoindre le maquis. Dès son arrivée en Wilaya IV, le colonel Si Sadek le charge du Service propagande. A l'exemple de Boualem et de ses compagnons, «convaincus qu'avec un diplôme en poche, ils ne feront pas de meilleurs cadavres», des centaines de lycéens et d'étudiants quittent, le 19 mai 1956, les bancs des lycées et des amphithéâtres pour prendre le chemin du maquis. Le capitaine Boualem (Taibi) Oussedik va assurer durant la guerre de Libération nationale la direction du Service propagande et information de la Wilaya IV aux côtés du colonel M'hamed Bougara. Il sera par la suite responsable du même service à la Zone autonome d'Alger avec le commandant Azzedine. Blessé sérieusement et à de nombreuses reprises, il gardera toujours une totale discrétion sur ses pénibles et héroïques épreuves. C'était un caractère sûr, un homme dévoué aux causes qu'il entendait défendre comme à ses amis. A l'occasion de la célébration de la Journée de l'étudiant en mai 2014, soit six mois avant sa mort, le Forum de la Mémoire, en coordination avec l'association Machaâl Echahid, lui rendra un vibrant hommage ainsi qu'à son compagnon Tewfik Abdelaoui avec lequel il a mis sur pied le Service propagande et information (SPI) de la Wilaya IV. Zohra Drif-Bitat, Lamine Khane, Omar Boudaoud, Ali Haroun, Mustapha Cherchali, Mustapha Blidi, ont tenu à souligner par leurs témoignages les mérites de la branche propagande et information du FLN. Invité à prendre la parole lors cette manifestation, Boualem Oussedik préfère, durant toute son intervention, parler de martyrs anonymes : «Comme cet infirmier qui prenait soin des moudjahidine blessés. Il lui arrivait même de pratiquer des opérations chirurgicales. Lors d'un ratissage, il avait reçu l'ordre de quitter l'infirmerie. Il avait refusé d'appliquer cette directive. Il était, pour lui, hors de question d'abandonner «ses» blessés. Lors du bombardement, il fut tué, les armes à la main. Les soldats français avaient découvert dans sa poche un papier, l'ordre lui intimant de quitter les lieux. Un des officiers français, en admiration devant cet homme, dira à ses soldats : «Voilà un exemple. Cet homme a préféré mourir plutôt que d'abandonner ses blessés.» Ce genre de souvenir, Boualem Oussedik en a plein la tête. Il ajoute : «Je me rappelle encore ce djoundi, que nous avons rencontré au pied d'un arbre. Il se tenait en position de prière. Nous étions étonnés de le voir dans cette posture devant un grand arbre. C'est après que nous avons su, que sous l'arbre était enterré un moudjahid tombé au champ d'honneur.» Cette anecdote qui a fait pleurer Boualem Oussedik et ses compagnons nous rappelle que sous chaque arbre est enterré un chahid, et chaque parcelle a été irriguée par le sang de millions d'Algériens. Lors de cet hommage, Zohra Drif, moudjahida et vice-présidente du Conseil de la nation, rappelle de façon poignante et avec émotion : «Je veux rendre un hommage à Boualem Oussedik en tant que moudjahid et en tant qu'étudiant. Personnellement, je me sens redevable envers lui, car c'est grâce à lui que j'ai pu avoir le contact, à l'époque, avec le Front de libération nationale. Il faut dire que j'étais très jeune. C'était ma première année à la Faculté d'Alger, et je ne connaissais personne. En fait, la Révolution venait d'éclater et je cherchais le contact, sachant que c'était un mouvement secret, voire clandestin et que personne ne me connaissait. Par ailleurs, je savais que pour le FLN, il fallait des critères rigoureux. Donc, il me fallait un parrain. J'ai eu la chance, un jour, de rencontrer Boualem Oussedik. A la faculté, il m'a abordée. Il s'est présenté.... Et c'est ainsi qu'on a eu notre premier contact avec le FLN, grâce à Boualem Oussedik. Le défunt mérite l'hommage de tous les Algériens.» Le Dr Lamine Khane, ancien ministre et ancien responsable de la Wilaya IV avant de partir pour la Wilaya II, rendra, de son côté, un vibrant hommage à toute la famille Oussedik. Le Professeur Omar Zemirli souligne dans un autre témoignage : «Citer les hauts faits d'armes de Si Boualem requiert un immense travail de recherche. Certains de ses actes ne peuvent être oubliés, car grâce à la vigilance du Service de propagande et d'information (SPI), qu'il dirigeait, grâce à son intelligence, sa clairvoyance, son esprit critique, ses renseignements sur les méthodes des services psychologiques de l'ennemi, à leur tête le capitaine Léger, l'extension au sein de la Wilaya IV de l'une des plus grandes purges de la révolution, "la bleuite", a été freinée.» Boukhalfa Amazit nous rapporte que, lors d'un entretien qu'il avait accordé à El Watan, en compagnie du défunt capitaine Ali Lounici, Boualem Oussedik se souvenait de cette période que Si Ali qualifiait de «romantique» : «Te souviens-tu, lui disait-il, de la création des commandos ? Te souviens-tu de Si Abdelaziz ? C'est le premier à avoir réuni sa katiba (compagnie de 110 hommes, ndlr) et qui leur a dit qu'il fallait qu'ils s'organisent comme un Etat.» «Je veux, leur a-t-il dit, que vous choisissiez parmi vous un commissaire politique qui soit suffisamment formé.» C'est la katiba qui a choisi son commissaire politique, tout comme elle a choisi son responsable des renseignements et liaisons, son intendant et toutes les structures ont ainsi été démocratiquement désignées, jusqu'au nom de la katiba. Celle-ci s'est appelée Zoubiria du nom du chahid Si Zoubir. Puis c'est devenu une tradition, les commandos prenaient les noms de martyrs. Il y avait une tolérance extraordinaire. Y compris le Ramadhan, qui était parfois interdit en raison de l'âpreté des combats.» Cette katiba sera commandée plus tard par son ami de toujours, Si Lakhdar Bouregaâ. Si Azzedine rapporte dans son ouvrage Les fellaghas : «Fin 1958, notre responsable de l'information et de la propagande, Boualem Oussedik, désira informer de notre lutte les Pères blancs de la ferme Lodi. Nous les pensions ouverts à notre cause et leur orientation n'avait pas manqué de braquer contre eux la population européenne. Un groupe de moudjahidine enleva donc le frère Jean-Luc et un autre moine... Boualem Oussedik se joignit au groupe et rencontra les Pères blancs. La discussion fut orageuse. Boualem évoqua le napalm, le génocide, les injustices, les tortures. Non, l'Eglise ne pouvait pas rester neutre... L'Evangile n'allait pas dans le sens du colonialisme...» «Après bien des péripéties et au bout de sept jours, raconte le commandant Azzedine, nous libérâmes les Pères blancs. Devenus nos amis, ils nous fournirent des médicaments et plaidèrent notre cause.» Il ajoute : «Dans cet ordre d'idées et pour montrer le génie de l'ALN dans le domaine de la contre-propagande, je cite un exemple de tract diffusé par le Service de presse et d'information (SPI) de la Wilaya IV, dirigée à l'époque par le moudjahid Boualem Oussedik, lors de la prise du pouvoir par le général de Gaulle. Le contenu de ce tract disait ceci : «Avec un Goal ou de Gaulle (deux goal), le but sera marqué», avec un dessin montrant le ballon avec le sigle FLN, pénétrant et déchirant les filets des bois gardés par le général de Gaulle, en cuissette et képi. En 1959, Boualem Oussedik se rend en Tunisie où il rencontre le docteur Frantz Fanon. Ils sillonnent ensemble l'Afrique. Il dira de Fanon : «J'ai personnellement été sauvé par Frantz Fanon qui m'a prodigué conseils et soins. Il m'a requinqué car psychologiquement, une fois à l'extérieur, comme beaucoup, j'étais totalement déglingué.» L'épouse du docteur Fanon, Josie, dira en parlant de son mari : «Il avait le culte de l'amitié et des Algériens comme Omar et Boualem Oussedik, le commandant Azzedine et beaucoup d'autres pourraient vous parler de l'amitié qui les unissait à mon mari.» Boualem Oussedik sera ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) au Mali et en Suède. Après l'indépendance nationale, il occupera de nombreux postes dont celui de secrétaire général du ministère du Travail. Il sera également député à la première assemblée constituante. Cet infatigable militant au service d'une seule cause que tous ses compagnons lui connaissent : l'Algérie ; cet homme dont la vie se confond avec l'histoire de l'Algérie dont il incarne la longue lutte pour l'indépendance et la dignité sera arrêté en juillet 1964 et mis en résidence surveillée à Timimoune, malgré son immunité parlementaire. Il aura pour compagnons d'infortune l'ancien Président du GPRA, Ferhat Abbes, l'ex-président de l'Exécutif, Fares Abderahmane, l'ancien ministre de la Justice Bentoumi, le commandant Berredjem de la Wilaya II et le député Mezhoudi.N'est-ce pas lui qui a écrit, sur les monts de Zbarbar, à la lumière d'une bougie : «Sur les sentiers de nos montagnes, dans les sombres profondeurs de nos forêts, dans les rues bruyantes de nos cités, il y a des millions de femmes et d'hommes et d'enfants ! Et tous luttent et préparent les lendemains radieux !» il a ajouté : «Frère ! Lève les yeux au ciel bleu d'Algérie ! Et rends-toi compte qu'il y manque une étoile et qu'il faudra l'y mettre demain...» L'Algérie, tes compagnons et tes amis n'oublieront jamais que tu as été un patriote intègre et un vaillant moudjahid qui a sacrifié sa vie pour que nos enfants vivent dans l'honneur et la dignité. La force de ton engagement au service de la liberté, de la justice, de la paix et du développement des damnés de la terre demeure exemplaire. Puissent ta vie et ton action militante être pour la jeunesse un exemple et une source d'inspiration, particulièrement en ces temps difficiles. L'histoire a gravé à jamais ton nom au temple de notre mémoire. Repose en paix Boualem Taibi, nous te gardons pour toujours, dans nos esprits et dans nos cœurs ! Nul besoin de t'ajouter que ton souvenir accompagne chacun de tes compagnons, chacun de tes amis, à chaque instant : Allah yerham chouhada ! La famille Oussedik Ceux qui ont su mourir Ceux qui ont su mourir Lorsque sonna l'heure Ceux qui ont su partir Sans changer de couleur Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir Dans les sombres cachots Ceux qui ont su partir Le front ceint d'un halo Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir Pour les cités futures Ceux qui ont su partir En riant des tortures Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir Au milieu des batailles Ceux qui ont su partir Debout dans la mitraille Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir Au milieu des tempêtes Ceux qui ont su partir Sans détourner la tête Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir De l'orphelin les yeux Ceux qui ont su partir Le regard dans les cieux Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir L'espoir à la main Ceux qui ont su partir Au détour d'un chemin Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir Transfigurés, sereins Ceux qui ont su partir Sans regret ni chagrin Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir Un hymne sur les lèvres Ceux qui ont su partir En chantant leur fièvre Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir En brisant les geôles Ceux qui ont su partir Pour que les fleurs éclosent Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir Pour une juste cause Ceux qui ont su partir Pour que les fleurs éclosent Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir Pour l'Algérie martyre Ceux qui ont su partir Avec beau sourire Ils étaient les meilleurs Ceux qui ont su mourir Ne doivent pas partir Ceux qui ont su partir Ne doivent pas mourir Gardons leur souvenir. (poème de Boualem Oussedik écrit en 1958)