Riveneuve Continents est une revue littéraire francophone qui existe depuis 2004. Ce trimestriel compte de nombreux écrivains dans son comité de rédaction à l'instar Le Clézio, Jean-Michel Djian, Lise Gauvin, Leïla Sebbar, Cheikh Hamidou Kane, etc. Dirigée par le chercheur Gilles Kraemer, la revue fait également appel à des rédactions temporaires selon les lieux et les thèmes qu'elle aborde d'une édition à l'autre. Le 19e numéro qui paraîtra au printemps 2015 sera consacré à l'Algérie sous le thème «Nahda des lettres, renaissance des mots». La rédaction en chef a donc lancé un appel à participation à certains écrivains, journalistes et intellectuels algériens qui, chacun selon ses sensibilités, ses souvenirs et ses approches, pourront proposer des textes dans le cadre d'un argumentaire défini par la revue. On y lit : «Guerre civile ? Décennie noire ? Ou rouge ? Waqt el-Youm ? Parfois simplement, irhab. L'Algérie demeure confrontée à un double défi : le nom qu'on ne trouve jamais et la violence qui reste toujours là, suspendue dans l'air du temps des commémorations et des attentats «résiduels», auxquels sont confrontées les lettres algériennes dans leur foisonnement et dans leur recherche de l'espace littéraire». Bien que cette mise ne contexte peut sembler redondante et éculée tant elle aura marqué une grande partie des publications occidentales, et notamment francophones, sur l'Algérie, ce 19e numéro n'est pas pour autant fermé à une écriture résolument contemporaine, subjective et, parfois, dissemblable à la stylistique des années 1990 communément qualifiée de «littérature d'urgence». C'est probablement ce recul et ce regard distancié mais toujours marqué par une mémoire jamais apaisée que Riveneuve veut interroger. Même si l'argumentaire insiste sur particulièrement sur la persistance de ce passé au cœur d'un présent truffé d'amnésies forcées et de traumas intériorisés : «La solitude de l'écrivain se nourrit paradoxalement, dans l'acte d'écrire dans l'Algérie des années post-traumatiques, par la connexion au présent et au monde. Au présent des souvenirs et des commémorations ancrées dans la mémoire collective d'une société meurtrie, une société qui ne veut même pas reconnaître ses traumas pour avancer. Un présent arrimé aussi à la volonté d'être ensemble, après la chute de l'idéal du ‘‘frère'', le ‘‘kho' algérien, durant les années 1990 quand des Algériens ont massacré d'autres Algériens. Ce que des textes littéraires, de Boudjedra à Mimouni, ont souligné cruellement.» On peut donc aller au-delà du souvenir sanglant pour plonger sa plume dans une société à mi-chemin entre le cauchemar harassant des années de meurtres collectifs et l'aspiration à une vie nouvelle : «Et dans le même temps, la société algérienne montre des signes de résilience. Malgré la grande incertitude dans laquelle la plonge la persistance au pouvoir d'une génération mourante sans succession et l'absence de projet de société, elle vit. Et l'on est tenté de dire qu'elle vit de plus en plus collectivement. Etre ensemble à l'image de collectifs informels dans lesquels se sont retrouvés syndicats autonomes, associations de défense des citoyens, associations culturelles, etc., nés de luttes plus ou moins récentes. Comment écrire dans cet entre-temps, le temps de la reconstruction de l'être ensemble et celui de l'entre-tuerie nationale ?» lit-on encore dans l'argumentaire. De ce fait, la revue Riveneuve veut questionner «ce défi presque inconscient des lettres algériennes» ; celui de vouloir transcender les limites de l'écrit-témoignage et oser une littérature inscrite dans l'ici et maintenant mais aussi dans l'universel et l'humain. Pour rappel, cette revue littéraire a sillonné les littératures du monde d'Asie en Amérique latine en passant par l'Afrique et l'Europe. Ses éditions s'intéressent aussi bien à des territoires qu'à des thématiques liées à l'écriture. Ses derniers numéros ont traité par exemple de «L'art en exil», «Maroc : les lettres portuaires», «Vietnam : la beauté du lotus», ou encore «Harlem héritage».