La délégation du FCE, conduite par son tout nouveau président Ali Haddad, chez les ministres du gouvernement Sellal, fait parler d'elle. Les décisions annoncées expressément à l'issue de chaque réunion suscitent des interrogations. Pour le président de Jil Jadid, Sofiane Djilali : «Nous sommes face à un pouvoir parallèle qui tire sa substance de l'absence du chef de l'Etat». Le porte-parole du MSP, Zineddine Tebal, estime que c'est «très dangereux de voir l'argent se substituer aux institutions». La SG du PT, Louisa Hanoune, considère que «Ali Haddad s'est substitué au gouvernement et au chef de l'Etat». Mehdi Mehenni - Alger (Le Soir) La tournée de la délégation du Forum des chefs d'entreprises, à sa tête l'homme d'affaires Ali Haddad, chez déjà dix ministres donne matière à polémique. L'entrevue, dimanche, entre le FCE et le ministre des Transports Amar Ghoul n'est pas passée inaperçue. Une rencontre à l'issue de laquelle, des décisions importantes ont été annoncées, entre autres l'ouverture de l'espace aérien et le fret maritime au privé. Des chasses gardées sur lesquelles tous les gouvernements n'ont jamais voulu céder. Ainsi, ce que beaucoup n'ont pas réussi à obtenir pendant des années, le tout nouveau patron du FCE l'a eu en l'espace d'une entrevue. Pour le porte-parole du MSP, Zineddine Tebal «si nous étions dans une démocratie où chacun avait son rôle, ces rencontres seraient banales». Mais hélas, soutient-il «nous connaissons la proximité d'Ali Haddad avec le clan présidentiel». Il ajoute à ce propos : «Les ministres qu'il a rencontrés sont venus le jour de son élection à la présidence du FCE. Il est clair que ces hommes d'affaires sont en passe de prendre le relais du pouvoir. Est-ce que ce n'est pas eux qui gouvernent aujourd'hui, et quels sont dorénavant les rôles des institutions ?». Zineddine Tebal précise que «le MSP n'a rien contre les hommes d'affaires qui participent au développement de l'économie nationale et la construction du pays». Mais ce qu'il n'admet pas et considère problématique c'est de «voir des patrons plus puissants que des ministres». Il juge même que «c'est très dangereux de voir l'argent se substituer aux institutions». C'est le fruit du 4e mandat ! Le président de Jil Jadid, Sofiane Djilali, livre de son côté la même lecture, mais dans des propos plus audacieux. Pour lui, : «C'est le fruit du 4e mandat». Il ira d'ailleurs plus loin en considérant que c'est «la disparition du gouvernement pour laisser place à des structures nouvelles, parallèles et informelles». Il soutient que «c'est maintenant le président du FCE qui donne des instructions aux ministres à la place du président de la République». Sofiane Djilali estime aussi que «le gouvernement n'a plus aucune existence et qu'il est là pour la forme». Il ajoute que «toutes les décisions viennent d'ailleurs». Et ce à quoi cela rime, le président de Jil Jadid livre davantage d'explications : «C'est un signe de l'effondrement d'un pouvoir politique. Plus aucune institution n'est d'ailleurs fonctionnelle. Premier ministre, ministres, APN, Sénat, APW n'ont plus aucun rôle. Donc, après l'effondrement du pouvoir politique, c'est bientôt le fondement de l'Etat qui sera menacé». Aussi, Sofiane Djilali ne comprend pas comment Ali Haddad qui a été coopté par une trentaine de chefs d'entreprises, à la tête d'une structure à caractère syndical, c'est maintenant lui qui donne des instructions au gouvernement. Plus grave encore, regrette-t-il, «il convoque les ministres pour exiger des mesures». Conclusion du président de Jil Jadid : «Ce ne sont donc plus les structures habituelles qui dirigent le pays. Nous sommes face à un pouvoir parallèle qui tire sa substance de l'absence du chef de l'Etat. Les prérogatives constitutionnelles d'Abdelaziz Bouteflika se trouvent éparpillées entre différents acteurs illégitimes». Collusion entre les affaires et les institutions de l'état Pour la SG du Parti des travailleurs «c'est une dérive d'une extrême gravité et sans précédent. Pour Louisa Hanoune, «cette dérive vient confirmer un dérapage qui a commencé il y a quelques mois déjà, lorsque des ministres sont partis faire acte d'allégeance au candidat du FCE». L'ouverture du ciel au privé signifie, à ses yeux, «la remise en cause totale de la souveraineté du pays». Sur ce même chapitre la première dame du PT livre une confidence : «J'ai discuté avec le ministre des Transports, et il a confirmé ce que je pensais déjà. L'ouverture du ciel est une exigence américaine parmi d'autres pressions multiples sur notre pays. Il a d'ailleurs renvoyé au gouvernement la décision et le Président n'a pas encore tranché». Elle ajoute à ce propos : «Si le gouvernement décidait d'une telle option, ce serait poignarder l'Algérie dans le dos. Le PT s'opposera et combattra cette option de toutes ses forces». Mais le plus grave pour Louisa Hanoune consiste en un fait qu'elle dénonce fortement : «apparemment, Ali Haddad est devenu le chef de l'Etat à l'insu de tout le monde. C'est décidément lui qui tient le levier des commandes et dicte les orientations économiques». Aussi, et même si la SG du PT reconnaît que «le patronat peut aider dans le développement économique du pays», elle estime qu'à ce niveau «il n'est pas dans son rôle». Elle en rajoute d'ailleurs une couche pour mieux situer Ali Haddad : «Il s'est substitué au gouvernement et au chef de l'Etat. Il parle même au nom de la République». L'équation est ainsi simple pour Louisa hanoune : «L'ouverture du ciel signifie la mise à mort d'Air Algérie et de Tassili Air Lines. Et les assurances que le président du FCE donne concernant les lignes rentables qu'Air Algérie pourrait garder, c'est exactement le même discours que tenait Abdelmoumène Khalifa». Pour elle, «c'est le démembrement de tout un secteur qui bat pavillon national». Abordant les dysfonctionnements qui ont récemment caractérisé Air Algérie, elle affirme qu'il s'agit d'un «complot à mettre en relation avec l'ouverture du ciel. C'est un plan assassin. On est en train de préparer l'opinion publique. Ce n'est pas le patronat algérien qui va d'ailleurs exploiter l'ouverture de l'espace aérien mais les compagnies étrangères». Elle lance un soupir : «J'interpelle le président de la République. Il s'agit de Khalifa bis». Louisa Hanoune conclut : «Nous avons aujourd'hui la confirmation par les faits de nos contraintes concernant la collusion entre les affaires et les institutions de l'Etat».