Entretien réalisé par Khadidja Baba Ahmed Le Soir d'Algérie : Vous venez de republier une contribution de 2004 où vous appelez les Algériens «à s'unir et à... mettre de côté leurs divergences politiques» et où vous rejetez en même temps «le maintien d'un système totalitaire et... l'aventurisme démocratique». Que répondez-vous à ceux qui jugent que cet appel à la raison au régime en place est de l'angélisme politique et qu'il est naïf d'espérer que le système puisse se réformer de l'intérieur ou même en avoir la volonté ou l'idée ? Mokdad Sifi : Je ne suis pas naïf au point de m'attendre à ce que le pouvoir en place se saborde lui-même. Par contre, je suis rationnel et réaliste et je ne crois pas au changement par la violence. Je suis convaincu que toute contestation violente de ce pouvoir débouchera sur une déstabilisation du pays pour deux raisons principales : une raison externe, liée à la volonté de certaines puissances de déstabiliser l'Algérie pour des intérêts économiques et stratégiques qui leur sont propres, et une raison interne, liée à la fragilité des institutions nationales et à la persistance d'une vague terroriste qui ne demande qu'une occasion pour ressurgir. Le pouvoir actuel lie son maintien à la stabilité du pays, ce qui est en partie vrai, car imaginez-vous une vacance soudaine et violente du pouvoir avec tout ce que cela implique de luttes de clans et de fragilisation des équilibres politique, économique, social et sécuritaire, aussi précaires que ces équilibres puissent être. Cette vacance soudaine du pouvoir débouchera inexorablement sur une anarchie que même l'armée ne pourra pas maîtriser. Cependant, le maintien de ce pouvoir, tel qu'il est, ne fera que seulement retarder, amplifier et aggraver une explosion sociale et sécuritaire. C'est pour cela que j'appelle à la sagesse. Je suis convaincu qu'il y a encore des patriotes dans les rouages de ce pouvoir et que notre peuple a les ressources pour surmonter cette crise. L'union qui s'est construite dans les années 90 pour lutter contre le terrorisme et rejeter la destruction de l'Etat est un exemple vivant de ce que peuvent faire les Algériens lorsqu'ils sont acculés et surtout solidaires. Beaucoup de responsables importants savent que le régime actuel est condamné à disparaître et que le délai se compte en mois. Ils réfléchissent certainement à des alternatives. Mon appel consiste à leur dire qu'il n'y a pas d'autre alternative qu'une révolution pacifique et que les alternatives qui consistent à mettre X à la place de Y ne sauveront pas le régime ; au contraire, elles accéléreront sa mort violente aux dépens de notre nation et de notre peuple. Après plus de 9 mois d'exercice du 4e mandat par le Président Bouteflika, comment qualifieriez-vous, en très peu de phrases (on y reviendra), la situation globale ? Pourquoi parler de 9 mois et de 4e mandat puisque la situation se dégrade depuis 15 ans. En 2002, j'avais répondu à la même question d'un journaliste de l'Expression pour souligner que «la situation empire dans tous les domaines. Chaque année, les choses se détériorent un peu plus. Chaque année, il y aura moins de postes d'emploi, moins de pouvoir d'achat, moins d'eau, moins d'écoles, moins de santé, moins d'Etat, moins de justice...». Le président de la République et son Premier ministre ont, depuis, confirmé eux-mêmes ces prévisions en reconnaissant «l'échec collectif et la responsabilité collective» de la gestion du pays. Le premier, en déclarant devant les maires réunis en 2008 : «Nous nous sommes trompés. Nous nous sommes rendu compte que nous avons fait fausse route... En matière de politique de privatisation et d'investissement, nous nous sommes cassé le nez !» Et le deuxième, affirmant dans sa conférence de presse du 2 juin 2012 : «La situation difficile (sécuritaire et économique) vécue par l'Algérie dans les années 90 peut revenir dans un monde impitoyable si on ne construit pas le pays.» Il avait aussi déclaré que «l'économie est devenue un bazar» et «l'argent sale gouverne le pays». Il reste que l'Algérie n'a malheureusement pas su exploiter, durant 15 années, l'embellie exceptionnelle des prix du pétrole jusqu'à 150 dollars le baril, pour asseoir une véritable économie productive, saine, solide et diversifiée. Des centaines de milliards de dollars ont été dilapidés par des dirigeants incompétents dont la mauvaise gestion n'a d'égale que leur suffisance et leur arrogance La manne pétrolière qui s'amenuise brutalement aujourd'hui a pu cacher temporairement la crise profonde que vit notre pays aux plans politique, économique, social et culturel, mais, malheureusement, elle n'aura servi qu'à exacerber l'indigence politique, le vide institutionnel, l'hérésie économique et les inégalités sociales qui réapparaissent au grand jour et menacent très dangereusement l'avenir de la nation. Qu'est-ce qui explique, selon vous, que quasiment tous les anciens Premiers ministres, y compris vous-même (et en dehors d'Ouyahia et de Belkhadem), se retrouvent dans l'opposition à un pouvoir qu'ils ont malgré tout et à des degrés divers servi ? En 1998, alors que j'étais vice- président de l'Assemblée populaire nationale, j'avais répondu à une question d'une journaliste d'El Watan en disant : «Je n'appartiens à aucun clan... Le clanisme a été et reste une des causes principales de nos problèmes ; il pervertit nos institutions, bloque notre développement et affaiblit la démocratie. De la même façon, je ne suis pas de ceux qui prêtent allégeance ou jouent le rôle de courtisan d'un quelconque pouvoir.» J'ai été chef de gouvernement du 11 avril 1994 au 31 décembre 1995, en plein terrorisme, dans une Algérie à feu et à sang, en cessation de paiement, subissant les effets néfastes de l'isolement, la condamnation et le boycott sur le plan international, et dont le tiers des 1 541 communes, échappant à l'autorité de l'Etat, étaient sous contrôle total des terroristes. Durant cette période de transition critique, il n'y avait ni président de la République ni Assemblée nationale. Les gens fuyaient les postes de responsabilité et de nombreux hommes politiques et partis se terraient. Des patriotes se sont mobilisés pour maintenir l'Algérie debout face au terrorisme. J'avais accepté cette mission par devoir patriotique sacré au risque de ma vie et des vies de ma famille. Je suis fier d'avoir servi mon pays. Je n'ai servi aucun pouvoir ni aucune personne ; seules mes convictions et mon devoir guidaient mes paroles et mes actes, je n'ai répondu à aucune injonction et on ne m'a fait aucun cadeau, bien au contraire. D'ailleurs, je me suis présenté en 1999 en candidat indépendant et me suis retiré, parmi les 6, contre le candidat du pouvoir et malgré les fortes pressions du pouvoir ! Je vous rappelle que j'avais, auparavant, démissionné du RND parce que j'étais opposé à la politique du pouvoir d'alors que j'avais publiquement dénoncée. Et d'ailleurs, même en tant que chef de gouvernement, je soulignais à chaque fois, dans mes discours, que la crise de notre pays avait pour origines la mal-gouvernance du pouvoir et la hogra. Contrairement à ce que certains peuvent croire, je n'étais ni «bâillonné» ni «muselé». Et si vous voulez une preuve finale de mon indépendance du pouvoir, il suffit de constater que dès qu'un président de la République a été élu en 1995, il a mis fin à mes fonctions malgré ma participation à son succès électoral. Cela en ce qui me concerne. Quant aux autres anciens Premiers ministres, tous respectables, je ne voudrais pas m'exprimer en leurs noms. Par ailleurs, il serait injuste de les mettre tous dans le même panier. Chacun a son extraction et son parcours propres. Trois acteurs de l'opposition se font entendre : la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique CNLTD, le FFS et Mouloud Hamrouche qui agit pour l'heure en solo. Où vous situez-vous par rapport à ces trois acteurs, vous qui avez déclaré en février 2012 : «Je ne crois pas aux partis», et qu'est-ce qui motive le choix que vous faites aujourd'hui ? Je respecte et salue les efforts de tous ces acteurs politiques qui essaient sincèrement de trouver une issue à la crise que vit notre pays. Cependant, je ne partage pas totalement leurs points de vue. Je ne suis ni pour la rupture violente ni pour la conciliation avec un pouvoir entêté dans ses convictions de statu quo politique et enferré dans ses intérêts et ses contradictions de clans. J'ai expliqué ma démarche dans ma lettre à Bensalah en juin 2011 quand j'écrivais qu'«il importe au plus tôt d'instaurer une période de transition, conduite par un gouvernement de transition représentatif adossé à un Conseil de sages, chargé d'amender la Constitution, d'organiser des élections présidentielle et législatives et de veiller à libérer immédiatement le champ politique et le champ médiatique de toute entrave. L'Armée nationale populaire devra s'engager à accompagner ce processus et à œuvrer à son succès». Cette proposition, qui est toujours valable dans le fond et perfectible dans la forme, suppose que ceux qui décident aujourd'hui se rendent compte, avant qu'il ne soit trop tard et pour l'Algérie et pour eux-mêmes, que seule une révolution pacifique, une rupture intelligente peut éviter à notre pays une dérive inéluctable. Je suis convaincu qu'ils le savent. Il faut qu'ils assument leurs responsabilités. Un quatrième acteur est là, toujours présent. Il s'agit des citoyens qui occupent journellement la rue et crient leur ras-le-bol, leur dénuement et leur souffrance. Qu'est-ce qui explique qu'aucun des partis de l'opposition n'arrive aujourd'hui à mobiliser ce potentiel énorme et à l'organiser ? Est-ce l'argent distribué à tout va par le pouvoir ou l'absence de proximité et d'ancrage dans la société de cette opposition ? La population a supporté durant une décennie le terrorisme qu'elle a combattu et qu'elle a défait en votant massivement contre ce terrorisme en novembre 1995, comme jamais elle n'avait voté auparavant. Cette population s'est sentie trahie en 1999. Les sacrifices ont été colossaux et pour ceux qui ont oublié, il faut peut-être rappeler : «200 000 civils et 25 000 membres des services de sécurité tués, 500 000 traumatisés et handicapés, 6 000 femmes violées, des milliers d'Algériens (intellectuels, médecins, journalistes, artistes...) exilés, deux millions d'habitants des campagnes contraints à l'exode, des milliers de personnes disparues, des centaines d'étrangers assassinés et des dégâts estimés à 4 000 milliards de dinars.» Ces sacrifices auxquels il faut ajouter les mobilisations des services de sécurité, des patriotes, des gardes communaux, des walis, des chefs de daïra, des DEC, des journalistes, des travailleurs et des cadres ont été passés par pertes et profits. Les citoyens se sont sentis bernés et par le pouvoir et par l'opposition, y compris islamiste, qui s'est coalisée avec le nouveau pouvoir. Ils ont perdu toute confiance et dans l'Etat et dans les partis. Avec l'augmentation des prix du pétrole et le lancement anarchique de grands projets d'infrastructures, la corruption à grande échelle et l'apparition d'une nouvelle classe de ce qu'on a appelé «les baltaguias politiques» ont fini par les convaincre que personne ne peut défendre leurs intérêts à leur place. En janvier 2011, au début des soulèvements arabes, le pouvoir a pu distribuer à tout-va une partie de la rente pétrolière pour faire taire la rue. Aujourd'hui, les citoyens savent que le pouvoir n'a plus d'argent à distribuer et que les rares opposants véritables n'ont aucun moyen de contrer le régime avec sa force de répression. Par ailleurs, tout parti d'opposition véritable qui tenterait une mobilisation populaire se verrait bloqué dans l'heure par le pouvoir. Vous savez, en tant que journaliste, et mieux que moi, que même pour faire une simple conférence, il faut obtenir une autorisation de l'administration. Alors quel parti, s'il est agréé, peut tenir un meeting ou un rassemblement contre le pouvoir en place et, comme vous dites, «mobiliser ce potentiel énorme et l'organiser» ? Les populations du Sud sont en colère et manifestent non seulement contre le gaz de schiste mais aussi et surtout contre leur marginalisation dans les plans de développement, et le secrétaire général du FLN a comparé ces troubles au «printemps arabe» en accusant les gouvernements successifs d'avoir abandonné le Sud. Quel est votre commentaire sur cette situation et sur ces déclarations ? En 1995, malgré la situation sécuritaire et avec un pétrole à 14 dollars le baril, nous avions bien engagé sur le terrain un vaste et ambitieux programme spécial de développement du Sud à court, moyen et long termes, intégrant les 13 wilayas concernées, couvrant toutes les activités sectorielles et devant répondre à la totalité des besoins des populations. A mon départ du gouvernement en décembre 1995, ce programme avait été gelé puis tout simplement annulé. Donc, le Sud n'avait pas été seulement abandonné ; il avait été même sciemment saboté. Ce programme spécial de développement du Sud avait été minutieusement préparé en concertation aussi bien avec les autorités locales qu'avec les représentants de la population. Par égard aux populations de ces wilayas, ce programme avait été débattu et approuvé sur place au Sud, par deux conseils de gouvernement tenus, le premier, à Adrar le 12 janvier 1995 et le second, à Béchar le 1er octobre 1995, qui étaient tous deux ouverts aux membres du Conseil national de transition et du Conseil national économique et social, aux autorités locales, walis et chefs de daïra, aux représentants de la population et à la presse nationale et retransmis par la télévision en direct à la population. 7 ministres avaient été nommément et officiellement désignés pour suivre, chacun, de très près et de contrôler sur le terrain et aider, pour le compte du gouvernement et en plus de leurs activités sectorielles, chaque quinzaine, les activités de chacune des 13 wilayas du Sud, y compris la mise en œuvre du programme spécial Sud. Au total, 23 ministres avaient été chargés nommément de suivre les activités de toutes les wilayas du pays et avaient effectué un millier de déplacements tout au long des 20 mois qu'avait duré notre gouvernement. De plus, au plan régional, un dispositif permanent de suivi de la réalisation de ce programme spécial Sud avait été mis en place à Ghardaïa le 11 décembre 1995 par le chef de gouvernement lui-même qui avait déclaré : «Parce que nous nous méfions des discours et des déclarations théoriques, et parce que nous pensons que seul le terrain peut nous guider et nous renseigner sur la réalité des actions, nous voulons instituer un dispositif de suivi du développement du Sud, qui implique tous les walis concernés avec une structure permanente qui rende compte périodiquement des efforts accomplis, des insuffisances constatées et qui, dans la concertation et la transparence, propose et étudie toutes les mesures susceptibles de favoriser la mutation de cette région stratégique du pays.» Il reste à savoir le pourquoi de l'annulation en catimini de ce programme spécial Sud et à en méditer les graves conséquences pour le pays, qui en paye aujourd'hui très cher le prix. Pourtant, les discours et déclarations du pouvoir n'avaient pas manqué à propos du développement du Sud et il paraît intéressant d'en mesurer le décalage avec la réalité en rappelant, ici, les instructions et déclarations du président de la République concernant le Sud, publiées par El Watan du 27 mars 2013 : * Conseil des ministres de juin 2004 : «Un nouveau dispositif de gestion du marché du travail fut établi. Il ambitionnait de réhabiliter l'autorité de l'Etat en matière de placement et de contrôle de l'emploi. Il vise, en outre, à mettre un terme aux dérives qui ont caractérisé l'exercice de cette activité dans certains secteurs ou régions du pays.» * 5 septembre 2005 : «Je viens aujourd'hui partager avec vous des propos graves et importants à la fois. Je reconnais que le grand Sud a été de tout temps lésé, abandonné. Cette région n'a jamais eu la place, ni l'intérêt qu'elle mérite.» * 14 septembre 2005 à Laghouat : «Mais où est donc passé le plan triennal pour la relance ? Où est-il donc passé, qu'est-il devenu ? Qu'a-t-on fait du plan triennal ? J'ai eu mal au cœur en venant ici. Car je n'ai pas trouvé grand-chose à inaugurer. Où est passé l'argent du plan triennal ?» * 22 septembre 2005 à Constantine : «Il existe des gens qui voulaient séparer le sud du nord du pays. Ils estiment que la carte de l'Algérie, qui ressemble à une femme enceinte, ne leur plaisait pas.» * 24 septembre 2005 à Ouargla : «Je me dois de dire, à partir de cette tribune, que le gouvernement est tenu, désormais, d'accorder un intérêt particulier pour les wilayas du Sud. Il faut prendre en charge tous leurs problèmes pour faire taire les fauteurs de troubles. Ceux qui ont colonisé ce pays pendant 130 ans nous ont laissé quelques corbeaux, des grenouilles qui ne connaissent rien de l'Algérie.» En ce qui concerne le projet gaz de schiste qui comporte assurément des risques, on ne doit pas, à mon avis, le mettre en œuvre sans en convaincre la population qui devra rester vigilante quand il s'agit des intérêts du pays, aussi bien au Sud qu'ailleurs dans le reste du pays. Par ailleurs il faut préciser que le nécessaire management d'un quelconque projet et de surcroît de grande envergure et/ou sensibilité prévoit obligatoirement une analyse des risques du projet et une étude d'impact sur l'environnement. Les représentants du pouvoir n'en ont pas fait état dans leurs communications en direction de l'opinion et dans leurs discussions avec la population du Sud. Faudrait-il croire que cette analyse et cette étude n'existent pas ? Ou bien que l'Etat, autoritariste, considère qu'il n'a pas à en référer à la population qui doit, selon lui, et comme toujours et par principe, se contenter de croire et seulement croire le «tout va bien» du pouvoir comme cela été le cas concernant une multitude de mesures catastrophiques prises précédemment. On peut en citer quelques-unes parmi tant d'autres, par exemple, celles de : * L'emprisonnement injustifié, durant 4 à 6 ans, avant acquittement, de 3 000 cadres gestionnaires qui a été présenté comme une action anticorruption salvatrice pour le pays, et qui s'est avéré n'être qu'une vaste et sordide manipulation criminelle gratuite et impunie, et un véritable désastre en matière de ressources humaines ; * La dissolution gratuite, intempestive et criminelle et pourtant présentée comme nécessaire, et injustement imputée à des conditionnalités du FMI, de 1300 entreprises publiques avec le licenciement de 600 000 travailleurs dont beaucoup ont été poussés au suicide, une perte sèche d'un patrimoine productif national énorme dont aucune institution ne dispose du bilan, et surtout pas le Parlement ; * La signature en avril 2002, sans débat préalable, même au niveau du Gouvernement, de l'accord d'association avec l'Union européenne, censé galvaniser notre économie et propulser l'Algérie plus haut dans le concert des nations, ce qui avait été cru, et qui constitue depuis un handicap majeur au développement du pays ; * La fameuse loi scélérate sur les hydrocarbures, adoptée à la hussarde en avril 2005 et devant livrer aux multinationales toutes nos richesses en hydrocarbures, avec Sonatrach en prime malgré elle, et heureusement remise en cause par la suite ; * La privatisation en violation flagrante de la loi et en cachette, une véritable dilapidation voilée et criminelle, de très nombreuses unités économiques publiques productives parmi les plus performantes du pays, sans compte rendu aucun à aucune institution et dont aucun bilan n'existe nulle part à ce jour. Un désastre qui a fait dire au président de la République : «...En matière de politique de privatisation et d'investissement, nous nous sommes cassé le nez !» ; * La réalisation pour 14 (12+2) milliards de dollars de ce qu'on nous avait promis, des années durant, comme étant une autoroute Est-Ouest «TOP», aux normes internationales. Contrairement aux avalanches des discours répétés durant des années, ce projet s'est avéré n'être qu'une simple chaussée de 900 km, à 2 ou 3 voies, importée et contrefaite à outrance, d'une qualité déplorable. Une simple chaussée ne peut pas être une vraie autoroute, surtout «TOP» et aux normes internationales. (Sur le linéaire global de 1 200 km, les contrats avec les Chinois et les Japonais portent sur seulement 900 km, du fait que 300 km avaient été déjà engagés, en travaux, en tronçons séparés, avec d'autres partenaires, essentiellement algériens, avant 1995, dont une bonne partie avait été livrée à la circulation avant 1999). Pour devenir, peut-être, une vraie autoroute, il manque encore à cette simple chaussée de 900 km, déjà déglinguée, une reprise de sa qualité et notamment de ses couches de fondation, sur plus de la moitié des 900 km, la réalisation des 60 échangeurs tous manquants et dont les études n'existent pas encore à ce jour, des aires de repos, des aires de péage, des relais, des points de maintenance, des stations-services, des motels et autres aires de services, une signalisation et un éclairage adéquats ; ce qui représente quelque 40% et plus du coût de cette chaussée déglinguée, appelée autoroute «TOP». Cette autoroute Est-Ouest de 900 km, une fois totalement réalisée et cela demandera des années, coûtera donc réellement et au minimum quelque 20 milliards de dollars ou même plus, soit un minimum de 22 millions de dollars au kilomètre (20 000 millions $US/900 km). Elle coûtera donc plus de 3 fois, peut-être 4 fois ce qu'elle aurait dû coûter selon les déclarations répétées du ministre des Travaux publics durant les années 2004, 2005, et 2006, lorsqu'il annonçait aux médias les chiffres de 3 à 4 milliards de dollars d'abord, 6 milliards de dollars par la suite et enfin 7 milliards de dollars ; le jour où elle sera peut-être totalement réalisée, cette autoroute de 900 km aura coûté donc au moins près de 2 fois le coût du tunnel sous la manche qui avait atteint 12 milliards de dollars. Autant d'irresponsabilité désastreuse pousse évidemment à se demander si ces gens à qui on confie, malgré nous, la gestion du pays et qui passent leur temps à nous blouser ne font pas sciemment le contraire de ce qu'ils doivent faire. Il aurait été peut-être moins néfaste pour le pays qu'ils restent en poste et qu'ils ne fassent rien. Comment alors continuer à avoir foi en les déclarations, discours et assurances du pouvoir ? C'est pour cela que la population ne croit plus les discours du pouvoir. Celle du Sud a manifesté sa colère de façon pacifique, paisible, sage, intelligente et avec détermination. Par ce comportement admirable, elle souligne encore plus l'inanité de nos dirigeants et leurs imprévoyances. K. B. A. (A suivre)
Les sévères constats de Mokdad Sifi Mokdad Sifi a été chef du gouvernement entre le 11 avril 1994 et le 31 décembre 1995. Presque deux années aux responsabilités mais dans quelles conditions ! Durant son passage à la chefferie du gouvernement, Sifi devait faire face à un vide institutionnel total, à un terrorisme islamiste ravageur et à un baril de pétrole n'excédant jamais les 14 dollars, le tout dans un contexte d'isolement international asphyxiant. C'était la période où toutes les chancelleries tablaient sur l'avènement inéluctable d'une république islamique en Afrique du Nord. Le FIS et le GIA, puissamment appuyés par des monarchies du Golfe, l'Arabie Saoudite notamment, en plus de l'Iran et la France de Mitterrand, avaient rendu le pays un véritable enfer sur terre en attendant d'en faire le deuxième Etat théocratique au monde après celui de Téhéran. Le terrorisme était quotidien, «massif» et n'épargnait aucune région du pays. Comme le dira Sifi dans l'entretien qui suit, un tiers de nos communes étaient même entre les mains des terroristes. Nos maigres recettes d'alors, à peine 8 milliards de dollars, ne suffisaient même pas à couvrir le service de la dette extérieure qui était tout de même de 9 milliards de dollars, l'an. Peu de gens se bousculaient à cette époque sombre pour aspirer à des postes de responsabilité. Pour ne citer qu'un certain Abdelaziz Bouteflika. Il déclinera, par deux fois, des postes suprêmes. La première fois, du temps du Haut Comité d'Etat que présidait feu Ali Kafi durant lequel il refusera le poste de chef du gouvernement. Une seconde fois, carrément le poste de président de l'Etat à la fin du mandat de ce même HCE. Mais ceci est une autre histoire. L'Algérie a, certes, survécu à une mort certaine et s'est extirpée des ténèbres des années 1990, avec peu, ou pas du tout de moyens et grâce à d'énormes sacrifices. Plus de 250.000 victimes entre membres des forces de sécurité et de l'armée, des intellectuels, des journalistes, de simples et anonymes citoyens en plus de dégâts matériels considérables. Mais pour quel résultat ? L'ancien chef du gouvernement, Mokdad Sifi, ne mâche pas ses mots lorsqu'il évoque la situation générale du pays. Pour lui, c'est simple : «Beaucoup de responsables importants savent que le régime actuel est condamné à disparaître et que le délai se compte en mois.» Il ira même plus loin : «Ils réfléchissent certainement à des alternatives. Mon appel consiste à leur dire qu'il n'y a pas d'autres alternatives qu'une révolution pacifique et que les alternatives qui consistent à mettre X à la place de Y ne sauveront pas le régime, mais, au contraire, accéléreront sa mort violente aux dépens de notre nation et de notre peuple». Autrement dit, pour l'ancien chef du gouvernement, nous sommes déjà dans l'après-Bouteflika et c'est la transition qu'il importe de gérer. Cela dit, Sifi met quand même en garde : «Je suis rationnel et réaliste et je ne crois pas aux changements par la violence». Dressant un sombre tableau en guise de bilan de l'actuel régime depuis 1999, voire même d'avant, Mokdad Sifi notera toutefois que «le pouvoir actuel lie son maintien à la stabilité du pays, ce qui est en partie vrai, car, imaginez-vous une vacance soudaine de pouvoir avec tout ce que cela implique en lutte des clans et de fragilisation des équilibres politique, économique, social et sécuritaire même s'ils sont précaires. Une vacance soudaine du pouvoir débouchera inexorablement sur une anarchie que même l'armée ne pourra maîtriser». Ce risque est d'autant plus réel, suggère-t-il encore, que la chute brutale des prix des hydrocarbures ne permettra plus, désormais, des solutions de rafistolage ou de fuite en avant. Sous Bouteflika, fera-t-il remarquer, l'Algérie a gaspillé plus de 800 milliards de dollars pour, le plus souvent, des résultats catastrophiques ! Il citera l'exemple de l'autoroute Est-Ouest, la politique des privatisations et rappellera que Bouteflika en personne, reconnaissait publiquement en 2008 son propre échec. Ne croyant pas du tout à des solutions comme la révision de la Constitution que propose Bouteflika, Sifi plaide pour un changement de régime, mais pas n'importe quel changement. Pour lui, des situations comme en Libye, en Egypte, en Syrie doivent nous interpeller. S'adressant aux jeunes générations, l'ancien chef du gouvernement pense qu'elles doivent faire preuve d'intelligence «pour ne pas tomber dans les pièges des aventuriers politiques ou servir les intérêts de pays étrangers aux dépens de leur patrie». Par contre, il ne cache pas son admiration pour le modèle tunisien.