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ENTRETIEN AVEC HENRIQUE SARDINHA PINTO, AMBASSADEUR DU BRESIL À ALGER :
«L'Algérie est notre premier partenaire en Afrique»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 05 - 2013


Entretien réalisé par Brahim Taouchichet
Le Soir d'Algérie : Excellence, excusez cette digression de départ, n'est-ce pas qui dit Brésil dit aussi football ! Où en êtes-vous dans la préparation de la Coupe du monde 2014 ?
Son Excellence Henrique Sardinha Pinto : On avance bien malgré un retard de quelques mois. Les stades sont presque tous fin prêts. Pour la Coupe des confédérations qui aura lieu en juin, des 6 stades en construction, 3 ont été inaugurés. Parmi les 3 restants, le Maracana, il sera ouvert dans quelques jours et suivi dans la même échéance par les deux autres. Pour la Coupe du monde, il y aura 12 stades tandis que pour la Coupe des confédérations (15-30 juin 2013) ce sont 6 stades qui seront opérationnels et les 6 autres le seront dès l'année prochaine. Mais le plus grand défi, c'est la question du transport, car, comme vous le savez, le Brésil est un pays de dimension continentale, les stades sont implantés dans tout le territoire, de l'extrême-sud à l'extrême-nord. Cela veut dire des distances de 3000 km d'un stade à un autre. Pour l'Algérie – je suis sûr qu'elle se qualifiera – qui sera un groupe à Porto Alegre donc dans l'extrême- sud près de la frontière avec l'Argentine, si elle termine 1re dans son groupe, et selon la distribution des matches, jouera dans Recife, à l'extrême nord-est, et à Manaus en Amazonie, si elle termine 2e dans son groupe. Les distances sont extraordinaires. Si pour les équipes, cela ne pose pas de problème, ce sera un vrai casse-tête pour le transport des supporters...
Un match amical entre le Brésil et l'Algérie prochainement...
C'est peu probable, parce que, comme vous le savez, les matches amicaux sont des matches FIFA et il y a aussi la Coupe de la fédération.
Pas une question d'argent...
Certainement, le football est devenu un très gros bizness.
Le Brésil, ce n'est pas forcément le carnaval de Rio, c'est un grand pays émergent qui fait partie des Brics et qui a une expérience remarquable dans le développement économique et social. Quel serait le secret de sa réussite dans un monde en crise où les plus forts veulent manger les plus faibles ?
A mon avis, c'est dans la poursuite d'une politique économique et sociale forte durant plusieurs années. C'est ce qui explique la réussite du Brésil depuis le début des années 1990 sur plusieurs mandats présidentiels parfois opposés au plan politique. Les différents régimes ont maintenu la politique d'investissement en faveur des grandes questions sociales. C'est le point le plus important. Comme priorité, il y a la stabilité économique, la lutte contre l'inflation, la réorganisation du système bancaire dans les années 1980, et à partir de l'année 2000, de gros investissement ont été consentis dans les domaines sociaux, dont la lutte contre la pauvreté et la faim qui sévissaient dans le pays. On a ainsi réussi à faire sortir de la pauvreté extrême 42 millions de Brésiliens plus que la population totale de l'Algérie. Mais ce n'est pas encore gagné, car il reste encore 16 millions de Brésiliens qui vivent au-dessous du seuil de la pauvreté. Dans la continuité de cette politique, nous parviendrons dans les huit années à venir à en finir totalement avec ce fléau.
Au plus haut niveau, les officiels de l'Algérie et du Brésil insistent sur l'excellence des relations entre les deux pays, un exemple de coopération Sud-Sud, dit-on. Quels sont les domaines précis qui plaident pour cette exemplarité ?
Avec l'Algérie, nous avons un des plus grands programmes de coopération technique en Afrique hors pays lusophone (NDLR : de langue portugaise) qui sont pour nous une priorité pour des raisons liées à l'histoire et la culture notamment. Nous coopérons ensemble dans les domaines de l'agriculture, l'élevage et l'environnement et la protection des forêts. Nous sommes également présents dans le secteur de la médecine. A ce propos, nous avons un projet très ambitieux dans le domaine de la pédiatrie en chirurgie cardiaque. Mais au-delà de l'acte chirurgical salvateur, nos médecins travaillent avec leurs homologues algériens dans l'esprit du transfert des technologies et du savoir-faire. Ainsi, aujourd'hui, les chirurgiens pratiquent des interventions très délicates. Par ailleurs, nous lançons dans l'immédiat un important projet d'une école-pilote à Tamanrasset dans le domaine de l'artisanat minéral à la demande de l'Algérie du fait que cette région est très riche en ressources naturelles, dont l'or et l'argent. Sans nous substituer à l'artisanat local dont il faut préserver le cachet notre apport portera sur les technologies.
La force de frappe, si j'ose dire, du Brésil en pleine croissance c'est aussi dans la technologie de pointe comme la construction aéronautique — 3e constructeur mondial en avions moyen-courriers. Existe- t-il un partenariat dans ce domaine ?
Malheureusement, on n'est pas encore parvenu à des projets en commun dans l'industrie aéronautique. Mais bon, il s'agit de questions commerciales qui doivent être discutées avec les intéressés eux-mêmes, les opérateurs privés brésiliens et les entreprises algériennes, comme Air Algérie et Tassili Airways. Mais on ne pourra parler de coopération dans ce domaine qu'à partir du moment où il y aura ici en Algérie des avions brésiliens. Le Brésil a déjà participé à plusieurs appels d'offres de Algérie mais n'est pas parvenu à bénéficier de contrats. Je crois savoir que la société brésilienne Embraer est intéressée par son appel d'offres rendu public par voie de presse récemment.
Puissance agroalimentaire mondiale, le Brésil dérange les positions acquises des anciennes puissance coloniales. Cette compétition pour la conquête de marchés induirait des conflits d'intérêt en filigrane, quels en sont les arguments que fait valoir votre pays pour gagner la bataille économique ?
Il y a de la place pour tous. Le Brésil est exportateur vers l'Algérie principalement de produits de base comme le sucre, le maïs, le soja et les viandes. Bien sûr, nous sommes un exportateur mondial de produits agroalimentaires manufacturés mais pas en grandes quantités vers Algérie.
Le Brésil s'intéresse beaucoup au marché africain. Venue après vous, la Chine se pose presque partout comme le premier partenaire économique. Les deux pays faisant partie des Brics, y aurait-il des mécanismes mis en place afin de ne pas verser dans les conflits d'intérêt comme ce fut le cas jadis avec les anciennes puissances coloniales ?
Nous nous en tenons aux règles du jeu commercial. Je ne crois pas qu'il faille tenir rigueur à la Chine pour ses succès commerciaux. Il nous appartient à nous de faire en sorte d'avoir une présence plus forte dans les différents marchés et nous interroger peut-être sur les raisons du succès chinois. Cela dit, le Brésil et la Chine sont des pays à systèmes politiques et dynamiques économiques différentes. La comparaison n'est donc pas appropriée. Il faut donc être plus compétitif et plus fort sur le marché.
Comment s'explique la discrétion du Brésil dont la présence est ancienne et moins bruyante que celle de la Chine par exemple ? Il faut savoir avant tout que les dimensions des deux économies ne sont pas les mêmes. Les sociétés brésiliennes qui commencent à s'internationaliser ont d'abord pour priorité les pays latino-américains voisins, plus proches et l'Afrique subsaharienne lusophone. Nous essayons de pousser notre commerce extérieur le plus loin possible et de le diversifier de la même manière. Avec l'Algérie, nous avons de notre point de vue un problème grave de transport compte tenu de la nature du commerce Brésil-Algérie. Nous importons du pétrole et du naphte pour la production du gaz, et nous exportons surtout des produits alimentaires au moyen de bateaux complètement différents qui repartent vides une fois leurs marchandises livrées. Même chose pour les bateaux algériens. Conséquence : la facture transport revient très chère et cela prend beaucoup de temps. Par ailleurs, tout le commerce brésilien vers l'Algérie doit passer par l'Europe.
Quel bilan faites-vous des relations économiques entre le Brésil et l'Algérie, répond-il aux objectifs retenus. Ces relations peuvent-elles être élevées à un niveau d'exception ?
Il est souhaitable que nos relations soient les plus fortes possibles. Comme je viens de vous l'expliquer, il y a des limites à cela pour les raisons que je viens d'évoquer. Nous travaillions malgré cela pour un plus grand raffermissement de relations plus riches et diversifiées. On a mis en place un mécanisme d'exception de consultation politique avec l'Algérie pour l'échange de points de vue sur des sujets internationaux, c'est une preuve de cette exemplarité dans les rapports algéro-brésiliens.
Sous le prétexte de défense des droits de la l'homme et de la démocratie, les anciennes puissances reviennent à la charge, mettent en place des régimes qui protègent leurs intérêts. Le Brésil ne risque-t-il pas de perdre ainsi des espace de marchés ?
Sur ces questions, le Brésil a des positions très proches de celles de l'Algérie. Nous sommes en faveur du respect absolu du droit à l'autodétermination des peuples, la non-ingérence dans les affaires des Etats et le règlement pacifiques des conflits. Le Brésil a eu à le démonter sur la scène internationale ces dernières années. Il faut toujours s'en tenir aux résolutions des Nations unies. Nous croyons que c'est dans le système multilatéral que se trouve la solution des controverses internationales. Le Brésil est un fervent supporter de toute initiative émanant des Nations unies en faveur de la paix et de la sécurité internationales.
Quelle lecture faites-vous de la situation au Sahel, en Afrique subsaharienne ?
Dans ce cas aussi, nous sommes contre toute ingérence et interférences étrangères. Dans cas, il y a autorisation du Conseil de sécurité et nous restons très attentifs sur ce sujet. Ce qui nous préoccupe dans le Sahel, c'est le terrorisme et les crimes transnationaux, des problèmes qui, comme vous le savez, touchent plusieurs régions dans le monde, et le Brésil coopère dans la lutte contre ces fléaux.
Revenons à des sujets plus sereins si vous permettez. Destination touristique mondiale, quel projet formulez-vous pour les touristes algériens nombreux à vouloir visiter votre pays ?
Non, nous n'avons pas de projets communs quand bien même nous avons constaté ces deux dernières années, ici à l'ambassade, une augmentation appréciable des touristes algériens au Brésil et de l'intérêt des Algériens de visiter le Brésil. Beaucoup d'hommes d'affaires s'y rendent aussi.
A combien estimez-vous la communauté algérienne au Brésil ?
Nous n'avons pas les chiffres mais je sais qu'elle est infime. Il s'agit beaucoup plus de couples mixtes ici et là, mais ça reste très modeste.
Bientôt une ligne aérienne entre les deux pays ?
Non, je ne crois pas, il n'y a pas pour cela un flux qui pourrait le justifier.
B. T.
Distance entre l'Algérie et les Brics
- Alger et Pékin : 9 113 km
- Alger-Pretoria : 7 432 km
- Alger-Moscou 3 337 km
- Alger-Calcutta : 8 134 km


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